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De grosses fortunes mettent leur argent en Suisse à l’abri du Covid-19

Depuis le début de l’année, des milliards de francs ont afflué dans les coffres de nos banques, la Suisse rassure
Depuis le début de l’année, des milliards de francs ont afflué dans les coffres de nos banques, la Suisse rassure / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 5 min. / le 28 septembre 2020
Plusieurs dizaines de milliards de francs ont atterri dans les coffres des banques suisses durant le premier semestre 2020. La crise sanitaire motive de grosses fortunes à protéger leur argent en Suisse.

Les restrictions de voyage n'immobilisent pas l'argent. Malgré la crise liée au Covid-19, les grandes fortunes se déplacent et apprécient une destination: la Suisse.

Une arrivée a récemment échappé à la discrétion chère à la place financière. Selon l'agence Bloomberg, lord Anthony Bamford, à la tête du géant des machines de chantier JCB, a rapatrié dans le canton de Vaud les actifs de sa multinationale, qui pèse plus de 4,5 milliards de francs. Depuis 1976, l'entreprise était domiciliée aux Antilles néerlandaises, dans le paradis fiscal de Curaçao.

Le richissime lord britannique - connu pour son yacht de 62 mètres - n'est pas le seul à transférer ses fonds en Suisse. Ces arrivées se constatent dans les résultats des grandes banques du pays. Celles-ci signalent de forts afflux d'argent frais, alors que les turbulences sur les marchés ont souvent entraîné des pertes ce printemps.

D'après une recherche de la RTS, huit des plus grandes banques du pays ont accueilli au total plus de 80 milliards de francs de fonds nets au premier semestre 2020. Tous les établissements annoncent des chiffres positifs, et six sur huit enregistrent des afflux de capitaux plus élevés qu'au premier semestre 2019.

La Suisse, "havre de stabilité en temps de crise"

L'avocat fiscaliste Philippe Kenel, spécialisé dans les délocalisations des personnes fortunées, confirme une hausse des arrivées en Suisse: "Il y a eu une diminution en 2018 et 2019, et c'est vrai qu'en 2020, on voit une augmentation non seulement des demandes, mais aussi des gens qui viennent s'installer en Suisse."

D'où vient cet argent? De privés et d'entreprises issus d'Amérique latine, d'Europe, du Moyen-Orient, selon les rapports financiers des banques qui égrènent quelques noms de pays, mais restent vagues.

D'après Edouard Cuendet, directeur de Genève Place Financière, "c'est principalement une clientèle internationale" motivée par le Covid-19: "Pour des clients internationaux confrontés à une crise sanitaire et économique mondiale, la Suisse est un havre de stabilité, de sécurité. En cette période chahutée, ce sont des valeurs extrêmement précieuses." En d'autres termes, des riches étrangers viennent mettre leur argent à l'abri en Suisse.

"La confidentialité des banquiers suisses séduit"

Philippe Kenel surenchérit: "La Suisse offre cette image d'un pays qui a bien géré la crise, qui a une bonne infrastructure hospitalière. Et puis il y a la peur de voir d'autres pays, comme la France par exemple, qui vont avoir besoin de beaucoup d'argent et qui comme toujours vont aller se servir chez les personnes fortunées." L'avocat fiscaliste ajoute aussi l'attrait du système fiscal suisse, "même si son prix a augmenté avec l'entrée en vigueur en 2016 de la réforme de l'impôt des personnes imposées d'après la dépense".

Comment la place financière suisse attire-t-elle ces grosses fortunes? Plusieurs observateurs soulignent la solidité des banques suisses, capables de traverser les crises grâce à leurs fortes capitalisations.

De plus, pour Edouard Cuendet, la discrétion des banquiers suisses s'avère un atout majeur. "Le secret bancaire à des fins fiscales n'existe plus, mais le devoir de confidentialité reste plein et entier. En termes de confiance de la clientèle internationale, cela reste primordial. Et ça séduit!", affirme le directeur de Genève Place Financière.

Argent sale?

Cette belle image de la place financière suisse a toutefois été récemment ternie. L'ancien patron de la lutte contre le blanchiment, Daniel Thelesklaf, a démissionné avec fracas du Bureau suisse de communication en matière de blanchiment (MROS).

Dans une interview à 24 Heures et la Tribune de Genève en septembre, il a déploré le retard et l'inefficacité de la lutte contre le blanchiment en Suisse. Selon Daniel Thelesklaf, le MROS croule sous les dénonciations émises par les banques et seule une infime partie des fonds blanchis sont interceptés.

"Fin 2019, plus de 6000 dénonciations émises par les banques n'étaient pas encore traitées! Cela correspond à des avoirs potentiellement illégaux de plusieurs milliards de francs", indiquait l'ancien patron de la lutte contre le blanchiment.

Flou autour du déménagement de lord Bamford

Ces déclarations interrogent sur les récents afflux d'argent en Suisse. Concernant lord Anthony Bamford, ce très important mécène du parti conservateur britannique avait déjà attiré l'attention en 2016, lorsque son nom était apparu dans les Panama Papers comme unique actionnaire d'une société active aux Iles Vierges britanniques entre 1994 et 2012.

L'entrée des bureaux de JCB Group Holdings Sàrl à Lausanne. [RTS - Yann Dieuaide]
L'entrée des bureaux de JCB Group Holdings Sàrl à Lausanne. [RTS - Yann Dieuaide]

Pour connaître les raisons de son déménagement des Caraïbes, l'émission TTC s'est rendue au siège de la société de participation JCB Group Holdings Sàrl, créée à la fin 2019 et située dans un immeuble locatif à Lausanne. Ici, le groupe, qui compte 15'000 collaborateurs dans le monde, n'a aucun employé. La seule personne présente dans l'appartement n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Covid-19, Brexit, fragilité des paradis fiscaux? Un représentant du groupe JCB en Suisse, l'avocat Me Lucien Masmejan du cabinet Lenz&Staehelin, a également refusé de répondre à nos questions, laissant planer le mystère sur les raisons de l'implantation de JCB à Lausanne.

Seule certitude, la Suisse reste une destination prisée des grosses fortunes, particulièrement en temps de crise. Avec 27% de parts de marché, le pays est déjà le leader mondial de la gestion de fortune transfrontalière. Une domination que le coronavirus pourrait encore renforcer.

Valentin Tombez et Yann Dieuaide

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