Télétravail et visioconférences, achats sur internet, cours en ligne... La pandémie de coronavirus a accru la place du numérique dans la vie quotidienne des Européens.
Mais ces services engendrent des dérives: discours de haine diffusés à grande échelle, manipulation de l'information, mort du petit commerce, limitation de la concurrence...
L'exécutif européen propose deux législations complémentaires pour combler les failles juridiques dans lesquelles s'engouffrent les entreprises.
Des moyens pour modérer les contenus
Premier volet: le Règlement sur les services numériques ("Digital Services Act", DSA) doit responsabiliser l'ensemble des intermédiaires, mais davantage encore les plus grandes plateformes qui devront disposer des moyens pour modérer les contenus qu'elles accueillent et coopérer avec les autorités.
Il représente une mise à jour de la directive e-commerce, née il y a 20 ans quand les plateformes géantes d'aujourd'hui n'étaient encore que de jeunes pousses ou n'existaient pas.
Faire respecter le libre-jeu de la concurrence
Deuxième volet: le Règlement sur les marchés numériques ("Digital Markets Act", DMA) imposera des contraintes spécifiques aux seuls acteurs dit "systémiques", une dizaine d'entreprises dont la toute-puissance menace le libre-jeu de la concurrence. Parmi eux, les cinq "Gafam" (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Ils se verront imposer des règles portant sur la transparence de leurs algorithmes et l'utilisation des données privées, au coeur de leur modèle économique. Ils devront notifier à la Commission tout projet d'acquisition de firme en Europe.
Ces champions de la valorisation boursière sont accusés d'imposer leur loi aux concurrents quand ils ne les ont pas tout bonnement anéantis.
Ils devront "changer significativement leur façon de procéder", a affirmé Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur, estimant que l'espace numérique doit profiter à toutes les entreprises, même les plus petites.
Un système de sanctions en cas de non-respect
A ces règles sont accolées des sanctions. Selon des sources européennes, elles iront jusqu'à 10% du chiffre d'affaires pour de graves infractions à la concurrence, et dans les cas extrêmes, pourront déboucher sur un démantèlement: l'obligation de céder des activités en Europe.
En matière de contenus illégaux en ligne, les amendes pourront atteindre 6% du chiffre d'affaires. Une interdiction de poursuivre son activité en Europe pourra être imposée "en cas de manquement grave et répété ayant pour conséquences la mise en danger de la sécurité des citoyens européens".
Ce projet sera encore négocié pendant au moins un an avec le Parlement européen et les Etats membres. Il intervient alors qu'aux Etats-Unis des procédures ont été lancées contre Google et Facebook, accusés d'avoir abusé de leur position dominante dans les moteurs de recherche et les réseaux sociaux.
"Mettre de l'ordre"
Interrogé dans La Matinale de mercredi, Thibault Schrepel, Docteur en droit de la concurrence, professeur à l'Université d'Utrech, estime que les mesures proposées vont "effectivement mettre de l'ordre mais la question est de savoir dans quelle mesure l'ordre qu'elles vont établir est souhaitable".
afp/ther
Les GAFAM se préparent à un lobbying intense
Face à cette offensive, les mastodontes américains préparent un lobbying intense pour atténuer le projet, comme l'a révélé la fuite en novembre d'un document interne de Google évoquant une volonté d'affaiblir Thierry Breton.
Le projet de la Commission risque d'aboutir à "des règles brutales et rigides ciblant la taille au lieu de sanctionner les conduites problématiques", estime Kayvan Hazemi-Jebelli, en charge des questions de concurrence pour La Computer and Communications Industry Association (CCIA) qui représente des entreprises du secteur. Il y voit un danger pour l'innovation et la croissance en Europe.
Et la Suisse?
La Suisse devrait également bénéficier de ces nouvelles règles européennes, a expliqué dans La Matinale Robin Eymann, chargé de la politique économique à la Fédération romande des consommateurs.
En revanche, les sanctions prévues par la loi suisse sont très peu contraignantes, ce que que déplore Jean Philippe Walter, commissaire à la protection des données du Conseil de l'Europe.