Augmenter le nombre de voitures électriques sur les routes et diminuer le nombre de véhicules envoyés à la casse. C'est ce double objectif que vise le retrofit. Cette nouvelle manoeuvre prend de l'ampleur aux Etats-Unis et dans quelques pays européens. En Suisse, elle fait aussi quelques adeptes.
Philipp Müller est ingénieur électricien à Berne et collectionne les vieilles Opel. Il les aime tant qu'il en a ramené une vers le futur. "Voici l'Opel rekord de 1969. Je l'ai équipée en électrique", dit-il fièrement en exhibant la batterie flanquée sous le capot.
Cette Opel rekord est unique au monde. Sa transformation lui a coûté 15'000 francs de matériel et ses week-end durant 4 mois. Depuis qu'elle a passé la visite technique en 2015, l'Opel rétrofitée est devenue le véhicule quotidien de Philipp Müller: "Je suis moi-même étonné. J'ai déjà roulé 80'000 km avec la même batterie et elle est toujours bonne!"
Le retrofit collection
En Suisse, les voitures transformées résultent surtout de longues heures de travail d'un passionné dans son garage. Mais une entreprise en a fait une affaire: la Manufaktur Marton, fondée en 2018 au pied du Rigi, dans le canton de Schwyz. Ici, on électrifie des modèles de collection, sur mesure.
"Aujourd'hui, presque toutes les voitures ont la même apparence. Les voitures classiques sont beaucoup plus belles. Donc l'idée est de prendre des voitures classiques pour les utiliser quotidiennement", explique Silvia Marton, cofondatrice de l'entreprise.
Dans l'atelier, une Jaguar verte, sur le point de vivre une seconde vie. Une fois électrofitée, elle vaudra 350'000 francs. A côté, une Citroën DS sera électrifiée pour un client pour 150'000 francs.
Silvia Marton compare son atelier à celui d'un horloger: "Notre idée est de faire des voitures sur mesure, exclusives. Le but est de faire quatre à cinq voitures par an, pas plus".
Le retrofit pour tous
Le retrofit pourrait toutefois dépasser le stade du hobby pour les bricoleurs et les collectionneurs et viser un marché de masse. En France, une start-up ambitionne déjà de bousculer le modèle économique de l'automobile. Située à Grenoble, la jeune pousse Phoenix Mobility développe des kits composés de moteurs et batteries, appelés à être installés ensuite par des garagistes dans toute l'Europe.
"On a vocation à avoir une chaîne d'assemblage pour nos kits. C'est cette unité de production qui va alimenter notre réseaux de garages partenaires. Ces kits seront pré-assemblés et nos garages partenaires n'auront plus qu'à poser le kit, les batteries, relier les deux entre eux et remettre le véhicule sur la route", affirme Antoine Desferet, l'un des cinq fondateurs de Phoenix Mobility.
Le premier kit développé par l'entreprise sert à rétrofiter l'utilitaire Renault Trafic, le plus utilisé par les professionnels en France.
Le gouvernement français vient seulement de libéraliser ce système en avril 2020. Un mois plus tard, le 26 mai, il donne un coup d'accélérateur dans le cadre de son plan de relance de la filière automobile, en accordant une prime à la conversion de 5000 euros pour toute transformation de moteur thermique en électrique.
"Non seulement on peut homologuer nos véhicules sans demander aux constructeurs, mais à partir du moment où le véhicule est homologué, on est capables de le reproduire à l'infini. En France, on est passé du pays dans lequel c'était le pire pour mener ce genre d'activité, au pays dans lequel c'est le mieux en Europe, puisqu'on a un boulevard qui est ouvert devant nous pour faire ces homologations", se réjouit le jeune entrepreuneur.
Une ville rétrofitée
Ce boulevard, la Ville de Grenoble s'engage aussi à l'élargir, en électrifiant le parc véhicule municial. "Pour le service technique, c'est parfait", souligne Eric Piolle, le maire de Grenoble, en testant le Kangoo fraîchement rétrofité par la start-up.
L'agglomération promet d'élargir les subventions à la conversion, jusqu'à 7200 euros, en plus des 5000 promis par l'Etat. Son but est d'inciter à l'économie circulaire, en donnant l'exemple avec ses propres véhicules.
"C'est une technologie naissante. Nous allons pouvoir la tester et si nous en sommes satisfaits, nous en serons les premiers porte-paroles. Et je crois que beaucoup de gens ne veulent plus avoir cette économie du jetable, y compris pour les véhicules."
Pour Eric Piolle, subventionner le retrofit est une manière de sortir des énergies fossiles sans créer de gilets jaunes: "Aujourd'hui, nous ne pouvons pas impulser des changements majeurs dans la société sans avoir un accompagnement fort. C'est aussi ce qui a été exprimé en France dans le mouvement des gilets jaunes. Faire peser le poids de la transition sans accompagnement, cela ne passe pas."
Selon les dernières estimations réalisées par WardsAuto, plus de 1,4 milliard de voitures circulent aujourd'hui dans le monde. Le rétrofit est une option pour prolonger leur vie et leur éviter la casse. En tout cas, avec sa start-up, Antoine Desferet y croit et le perçoit comme une mission: "On ne peut pas vouloir rendre la mobilité plus propre et plus accessible en construisant cinq voitures dans son garage. Nous avons l'ambition de devenir le leader européen du retrofit. En 2024, on espère électrifier 100'000 voitures par année."
Pour les clients, subventions déduites, un retrofit devrait coûter aux alentours de 10'000 euros par véhicule. Une somme substantielle, mais qui n'ébranle pas le jeune entrepreneur: "Cela reste beaucoup moins cher que d'acheter un véhicule électrique neuf. Surtout pour les utilitaires d'entreprises aménagés d'équipements sur mesure. Et beaucoup plus écologique aussi", conclut Antoine Desferet.
Pascal Jeannerat et Feriel Mestiri