"Il est midi et je n'ai que trois clients": Gorica Pantic gère un restaurant familial situé entre les Nations unies et l'aéroport de Genève. Malgré la réouverture au printemps, le retour de sa clientèle, majoritairement internationale, se fait attendre.
Avec un chiffre d'affaires divisé de moitié, le restaurant ne pourra pas continuer à tourner. Le prêt d'urgence de la Confédération a aidé à payer les charges, mais il ne reste désormais plus rien. Le dernier recours pour la restauratrice sera l'aide sociale.
"On est là depuis 25 ans, on n'a jamais demandé un centime à l'aide sociale. On a toujours travaillé et gagné [de l'argent]. On s'est battu. Mais maintenant, je me sens comme si j'étais sur le Titanic qui va couler", soupire la patronne dans le 19h30.
Seul 1% des bénéficiaires avant la crise
Gorica Pantic est loin d'être un cas isolé. Restaurateurs, chauffeurs de taxis ou commerçants, la précarité liée à la crise sanitaire touche toutes les professions indépendantes. Avant la crise liée au Covid, ils étaient peu nombreux à bénéficier de l'aide sociale: seuls 2000 en Suisse en 2018, soit 1% des bénéficiaires en âge actif. Cette années 2020 pourrait en compter 20'000 de plus.
La Conférence suisse des institutions d'action sociale (Csias) a observé depuis le mois de mars une légère augmentation du nombre de dossiers à l'échelle nationale (+ 2,7%), avec une progression plus marquée en Suisse romande (+4,3%). Mais c'est surtout dans un avenir proche que les inquiétudes se concentrent.
Augmentation de 28% en 2022
"Nous pensons qu'il y aura un effet de décalage par rapport aux personnes qui vont perdre leur droit au chômage d'ici une année ou deux. Et aussi pour les indépendants, qui vont perdre leur droit aux mesures de la Confédération beaucoup plus vite", anticipe Corinne Hutmacher-Perret, dirigeante du secteur Etudes du Csias.
Le nombre de demandeurs devrait donc grimper ces prochains mois aussi avec l'arrivée à l'aide sociale des personnes qui n'ont pas encore épuisé leurs ressources. Car pour pouvoir prétendre à l'aide sociale, les demandeurs doivent d'abord vider leurs économies.
Selon le scénario le plus probable réalisé par l'organisation, d'ici à 2022, le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale en Suisse, toutes catégories professionnelles confondues, devrait augmenter de 28%. Pour les cantons et les communes, cela représenterait une charge supplémentaire d'un peu plus d'un milliard de francs.
Assumer la facture
A Genève, cette augmentation est déjà sensible, confirme Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat en charge de la cohésion sociale: "Effectivement, nous aurons besoin d'un crédit supplémentaire financier de l'ordre de 25 millions. Cela montre bien que les personnes, qu'elles soient indépendantes ou au bénéfice de l'aide sociale, sont en nombre. Et nous avons évidemment des mesures à proposer."
Pour assumer cette facture supplémentaire, la Confédération pourrait être sollicitée. Sa décision récente de prolonger les aides d'urgence offrira un répit momentané à certains indépendants, mais pour les cantons et les communes, le défi financier risque de rester important.
Séverine Ambrus/fme