Publié

Un géant de la facturation sous enquête de la Commission de la concurrence

Ouverture d'une enquête de la Comco sur un éventuel cartel de détaillants (vidéo)
Ouverture d'une enquête de la Comco sur un éventuel cartel de détaillants (vidéo) / L'éclairage d'actualité / 4 min. / le 15 septembre 2020
L'entreprise Markant, spécialisée dans la facturation, est dans le collimateur de la Commission de la concurrence, qui a ouvert une enquête contre cet acteur important de la grande distribution. Seize partenaires sont aussi visés.

L'ouverture de cette enquête est passée quasiment inaperçue, car la société Markant, qui est basée à Pfäffikon (SZ), n’est pas connue du grand public. Et pourtant, il s'agit d'un intermédiaire qui offre des services de facturation et qui fait frémir de nombreux patrons romands. Les producteurs tentent de résister, même s'ils craignent les représailles.

C'est le cas d'Opaline, une entreprise valaisanne oeuvrant dans le secteur des jus de fruits et des limonades. L'un de ses clients, un grossiste qui place ses bouteilles dans les boulangeries du pays, lui a annoncé l'année dernière qu'il allait travailler avec Markant pour sa facturation. "Le problème, c’est que ces services-là, nous n’en avons pas besoin, Opaline ayant fait le choix de gérer elle-même son administration, pour allouer ses revenus à des points qui lui sont chers, comme la qualité de ses produits ou ses approvisionnements", a expliqué Sofia de Meyer, directrice d’Opaline, mardi dans La Matinale.

"Or, quand nous avons essayé de défendre ce point de vue, cette prestation est devenue quelque chose qu'on nous imposait", poursuit la directrice d'Opaline. "On nous disait: si vous ne prenez pas ce service, vous risquez de ne plus être référencé ou livré par ce partenaire avec qui vous travaillez depuis des années."

Service payant

Le service de Markant n'est pas optionnel, et surtout, il n'est pas gratuit. Les fournisseurs doivent payer un pourcentage sur leur revenu. Un non-sens absolu, selon Sofia de Meyer: "Mieux on fait notre travail et plus le consommateur apprécie nos produits, plus on paie pour une prestation qui ne nous amène aucune valeur ajoutée."

Sofia de Meyer a pris le risque de refuser. Ce que d'autres fournisseurs n’ont pas osé. C'est que Markant travaille avec de nombreux détaillants, comme Manor, Valora ou Volg.

Menaces d'annulation

Un producteur de vin a ainsi voulu se passer des services de Markant. Plusieurs grossistes et détaillants l’ont menacé d'annuler "l’introduction de nouveaux produits", comme l'indiquent des courriers que la RTS pu consulter. Le producteur s’est donc résigné et il a continué de payer 3% de son chiffre d’affaires à Markant pour que ses bouteilles restent sur les étalages.

Jusqu'ici, ce système n’a pas fait de vagues, car Markant n’était pas encore omniprésent. Le rapport de force était donc supportable. C'était avant une annonce de Coop en début d'année, qui a effrayé tout le monde: le géant de la distribution a dit qu'il allait, lui aussi, faire appel aux service de facturation de Markant.

Une décision que regrette Bernard Poupon, directeur de Reitzel, spécialiste de produits vinaigrés: "Là, le problème, c’est que nous avons affaire au premier distributeur suisse, à côté de Migros, qui pèse considérablement sur le chiffre d’affaires de tous les producteurs suisses, et qu’on nous demande 2,5%. Si on pouvait sortir ainsi 2,5%, on nous prendrait pour des voleurs, car cela voudrait dire que nos marges sont considérables, ce qui n'est pas le cas: cela se calcule au centième de pourcent."

Obligé d'augmenter les prix

Coop ne veut pas que les fournisseurs compensent et augmentent leur prix, mais Reitzel n'aura pas le choix. "On va augmenter nos tarifs en conséquence. Et c’est là qu’il risque d’y avoir un peu de tensions entre nous et Coop, et c'est dommage, parce que nous travaillons très bien avec eux", explique Bernard Poupon.

"Il faut qu'ils comprennent qu'on ne peut pas baisser notre rentabilité simplement parce qu'ils passent par une société qui les arrange et qui leur fait faire des économies, alors que nous, nous ne faisons pas d'économies."

La fronde s'organise

Certains producteurs, comme des petits paysans, n'ont pas cet espoir. Alors la fronde s’organise. Les paysans ont fondé une communauté d'intérêts pour tenter de négocier avec Coop.

S'agissant de l’intérêt de Coop et des autres détaillants, aucun d'entre eux n'a souhaité commenter, mais il est évident que Markant leur apporte un avantage économique. Il se pourrait même que cette entreprise méconnue leur reverse une partie de ses commissions. C'est en tout cas un élément sur lequel enquête le gendarme de la concurrence.

Mise sous pression des fournisseurs

Le procédé ne serait pas en soi illégal, mais c’est tout le système de mise sous pression des fournisseurs, s’il est coordonné, qui pourrait constituer un cartel illicite. L'enquête de la Commission de la concurrence (COMCO) porte toutefois sur les agissements passés. Elle ne concerne donc pas Coop.

Mais c’est bien pour mettre la pression sur le mastodonte que les fournisseurs ont alerté la COMCO. Leur espoir, c'est évidemment que Coop fasse machine arrière.

Sujet radio: Sandrine Hochstrasser

Adaptation web: Jean-Philippe Rutz

Publié