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Fraude colossale à la Société Générale

Malgré la perte, le directeur de la banque peut garder son poste
Malgré la perte, le directeur de la banque peut garder son poste
La Société Générale, l'une des trois premières banques françaises, indique avoir perdu 7 milliards d'euros. L'un de ses traders a fait s'envoler près de 5 milliards dans la fraude la plus colossale de l'histoire de la finance mondiale.

En pleine tourmente boursière internationale, la banque a été
contrainte d'annoncer jeudi cette fraude interne de 4,9 milliards
d'euros (7,8 milliards de francs), auxquels s'ajoutent 2 milliards
de dépréciations liées à la crise des «subprimes».



Après avoir été suspendue à la demande de la banque, l'action de
la Société Générale enregistrait une baisse de presque 5% à la
reprise de sa cotation à la Bourse de Paris. Des spéculations
étaient relancées sur un éventuel rachat par une concurrente.



Malgré la tourmente, la Société Générale a déclaré que son conseil
d'administration a rejeté mercredi la proposition du PDG Daniel
Bouton de démissionner de ses fonctions "et lui a renouvelé toute
sa confiance ainsi qu'à l'équipe de direction". Daniel Bouton, et
son directeur général, Philippe Citerne, ont décidé de renoncer à
leur bonus 2007 ainsi qu'à leur salaire fixe pendant les six
premiers mois de cette année.



Pour faire face à la situation, la Société Générale a indiqué
qu'elle allait procéder à une augmentation de capital de 5,5
milliards d'euros. La banque avait déjà été critiquée par les
analystes financiers pour son silence ces derniers jours alors que
le titre chutait en pleine crise des «subprimes». Il a perdu plus
de 20% de sa valeur depuis le début de l'année, et plus de 40% sur
les six derniers mois.

Transactions fictives

Selon les explications de la banque, la fraude a été découverte
le 19 janvier: un trader, opérant dans une sous-division de ses
activités de marché, a profité de «sa connaissance approfondie des
procédures de contrôle» pour «dissimuler ses positions grâce à un
montage élaboré de transactions fictives». L'employé à l'origine de
la fraude, opérant à Paris et dont l'identité n'a pas été révélée,
a été relevé de ses fonctions.



La Société générale a liquidé depuis ces positions mais compte
tenu de leur taille et «des conditions de marché particulièrement
défavorables», cette fraude a un impact négatif de 4,9 milliards
d'euros sur son résultat net.



Lors d'une conférence de presse convoquée d'urgence, le patron de
la Société Générale, Daniel Bouton, a tenté de s'expliquer sur
cette fraude gigantesque et a présenté ses «excuses» aux
actionnaires.

Un seul homme

«C'est un homme seul qui a construit une entreprise dissimulée à
l'intérieur du groupe en utilisant les instruments de la Société
Générale et qui a eu l'intelligence d'échapper à toutes les
procédures de contrôle», a-t-il déclaré.



Il a précisé que le trader avait «agi tout au long de l'année»
2007 et qu'une plainte allait être déposée à son encontre. Le
trader «a joué, mais pas à son profit», a déclaré une source
syndicale à l'issue d'une réunion avec la direction. De son côté,
l'avocat d'une centaine d'actionnaires de la banque a affirmé avoir
déposé une plainte pour «escroquerie, abus de confiance, faux,
usage de faux et complicité, et recel».



Interrogé en marge du forum de Davos, le Premier ministre français
François Fillon a parlé d'une fraude «très importante» et d'une
«affaire sérieuse». Mais il a souligné qu'elle n'avait «rien à
voir» avec la tourmente actuelle des marchés mondiaux et rappelé
que la Société Générale affichait malgré tout un bilan
positif.



De fait, malgré les 6,9 milliards perdus, la banque a annoncé pour
2007 un bénéfice net estimé entre 600 et 800 millions d'euros. Mais
la chute est spectaculaire par rapport au résultat net de 5,221
milliards en 2006.



agences/het

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Explications mises en doute

L'explication donnée par la banque française Société Générale, qui a annoncé des pertes de près de 7 milliards d'euros dont 4,9 milliards à cause de la fraude d'un de ses traders, est difficile à croire, estime Elie Cohen, professeur d'économie à Science Po.

"La Société Générale nous dit aujourd'hui qu'un trader senior a spéculé sur des actions, notamment des indices d'actions, sans se couvrir. Il aurait dissimulé des pertes devenues rapidement colossales. Il semble qu'il ait agi pendant toute l'année 2007", a rappelé Elie Cohen, également directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

"Cela semble un peu gros que pendant toute une année on puisse dissimuler" une telle perte, a-t-il estimé. "La défense de la Société Générale, c'est que le trader connaissait tellement bien les opérations de contrôle interne" qu'il a réussi à dissimuler ses pertes, fait valoir Elie Cohen. Mais, selon lui, "le sentiment des salles de marchés, c'est qu'il n'est pas possible qu'un individu seul ait pu faire cela. La Société Générale aurait chargé la barque sur le thème de la fraude pour faire passer plusieurs mauvaises opérations de marché".

Ce sentiment a été confirmé par un analyste d'une société de gestion parisienne, souhaitant garder l'anonymat, qui estime "curieux que quelqu'un qui semble-t-il n'avait pas de très grosses responsabilités" ait pu seul provoquer de telles pertes. Selon lui, la Société Générale est peut-être en train de "charger un pauvre bougre pour faire passer des pertes qui se sont accumulées" au cours de la crise des "subprimes" (prêts immobiliers à risques américains).

Enquête de la Banque de France

La Banque de France a annoncé jeudi qu'elle allait diligenter une enquête sur la fraude.

"Une enquête de la Commission bancaire sera diligentée pour examiner les conditions dans lesquelles la fraude est intervenue", affirme l'institution.

L'affaire Nick Leeson
En février 1995, un courtier britannique de 28 ans installé à Singapour, Nick Leeson, avait fait perdre 1,4 milliard de dollars à la Barings, la plus ancienne banque britannique, en raison de «mauvaises positions» prises sur les marchés dérivés. L'établissement avait fait banqueroute.