En Suisse, les grands magasins Manor ont récemment annoncé qu'ils supprimeront près de 500 postes. Au Royaume-Uni, c'est le groupe Marks & Spencer qui a pris la décision de biffer 7000 emplois à travers le monde et côté français, plusieurs grands acteurs du textile et des chaussures sont en faillite ou en passe de l'être.
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La tendance semble donc être mondiale: les grands magasins populaires perdent du terrain. Mais alors que certains voient là la conséquence directe de la pandémie de coronavirus ou encore de l'émergence toujours croissante du commerce en ligne, Patrice Duchemin perçoit plutôt ce phénomène comme l'échec de ces institutions à être en phase avec leur époque.
"Quand le commerce va mal, c'est toujours la faute de l'environnement. L'environnement, cela peut être le commerce virtuel, et une autre fois ce sera le Covid. Mais fondamentalement, le problème est que le commerce, qui est toujours le miroir d'une époque, doit s'adapter. Celui qui disparaît aujourd'hui est celui qui n'est plus en résonance avec l'air du temps."
L'e-commerce n'est pas l'ennemi
Pour le spécialiste de l'imaginaire de la consommation, la situation actuelle n'est pas une nouveauté. Le commerce est, d'après lui, toujours en "voie d'adaptation".
"Au fil du temps, les magasins n'ont jamais été les mêmes. Dans les années 2000, on a progressivement vu apparaître le développement de l'e-commerce. Mais l'e-commerce ne veut pas dire que les magasins doivent disparaître. Il n'est pas un ennemi, mais plutôt un allié sur lequel il faut s'appuyer pour se réinventer", explique-t-il.
Des enseignes qui ne ciblent pas assez
Le sociologue juge le concept de ces grands magasins en partie dépassé. "Leur vocation était de s'adresser à tout le monde, en offrant tout ce qu'il fallait pour une famille, pour la maison, l'habillement et l'alimentation, et à des prix compétitifs. Quand on pose cette équation, on s'aperçoit qu'il y a trop de cases à remplir."
Et d'ajouter: "Les réseaux sociaux et internet ont permis aux gens qui se ressemblaient de se regrouper. En cela, ils ont accentué un phénomène déjà naturel. Avant, on se regroupait dans des villages, dans un quartier ou un immeuble, mais avec internet, les gens peuvent se regrouper au niveau national. Résultat de cette évolution, les gens qui avaient des goûts communs se sont rapprochés et ont commencé à chercher des magasins qui leur ressemblaient."
Magasins miroirs, le futur du commerce ?
D'après Patrice Duchemin, c'est cette sorte de magasins, qu'il prénomme les "magasins miroirs", qui incarnent le futur du secteur.
"Dans un magasin miroir, les vendeurs nous ressemblent. Il n'y a souvent plus de hiérarchie entre le vendeur et le client, notamment via la séparation par un comptoir ou une caisse. D'ailleurs, la caisse a parfois disparu et est devenue une tablette. On se sent donc dans une communauté de valeurs, une communauté esthétique et de centres d'intérêts (...) Quand vous arrivez à Manor ou chez Marks & Spencer, vous avez beaucoup de mal à savoir si ça s'adresse à vous, à vos enfants, à votre mère ou à des touristes", fait-il valoir.
Le grand enjeu est celui de faire en sorte que les clients soient concernés, estime encore le sociologue. "Il faut émettre des signes qui donnent l'impression qu'ils ont été compris, il faut thématiser".
Propos recueillis par Thibaut Schaller/ther