Commençons ce sinistre inventaire à Genève, par l'hôtel Atrium Airport, propriété du groupe Boas. Cet établissement flambant neuf de 163 chambres a été inauguré le 26 février 2020. Pratiquement jamais ouvert, il a été mis en faillite le 2 novembre, avec un plan de licenciement pour une trentaine de collaborateurs.
Passons ensuite aux fleurons de l'hôtellerie, qui se trouvent à deux pas du Lac. Eux aussi ont été mis à terre par la pandémie. Le Richemont, hôtel 5 étoiles historique, fréquenté notamment par Charlie Chaplin, Chagall ou Sophia Loren, a fermé ses portes le 31 août dernier. L'ensemble des 140 collaborateurs ont été licenciés. A quelques mètres de là, les propriétaires du Beau-Rivage ont dû se séparer de leur palace genevois après 150 ans. N'arrivant plus à faire face, ils l'ont vendu à une famille espagnole.
Pour le président d'Hôtellerie Suisse Gilles Rangon, c'est un véritable "marasme". "A Genève, nous avons perdu 70 à 80% de notre chiffre d'affaires, nous naviguons entre 5 et 15% de taux d'occupation, ce qui ne suffit pas pour pouvoir maintenir nos entreprises à flot. Plus que jamais, nous avons besoin d'un soutien de l'État".
Aides trop tardives
Les aides à fonds perdus et l'assouplissement des conditions d'octroi promis par la Confédération le 13 janvier pourront offrir un bol d'air à tout le secteur.
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Mais pour beaucoup, ces aides arrivent trop tard. Pablo Pizzaro, le directeur général de l'Hôtel Président Wilson à Genève, les attendait au mois de décembre: "nous avons des salaires qu'on a dû sortir au mois de décembre, avec les 13èmes salaires. Dans un bâtiment comme le président Wilson, il y a énormément de charges. Et fin janvier, nous n'avions toujours rien reçu. Donc heureusement que notre propriétaire a les reins solides".
Moins de 10% des montants à disposition
Hôteliers, restaurateurs, nombreux sont ceux qui déplorent le manque de réactivité des autorités. Des milliards de francs ont déjà été versés en 2020 pour financer le chômage partiel (RHT) ou l'assurance perte de gain (APG). Mais en ce qui concerne les cas de rigueur, les sommes distribuées à ce jour ne sont pas élevées.
Sur l'ensemble des cantons romands (avec Berne), près de 79 millions de francs ont été distribués à plus de 3600 entreprises. Soit moins de 10% des montants mis à disposition par les cantons pour les cas de rigueur. A noter que les sommes promises par la Confédération ne sont pas encore arrivées aux cantons.
Interrogés, les départements de l'Economie des cantons romands affirment que tout est mis en oeuvre pour traiter au plus vite les nombreuses demandes qui arrivent ces jours-ci.
Jusqu'ici, chaque canton avait son système d'aide pour les cas de rigueur. Les comparaisons entre cantons sont donc à prendre avec quelques pincettes.
Il n'empêche que de nombreux patrons témoignent n'avoir encore rien reçu. "Les changements, évolutions et précisions des cadres légaux fédéraux intervenus entre novembre et mi-janvier ont freiné la mise en oeuvre du mécanisme de soutien aux cas de rigueur", explique notamment Jean-Kley Tullii, chef au service de l'Economie du canton de Neuchâtel.
Demandes incomplètes
Dans plusieurs cantons, on explique aussi ces retards de paiement en raison de dossiers incomplets ou mal remplis, parfois même des demandes manuscrites quasi-illisibles: "Il y a pour certains une méconnaissance des mécanismes et des difficultés à remettre des dossiers. Certaines entreprises n'ont pas demandé de RHT depuis mars 2020 alors qu'elles y avaient droit", affirme Lionel Socchi, délégué jurassien à la promotion économique.
Avec les clarifications fédérales, le système est aujourd'hui plus opérationnel et les cantons anticipent une forte augmentation des demandes dans les jours qui viennent. A Genève, par exemple, une nouvelle plateforme de demande a été mise en ligne mercredi 3 février. En seulement deux jours, plus de 350 demandes ont été enregistrées.
Course contre la montre
En attendant, une véritable course contre la faillite a débuté. "Je ne sais pas si les aides viennent trop tard, mais l'important maintenant, c'est que l'argent arrive. Car aujourd'hui, je ne connais pas un hôtel qui a encore bénéficié d'un franc d'aide pour cas de rigueur", souligne Alain Becker, directeur de l'Association romande des hôteliers.
Dans le canton de Vaud, la situation n’est guère plus reluisante qu'à Genève. Les palaces comme le Beau Rivage ou le Montreux Palace sont fermés, et l'Hôtel Aulac à Ouchy a déposé le bilan.
Contrairement aux restaurants, les hôtels n'étaient pas contraints de fermer. Mais la demande n'était simplement pas au rendez-vous. Alors Alain Kropf, directeur du Royal Savoy à Lausanne, a préféré fermer: "L'équation entre la quantité de frais fixes que je dégage en restant ouvert et la très faible demande nous a amenés à prendre cette décision".
Même fermé avec des employés au chômage partiel, un hôtel comme celui-ci doit tout de même encore supporter des frais fixes, comme des contrats de maintenance ou le chauffage minimum du bâtiment en hiver. Et pour des hôtels de luxe avec 200 chambres et des spa, les montants grimpent vite.
Un quart des hôtel menacés
Pour l'heure, l'hôtel parvient à tenir debout, grâce notamment au groupe qui le soutient, appartenant à un fonds qatari. Mais tous n'ont pas cette chance. "Dans les villes, en particulier dans les grandes villes, on a des pertes de chiffre d'affaires qui vont jusqu'à 80%", déplore Alain Becker.
Selon un sondage réalisé par GastroSuisse auprès de ses membres, en l'absence d'aide financière, près de la moitié des entreprises du secteur de la restauration et de l'hôtellerie risquent de faire faillite d'ici fin mars. De son côté, l'Ecole de tourisme de Sierre estime qu'un quart des hôtels du pays sont aujourd'hui menacés.
Feriel Mestiri et Philippe Lugassy