Au niveau mondial, 80% des banques centrales planchent sur une monnaie numérique gérée par l'Etat (CBDC). Les Bahamas sont devenus, en octobre dernier, le premier pays à avoir sa monnaie virtuelle, le Sand Dollar. LA Chine et la Suède mènent, elles, des expériences à grande échelle.
Dans son dernier rapport, la Banque des règlements internationaux (BRI) apporte son soutien total au développement de ces nouvelles monnaies.
Pendant longtemps, les grandes banques centrales ont regardé d'un oeil curieux, voire amusé, les cryptomonnaies comme le bitcoin. Mais l'annonce en 2019 par Facebook de son projet Libra, devenu Diem, a réveillé les consciences.
L'ombre de Facebook
Car il pourrait exister une monnaie internationale, utilisée massivement, qui échappe complètement au contrôle des Etats et au système bancaire traditionnel.
Une véritable prise de conscience. "Ça crée l'idée d'un monde où les banques centrales ne pourraient plus remplir le rôle de service public", analyse Benoît Cœuré, responsable du pôle innovation à la BRI.
"Pour continuer à être présente, elles réfléchissement à adapter leurs instruments et émettre, elles-mêmes, de la monnaie numérique."
Dématérialisation des paiements
Une révolution dans ce monde où la prudence est de mise. Car les banques centrales doivent assurer la confiance dans la monnaie souveraine, la stabilité des systèmes de paiement et de la finance. Mais aussi pouvoir injecter des liquidités en cas de crise.
Le monde change. Il se numérise. Les paiements se dématérialisent, même pour les transactions du quotidien. La pandémie a encore accéléré le phénomène.
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Les Etats planchent donc sur l'équivalent électronique du billet de banque, pour conserver un contrôle sur l'argent et disposer de politiques monétaires permettant la stabilité financière du pays.
Manque de maturité
Alors que les économistes envisagent encore les conséquences possibles de l'introduction des monnaies numériques d'Etat, les ingénieurs sont au travail. Les tests grandeur nature se multiplient. Mais pour l'heure, la technologie n'est pas encore mature pour un déploiement immédiat dans les grands pays.
Les systèmes doivent tenir le choc. Ils seront utilisés par des dizaines, voire des centaines de millions de personnes en même temps. Il n'y a pas de place pour le bug. Robustesse, sécurité, cyberattaques, ces monnaies devront être irréprochables.
Les États devront également trancher une épineuse question: comment gérer les données personnelles produites par les monnaies numériques émises par les banques centrales?
Quel accès aux données?
Aujourd'hui, deux grandes idées s'affrontent pour gérer ces données. La première est basée sur un système de clé cryptographique, sans identification personnelle. Comme pour l'argent liquide ou le bitcoin, l'anonymat est complet. Difficile de lutter contre la corruption et le blanchiment d'argent.
L'autre système a la cote en Europe. Il s'agit d'avoir un compte lié à une identité électronique, une e-ID. Celle-là même qui a été refusée en Suisse lors des votations du 7 mars. Un nouveau projet devrait voir le jour en 2022.
La banque centrale aurait ainsi accès à toutes les transactions. Benoît Cœuré croit plutôt à une voie intermédiaire, avec des banques commerciales qui distribueront cet argent numérique.
La place des banques
"L'identification, l'accueil des clients, le contrôle anti-blanchiment, tout cela restera fait par les banques commerciales ou des prestataires de service de paiement privés non bancaire. Ils garderont la main sur la relation client et les interfaces."
Comme actuellement avec une carte bancaire, l'Etat n'a pas accès aux données de paiement, si ce n'est dans un cadre juridique très précis.
Une autre voie est possible. Le Salvador n'a pas développé sa propre monnaie virtuelle, mais a donné le 9 juin cours légal au bitcoin. Si la BRI ne commente pas les décisions des pays, Benoît Cœuré rappelle la position prise sur cette cryptomonnaie.
Le cash éternel
"Du point de vue de la BRI, quand on regarde la manière dont s'est développé le marché du bitcoin, cette cryptomonnaie n'est pas un instrument de paiement et ne rassemble pas les caractéristiques d'une monnaie. C'est un instrument d'investissement très risqué. Le bitcoin n'est pas un moyen de paiement."
Si la révolution est en marche, elle ne signifie pas la fin des billets de banque. Aujourd'hui, les banques centrales voient plus ces innovations comme un complément à leur monnaie, plutôt qu'un remplacement. Pour l'heure, aucun pays ne prévoit l'abandon de l'argent liquide.
Pascal Wassmer
Vers un e-franc suisse?
Le Conseil fédéral s'est positionné en décembre 2019 contre l'introduction d'un franc numérique pour la population. "Une monnaie électronique de banque centrale destinée au grand public n’apporterait aucun avantage supplémentaire en Suisse, mais engendrerait plutôt de nouveaux risques, notamment en matière de stabilité financière", affirme le gouvernement.
Cette position prudente est partagée par de nombreux pays. La crainte est de voir les particuliers retirer leur argent des comptes bancaires pour les placer en monnaie numérique de banque centrale. "C'est un risque de fragilisation du financement des banques de dépôt", selon Benoît Cœuré. "Les banques centrales cherchent des parades. Il est possible, par exemple, de plafonner les encours disponibles sur les porte-monnaie électronique de monnaie numériques de banque centrale."
Actuellement, la Banque nationale suisse (BNS) expérimente des solutions avec les projets Helvetia et Jura. Il s'agit pour l'instant de moyens de transaction entre les banques uniquement.