Quelles sociétés sont visées par l'initiative "Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement"? Qu'est-il prévu en termes de sanctions? L'émission Forum revient sur cinq points-clés de ce texte soumis au vote le 29 novembre.
L'initiative "Entreprises responsables", quels enjeux?
Entreprises concernées
Les PME sont-elles aussi touchées?
A qui s'adresse l'initiative? Les initiants affirment que leur texte vise essentiellement les multinationales actives à l’étranger, telles que Glencore, LafargeHolcim ou Syngenta. Les opposants estiment, eux, qu'il touche également les petites et moyennes entreprises.
Dans les faits, l'initiative concerne toutes les entreprises qui ont leur siège en Suisse et qui sont actives à l'étranger. Mais elle demande au Parlement - qui devra élaborer la loi - de tenir compte des besoins des PME.
Ces sociétés devraient en effet être peu touchées: de petite taille et avec peu d'engagements internationaux, elles sont moins susceptibles de porter atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement. Notons toutefois que cela ne s'applique pas aux PME impliquées dans des secteurs considérés comme risqués, tels que le commerce d'or ou celui de diamants en provenance d'Afrique centrale.
Filiales étrangères
Le texte prévoit également que les entreprises suisses puissent être traduites en justice lors de fautes commises par leurs filiales ou sous-traitants à l'étranger. L'enjeu ici consiste à déterminer le niveau de contrôle économique exercé par une société sur une autre. Au final, il reviendra aux tribunaux de le déterminer, au cas par cas.
A noter que les fournisseurs ne devraient pas être concernés par l'initiative, sauf dans le cas où une société possède un seul fournisseur et que celui-ci dépend d'elle.
Les effets du contre-projet
Le Parlement a élaboré un contre-projet - soutenu par le Conseil fédéral - qui entrerait en vigueur en cas de rejet de l'initiative le 29 novembre.
Plus souple, cette contre-proposition prévoit que seules les entreprises cotées en bourse et les sociétés financières - banques ou assurances - de plus de 500 employés soient concernées. Celles-ci devront par ailleurs rendre des comptes via un rapport.
En outre, les grandes entreprises devraient respecter un devoir de diligence concernant le travail des enfants et l'exploitation des minerais provenant des zones de conflits. En clair, elles devraient prendre des mesures pour éviter des répercussions négatives.
Le "renversement du fardeau de la preuve"
Une question qui fait débat
Dans le camp des opposants, on entend souvent l'argument du "renversement du fardeau de la preuve". Cette expression fait référence à une disposition juridique selon laquelle l'accusé doit fournir les preuves de son innocence.
Pour Economiesuisse, l'initiative contraint les entreprises à démontrer qu'elles ont mis en place les mesures nécessaires pour surveiller les activités de leurs filiales et de leurs sous-traitants. Elles doivent ainsi prouver qu'elles ont tout fait pour prévenir le dommage en question.
Les initiants, eux, réfutent cet argument. Selon eux, le fardeau de la preuve revient bien au plaignant, car c'est à lui de monter un dossier contre l'entreprise.
Que dit la loi?
L'initiative se base sur l'article 55 du Code des obligation. Celui-ci indique que l'employeur est responsable des agissements de ses employés sauf s'il prouve qu'il a fait preuve de diligence.
La législation parle de "preuve libératoire" et non pas de "renversement du fardeau de la preuve".
Qu'en est-il dans le contre-projet?
Le contre-projet ne prévoit pas une responsabilité des entreprises suisses devant les tribunaux, lors de dommages causés par leurs filiales à l'étranger.
Puisqu'il n'y a pas de procédure possible, la question du fardeau de la preuve ne se pose pas dans ce cas.
Le devoir de diligence
Surveiller la chaîne de production
Les entreprises concernées par l'initiative doivent faire preuve d'une diligence raisonnable, à savoir garantir que leurs activités ne violent pas les droits humains et les normes environnementales internationales.
Comment? En identifiant les risques liés à leurs actions, en prenant des mesures préventives et en vérifiant l'efficacité. Au final, les sociétés doivent rendre des comptes sous forme d'un rapport public.
A noter que la diligence est un outil qui figure au coeur des principes directeurs de l'ONU adoptés il y a une dizaine d'années.
Mise en place rapide
Les entreprises doivent faire preuve de diligence le plus tôt possible, dès le moment où elles lancent une nouvelle activité et qu'elles élaborent des contrats.
Cette obligation de diligence s'étend à l'ensemble de la chaîne mondiale. Une entreprise de mode suisse serait ainsi tenue de vérifier si les entreprises étrangères de textiles, les fabricants de tissus et les transformateurs de coton - qui dépendent d'elle - ont violé les droits humains ou porté atteinte à l'environnement.
En revanche, les entreprises sont libérées de leur responsabilité si elles prouvent qu'elles ont rempli leur devoir de diligence.
Qu'en est-il du contre-projet?
En cas d'échec de l'initiative le 29 novembre, le Parlement a prévu une contre-proposition. Celle-ci comprend également la notion de diligence, mais pas pour toutes les questions liées aux droits humains et à l'environnement.
Seraient concernés: les domaines qui touchent le travail des enfants et les minerais provenant de zones de conflits, comme le commerce de l'or ou de diamants. Seules les grandes entreprises seraient visées.
Concernant la responsabilité, le contre-projet mise sur le statu quo: contrairement à l’initiative, il ne donne pas la possibilité aux victimes de demander réparation auprès de la société-mère en Suisse pour des dommages causés par ses filiales à l’étranger.
Jugement en Suisse pour activités à l'étranger
Une procédure réaliste?
Le texte demande que les sociétés suisses puissent être jugées sur sol helvétique, en cas de travail des enfants ou de pollution de l'environnement à l'étranger. Actuellement, la justice suisse peut déjà traiter des faits qui se sont produits à l’étranger: dans des cas de corruption par exemple ou de garde d'enfants lors d'un divorce.
Une affaire concernant les droits humains a été traitée en 2006 à Genève. Il s'agissait d'un procès intenté contre une succursale d'IBM. Celle-ci était accusée d'avoir fabriqué des machines à cartes perforées qui ont permis de compter les victimes des camps de concentration nazis. Le Tribunal fédéral avait considéré que la société avait bien participé au génocide.
Réunir les preuves à l'étranger
Selon les partisans de l'initiative, il reviendra aux plaignants d'apporter les preuves au tribunal suisse. Mais puisque celui-ci n'ira pas lui-même mener l'enquête sur place, cela ne pose pas de problème pour la justice suisse, estiment les partisans du texte.
En revanche, du côté de l'Office fédéral de la justice, on explique que l'initiative compliquerait la récolte d'informations. Car le dommage en question ne sera pas causé par la société-mère en Suisse mais par une filiale juridiquement indépendante, hors du territoire helvétique.
Et pour agir à l'étranger, les autorités doivent recourir à l’entraide judiciaire internationale qui peut s'avérer difficile.
Avalanche de plaintes?
Alors que les opposants affirment qu'un nouveau règlement exposerait les entreprises à une avalanche de plaintes, les partisans réfutent. Quant à l'Office fédéral de la justice, il estime qu'il est impossible de faire un pronostic sur une éventuelle augmentation des procédures.
Une initiative avant-gardiste?
Comparaison avec l'étranger
L'initiative est présentée par ses opposants comme unique au monde. Elle va trop loin, disent-ils. Il existe en fait déjà un règlement en France qui implique la responsabilité civile des entreprises sur les droits de l'homme et les standards environnementaux. Il s'agit de la loi vigilance, adoptée en 2017.
Les opposants à l'initiative suisse rétorquent à cela que le champ d'application de la loi vigilance est beaucoup plus restreint. Car ce sont uniquement les entreprises de plus de 5000 employés, en France, et de plus de 10'000 collaborateurs au niveau mondial qui sont touchées par cette législation.
En Suisse, le texte vise toutes les entreprises qui ont leur siège sur le territoire helvétique et qui sont actives à l'étranger. Les initiants disent vouloir exclure les PME, mais le champ d'application doit encore être défini.
En revanche, la loi vigilance est plus sévère concernant la chaîne d'approvisionnement. La maison-mère est en effet responsable des agissements de ses filiales, mais aussi de ses fournisseurs. Alors qu'avec l'initiative c'est la notion de contrôle économique qui est décisive.
Projets similaires à l'initiative
Il existe toutefois des projets comparables au texte "entreprises responsables". L’Union Européenne s’est engagée à émettre une directive "sur la diligence en matière des droits de l'homme et de l'environnement" à partir de l’année prochaine.
Une directive qui devrait inclure, elle aussi, une clause de responsabilité civile des entreprises. La commission européenne doit lancer prochainement une consultation publique.
Le contre-projet prévoit jusqu'à 100'000 francs d'amende
Comme il a déjà été mentionné, le contre projet ne prévoit pas que les sociétés suisses puissent être jugées en Suisse, en cas d'atteinte aux droits humains ou à l'environnement à l'étranger.
Il s'agit essentiellement d'obliger les sociétés de rédiger un rapport sur ces questions. Elles risquent une amende de 100'000 francs maximum.
L'obligation de produire des rapports se retrouve dans la plupart des législations en vigueur actuellement dans le monde.