"Un traitement sur huit ne pourra plus être effectué comme auparavant". Cette prévision inquiétante est issue d'une enquête réalisée par l'Association de la technologie médicale suisse, Swiss Medtech, qui anticipe les conséquences sur la santé, si aucun accord n'est trouvé entre la Suisse et l'Union européenne avant le 26 mai prochain.
Tous les acteurs de la branche sont sous tension depuis que l'Union européenne (UE) a décidé de durcir sa réglementation sur les dispositifs médicaux. Cette réforme, entreprise après le scandale des implants mammaires en France, entrera en vigueur dans 66 jours. Il faut donc réactualiser l'accord de reconnaissance mutuelle (ARM) entre la Suisse et l'UE. L'ARM permet un accès sans entrave au marché des deux côtés de la frontières pour de nombreux produits industriels, parmi lesquels figurent les dispositifs médicaux. Mais l'UE refuse d'y toucher tant que la Suisse n'aura pas signé l'accord-cadre institutionnel. Or, cette perspective ne semble pas prête de se concrétiser. Ce dimanche, le SonntagsBlick publiait une enquête décrivant l'accord institutionnel comme politiquement mort.
"Oui, nous sommes bien pessimistes. Sans accord-cadre, l'Europe nous considérera comme un État tiers", affirme Daniel Delfosse, responsable des affaires réglementaires chez Swiss Medtech. Concrètement, chaque entreprise suisse devra nommer un mandataire comme représentant légal dans l'UE, et vice-versa.
Plus de 100 millions de francs
Pour les entreprises suisses, cette contrainte représente un coût important, estimé à plus de 100 millions de francs pour les 350 entreprises concernées. Un coût relativement faible au regard des 5,2 milliards de francs de dispositifs médicaux que la Suisse exporte vers l'UE. Mais ces millions auraient été mieux engagés dans l'innovation ou l'investissement en Suisse plutôt que dans les charges administratives.
Frédéric Mani, le directeur de l'entreprise Quantième+ basée à Gland, dit avoir engagé de fortes ressources financières. Pour ce fabricant de fraises hi-tech, le marché européen représente la moitié du potentiel de vente. C'est pourquoi il a entrepris des démarches il y a plus d'une année et demie, démarches qui viennent seulement d'aboutir. "Nous avons trouvé une société soeur en France qui va nous représenter. Il a fallu commander un audit et de nombreuses démarches de certification. Cela représente du temps et de l'argent. Mais les entreprises qui n'ont pas de société soeur dans l'UE courent le risque d'une fuite de leur savoir-faire", note Frédéric Mani.
Surcoût des produits importés
Est-ce que les quelque 5000 fabricants étrangers qui exportent actuellement en Suisse se donneront autant de mal pour le petit marché suisse? Rien n'est moins sûr. D'autant qu'il faudrait également 5000 représentants en Suisse, ce qui pourrait créer un goulot d'étranglement. Selon l'étude de Swiss Medtech, 12% des dispositifs médicaux utilisés aujourd'hui ne seront plus disponibles.
L'entreprise Marcel Blanc & Cie SA, qui commercialise toute une panoplie de dispositifs médicaux, importe du matériel provenant de 47 fournisseurs au sein de l'UE. Soit autant de fabricants qui pourraient potentiellement la mandater pour être leur représentant légal en Suisse. Mais personne ne s'est encore prononcé, tant que l'ordonnance des autorités helvétiques n'a pu être publiée: "Je ne me fais pas de soucis pour notre activité. Être officiellement leur représentant suisse vis-à-vis des autorités générerait une surcharge de travail, mais pour nous, c'est une opportunité de renforcer notre partenariat et continuer à assurer un service de proximité à nos clients", explique Michel Bänninger, le directeur commercial de la société.
Mais l'opportunité pour les importateurs pourrait se faire au détriment de l'utilisateur final. Selon Swissmedtech, la surcharge de travail serait reportée sur les produits, dont le surcoût pourrait représenter entre 9 et 18% par produit. Ceux qui paieraient la facture seraient les hôpitaux, les médecins, les assurances, et donc la collectivité.
Perte d'attractivité
Des produits médicaux en moins, une augmentation des coûts, mais aussi une perte d'attractivité de la Suisse pour les Medtech. "Une start-up médicale en Suisse devra en même temps ouvrir une société quelque part en Europe si elle veut vendre ses produits sur le marché européen. Alors pourquoi n'irait-elle pas tout de suite en France ou Allemagne pour le faire?", s'interroge Daniel Delfosse, de Swiss Medtech.
A Berne, l'inquiétude résonne face à cet accord-cadre qui semble mourant, mais pas mort, à en croire le conseiller fédéral Ignazio Cassis lundi après-midi: "Les discussions continuent depuis janvier et nous sommes en train d'explorer toutes les possibilités pour arriver à un accord", assure-t-il.
En attendant, la branche attend du Conseil fédéral qu'il trouve une solution provisoire si aucun accord n'est trouvé au 26 mai, ou du moins, "une période de grâce pour s'y préparer".
Feriel Mestiri et Pascal Jeannerat