L'un des plus grands datacenters de Suisse pourrait s'installer à Saint-Triphon (VD)
La carrière de Saint-Triphon, connue dans tout le pays pour abriter une scène de théâtre à ciel ouvert, devrait bientôt changer de décor. Le village situé sur la commune d'Ollon (VD) prévoit d'accueillir dès l'an prochain l'un des plus grands datacenters, ou centre de données, de Suisse.
"Le datacenter sera composé de trois halles, pour une surface totale au sol de 14'000 m2 sur trois étages. Cela représente environ 3000 racks. Et pour gérer ces 3000 armoires informatiques, nous allons créer 60 places de travail", indique son architecte Alain Audemars, directeur Arcos'arre Architecture, au 19h30.
Un campus adjacent devrait arriver dans un deuxième temps, dédié à des sociétés gravitant autour de ces centres de calculs. L'ensemble du projet, devisé à 400 millions de francs, devrait aboutir en 2023 ou 2024.
Croissance exponentielle
Ce centre de calcul devrait avoir des capacités comparables à celui de Gland (VD), actuellement le plus grand du pays. Mais les besoins de stockage des données informatiques ne cessent de grandir et des projets comme celui-ci sont amenés à se multiplier en Suisse dans les années à venir. La digitalisation de la société et de l'économie grandissent, et la crise du Covid a donné un coup d'accélérateur à cette croissance.
"Les entreprises sont entrées dans un mode collaboratif, avec le télétravail à outrance. Cela implique qu'on devient de plus en plus interconnectés en permanence. Il faut donc des infrastructures qui peuvent supporter cette charge informatique", explique Stéphane Jaquet, fondateur de DCC Consulting.
Selon l'analyste, il y aurait depuis 12 mois une croissance exponentielle des flux de données partant des entreprises vers le cloud.
La Suisse compte actuellement 93 centres de données, essentiellement à Zurich et dans l'Arc lémanique. Au total, ces datacenters totalisent une surface de près de 154'000 m2, soit environ 24 terrains de football.
Proche des affaires
Selon Stéphane Jaquet, la quantité de données stockées dans ces datacenters pourrait potentiellement doubler ces 5 prochaines années, sous l'impulsion notamment des géants du cloud comme Amazon, Google ou Microsoft.
"Les GAFAM [acronyme des géants du web Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft] ont besoin de ce genre d’infrastructure, parce qu'ils veulent se rapprocher de leurs clients finaux. Or, la Suisse possède énormément de sociétés qui y ont établi leur siège. Aussi, ils veulent répondre aux nouvelles exigences de protection des données. Car dorénavant, les données ne doivent plus quitter les pays dans lesquels elles se trouvent, sans le consentement de l’utilisateur final", explique le spécialiste en datacenter et cloud computing.
Il n'est donc pas étonnant de voir les datacenters se multiplier précisément à Zurich et dans l'Arc lémanique, deux centres névralgiques des affaires. Selon un rapport de la société immobilière CBRE, la région zurichoise se classe sixième en Europe, après Francfort, Londres, Amsterdam, Paris et Dublin en termes d'alimentation électrique des centres de données.
Suisse attractive
Le grand nombre de sociétés n'est pas le seul facteur de l'attrait de la Suisse. Le pays dispose d'un réseau de télécommunications extrêmement fiable, avec beaucoup d'interconnections des opérateurs mondiaux. Les infrastructures d'électricité sont aussi de très bonne qualité et fiabilité. Ces deux éléments sont cruciaux pour garantir l'accessibilité des données.
Le climat helvétique est lui aussi favorable, avec des éléments essentiels permettant de refroidir les machines. Finalement, les écoles polytechniques avec leurs nouvelles idées et leurs dernières technologies rendent la Suisse attractive pour y installer des halles de serveurs à proximité.
Gourmands en énergie
Pour fonctionner, ces infrastructures nécessitent beaucoup d'énergie. Selon l'Office fédéral de l'énergie, en 2019, les centres de calcul et les salles des serveurs ont consommé 2,1 TWh, soit 3,6% de la consommation totale d’électricité en Suisse. Une part qui devrait augmenter ces prochaines années, à mesure que se développent ces forteresses de données.
Paradoxalement, ces datacenters permettraient une efficience énergétique: "Si l'on prend la somme de tous les mini datacenters dans les entreprises et qu'on les regroupe sur ces gros centres, l'efficacité énergétique sera bien meilleure", souligne Stéphane Jaquet.
A Saint-Triphon, la chaleur, et donc l'énergie produite par le futur datacenter, servira à chauffer les alentours, notamment le parc d'entreprises prévu sur le site: "Au lieu de devoir refroidir pour les racks, on va plutôt évacuer la chaleur et la valoriser ailleurs", précise Joel Spengler, Senior consultant chez L&S Consultants SA.
Premier coup de pioche cet été?
La neutralité énergétique convoitée par les promoteurs a fait mouche auprès des autorités d'Ollon: "On nous a garanti que le projet allait être le plus neutre possible en termes d'émissions carbone. C'est quand-même des technologies du futur et il y a une grosse demande en terme de stockage de données. Je pense qu'on est vraiment dans un projet qui s'inscrit à long terme", estime Nicolas Croci Torti, municipal de l'urbanisme pour la commune d'Ollon.
Les promoteurs comptent déposer un permis de construire le mois prochain, une fois levées les six oppositions préalables d'habitants de Saint-Triphon et de Pro Natura. Quant au théâtre en plein air, il est prévu à terme de lui trouver un autre emplacement au pied de la carrière.
Feriel Mestiri et Gabriel de Weck