Annie et Alain Donzé ont cotisé durant 30 ans pour s'offrir leur voyage de rêve. Mais leur safari en Namibie a tourné au cauchemar. Itinéraire modifié, retard et attente ont fait perdre au couple leur premier jour de safari, ainsi que leur étape d'hôtel. Mais ce n'est que le début. "Quinze jours avant la date de notre retour, nous apprenons que le gouvernement namibien interdit tous les vols en provenance d'Allemagne. Nous avons alors contacté Lufthansa, puisque notre vol passait par Francfort. Mais il ne nous ont jamais répondu", raconte Alain.
Le couple a dû se débrouiller seul pour rentrer en passant par Johannesburg et en déboursant au passage 4400 francs. Depuis le mois de mars, ils sont toujours dans l'attente d'un remboursement et d'une indemnisation.
Depuis 2006 et le règlement européen (CE) n° 261/2004, les passagers bénéficient pourtant de nombreux droits lorsque leur voyage ne se passe pas comme prévu. Vol annulé ou dérouté, retards, surréservation. Toutes ces situations qui gâchent les vacances peuvent justifier un remboursement et/ou une indemnisation. Mais bien souvent, les réclamations aux compagnies aériennes restent lettre morte.
"En temps normal, les passagers doivent déjà lutter pour faire valoir leurs droits à des indemnités. Mais depuis la crise du Covid, ils ont même de la peine à se faire rembourser un vol annulé", déplore Philippe Renz, avocat spécialisé dans l'aviation.
Les passagers qui s'estiment lésés n'ont aucun intérêt à entreprendre des démarches en justice, car les frais d'intervention seront généralement bien plus élevés que la valeur des billets. Ils peuvent en revanche dénoncer le cas auprès de l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC), qui est chargé de contrôler que les compagnies aériennes appliquent correctement la loi.
En 10 ans, les six employés de l'unité s'occupant du droit des passagers ont reçu un total de 43'276 dénonciations.
La plupart des cas concernaient des demandes d'indemnisation pour des vols annulés moins de 14 jours avant le départ (50%), puis pour des retards (40%). Mais depuis le début de la crise du Covid, se sont essentiellement des questions liées au remboursement qui occupent l'OFAC.
Pression de l'OFAC sur les compagnies aériennes
"Le fait que le passager s'adresse à nous accélère souvent le processus", affirme Antonello Laveglia, porte-parole de l'OFAC.
Usha Krishnamoorthy et Julien Falcy le confirment. Leur dernier voyage en Corée du Sud leur était resté au travers de la gorge, avec un itinéraire modifié, un vol retardé et de nombreuses heures d'attente. Face au refus de la compagnie arienne d'entrer en matière pour les indemniser, le couple lausannois a dénoncé le cas auprès de l'OFAC. La compagnie les a alors immédiatement contactés pour leur annoncer qu'ils avaient droit à une indemnisation.
"Nous avons dû attendre 6 mois pour obtenir une réponse de l'OFAC. Le plus difficile est de ne pas se décourager", conseille Usha Krishnamoorthy.
Plus de 300 amendes
L'OFAC n'a pas la compétence pour obliger une compagnie à rembourser le passager, mais il est en mesure d'infliger une amende. Il le fait en général, "lorsque les cas sont graves et répétés", précise Antonello Laveglia.
Ces huit dernières années, l'Office n'a prononcé que 325 sanctions. Pour chaque cas, les amendes peuvent aller jusqu'à 5000 francs par personne. Si l'ensemble des passagers d'un vol dénonçaient un cas grave auprès de l'OFAC, la facture pourrait être salée. C'est rarement le cas. Il n'existe aucune statistique précise du montant cumulé des amendes. Mais sur les trois dernières années (de 2017 à 2019), l'OFAC évalue le montant total des amendes entre 200'000 et 300'000 francs.
Sanctions insuffisantes
Pour la Fédération romande des consommateurs (FRC), l'OFAC est un allié précieux, mais qui manque furieusement de moyens: "Le nombre de sanctions est clairement insatisfaisant, au regard du comportement des compagnies aériennes. Nous regrettons aussi les temps de traitement particulièrement longs. Des solutions pourraient être trouvées pour renforcer cet office au vu de l'importance du secteur aérien", affirme Sandra Renevey, juriste à la FRC.
Le règlement européen oblige les compagnies aériennes à rembourser les passagers des vols annulés dans les sept jours. Mais face à la surcharge des demandes, il est demandé aux passagers d'attendre 6 semaines avant de remplir le formulaire de l'OFAC.
Un délai inacceptable pour la FRC: "Le consommateur n'est pas là pour faire des prêts sans intérêts aux compagnies aériennes. Il prête doublement, en tant que consommateurs et contribuable, avec l'aide de la Confédération au secteur. L'argent qui n'est pas remboursé ne peut pas être réinvesti par les vacanciers dans l'économie locale, pour des vacances en Suisse, par exemple".
Les compagnies favorisées?
Plus critique encore envers l'OFAC, l'avocat Philippe Renz reproche même à l'organisme de favoriser les compagnies aériennes au détriment des droits des passagers. "L'OFAC devrait exiger des compagnies aériennes qu'elles prouvent les circonstances extraordinaires qu'elles invoquent pour refuser d’indemniser les passagers. Or l'OFAC ne le fait pas."
L'avocat a transmis à Berne plusieurs dossiers et échanges entre des passagers et la compagnie Swiss, que la RTS a pu consulter, où l'on constate un manque de transparence sur le droit au remboursement, voire dans certains cas, une tentative de faire porter le fardeau de l'annulation sur le passager. "Swiss mène ses passagers en bateau avec des pratiques qui frisent parfois le code pénal, mais l'OFAC n'intervient pas".
Aucun cas devant les tribunaux suisses
En Suisse plus que dans les pays de l'Union européenne, il semble particulièrement difficile de lutter avec une compagnie aérienne. Cette différence s'explique notamment par une jurisprudence qui s'est développée en faveur des passagers au niveau européen. "Cette jurisprudence pourrait être reprise en Suisse, du fait des accords que nous avons avec l'Union européenne. Mais l'OFAC refuse de le faire", dénonce l'avocat.
"À notre connaissance, il n’existe aucune décision d'un tribunal suisse touchant à ce thème spécifique. Mais les juges sont actuellement libres de s'appuyer ou pas sur les arrêts de la Cour de justice de l'UE", rétorque le porte-parole de l'OFAC.
Feriel Mestiri
Augmentation des dénonciations depuis la crise du Covid
Avec la crise du Covid, la situation s'est aggravée pour les passagers dont le vol a été annulé. Les compagnies en manque de liquidités ont tenté par tous les moyens de convaincre les voyageurs d'opter pour un report du voyage ou un bon à faire valoir ultérieurement, quitte parfois à manquer de transparence sur le droit au remboursement.
En conséquence, les appels et dénonciations auprès de l'OFAC prennent l'ascenseur. Et ce ne serait que la pointe de l'iceberg, car il faut attendre le remboursement de la compagnie aérienne durant six semaines avant de dénoncer le cas auprès de l'OFAC. Les couacs de l'été retentiront donc à l'automne.
Pour dénoncer le cas auprès de l'OFAC, le passager doit avoir effectué un vol au départ de la Suisse. L'OFAC demande ensuite une prise de position à la compagnie aérienne et, le cas échéant, vérifie sa réponse.
Discussions de l'OFAC avec Swiss
Depuis le début de la crise du Covid, la compagnie Swiss a été particulièrement visée par les plaintes de passagers, qui lui reprochaient des délais de remboursement inacceptables, ainsi qu'un manque de transparence sur la possibilité de remboursement. Un total de 72 procédures de recouvrement de créances ont été ouvertes à l'encontre de Swiss pour un total de 4,48 millions de francs, dont 4,2 millions pour la seule agence DER Touristik Suisse.
Depuis lundi, Swiss dit avoir réactivé l'automatisation du remboursement des billets achetés auprès des agences de voyage. Les clients qui ont acheté leur billet à titre individuel devraient aussi voir leur remboursement accéléré.
"Jusqu'à présent, la compagnie a versé un montant en millions à trois chiffres pour les vols annulés", affirme Meike Fuhlrott. La porte-parole de Swiss précise que la plupart des demandes de remboursement reçues avant la fin juin seront réglées dans les six prochaines semaines. "Les demandes de remboursement plus récentes seront traitées en continu d’ici deux à trois mois".
Concernant la visibilité de la possibilité de remboursement, Swiss dit l'avoir améliorée "suite à nos échanges avec l'OFAC".