La Suisse, un pays pauvre en matières premières minérales. C'est ainsi qu'est souvent perçu le pays lorsqu'on fait le bilan de ses richesses. En termes de valeur économique, il est vrai que la Suisse n'exploite pas de minerais métalliques ou combustibles en raison notamment du coût de la main d'oeuvre, qui rend les exploitations peu rentables. Aussi, l'impact environnemental dans une région très habitée comme la Suisse rend de surcroît l'implantation de mines difficile.
D'un point de vue scientifique en revanche, la Suisse est extrêmement riche en minerais. A peu près tout le tableau périodique des éléments se trouve concentré dans notre pays.
"Avant la formation de la chaîne des Alpes, il y a une trentaine de millions d'années, on avait à peu près 1000 kilomètres de continent ou de fonds marins qui se sont peu à peu écrasés les uns contre les autres. Donc on a une surface considérable qui se retrouve en Suisse, essentiellement dans la chaîne des Alpes. Et plus la surface terrestre est grande, plus on aura de richesses minérales qui vont se concentrer en un seul endroit", explique Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie au Musée cantonal de géologie à Lausanne.
La Suisse abrite notamment l'une des mines les plus remarquables du monde dans la Vallée de Binn, en Valais. Elle attire des scientifiques du monde entier, venus étudier des espèces minérales qui n'existent qu'ici. Dans ce géotope, une trentaine d'espèces minérales n'existent nulle part ailleurs. (A lire plus bas).
Paysans miniers
L'extraction des matières premières minérales en Suisse remonte à environ 3500 ans. Mais les âges d'or de l'activité se situent vers le VIIe et VIIIe siècle (avec l'extraction du fer), puis durant la révolution industrielle au XIXe siècle, où de nombreux minerais ont été extraits. Les deux Guerres mondiales, qui vont isoler la Suisse, vont pousser les autorités du pays à creuser des galeries et étudier toutes les matières premières qui se trouvent dans les sous-sols. Le charbon sera exploité massivement durant la Seconde Guerre mondiale, pour répondre à un besoin fondamental de combustible.
En dehors de ces grandes périodes d'âge d'or, qui ont vu des centaines, voire des milliers d'ouvriers travailler dans les mines, l'activité minière en Suisse reste relativement marginale. "Ce sont souvent des paysans propriétaires de terres qui vont se mettre à creuser et qui vont exploiter, soit pour leur propre besoin, soit pour revendre du minerai à des compagnies itinérantes", note Nicolas Meisser.
Plusieurs minerais ont fait la réputation de la Suisse. A commencer par l'asphalte du Val-de-Travers (NE), l'un des plus gros gisements européens, dont la matière première s'est exportée dans le monde entier (A lire plus bas).
Il y a aussi des roches ornementales, comme le marbre Cipolin de la carrière souterraine de Saillon (VS), réputé comme étant le marbre le plus beau et le plus cher du monde. On le retrouve dans des monuments du monde entier, depuis son apparition remarquable à l'Opéra de Paris.
Le minerai le plus célèbre reste certainement le cristal de roche, déjà évoqué par Pline il y a 2000 ans et devenu un symbole du pays. "Auparavant, on en faisait des pendeloques pour des lustres, ou des bijoux fantaisie. Maintenant, ce sont des purs objets de collection, répandus dans le monde entier", souligne Nicolas Meisser. De nos jours, entre 100 et 300 cristalliers vont encore chercher ces cristaux dans les Alpes.
Loin de Germinal
Les conditions de travail dans les mines suisses étaient plutôt bonnes, selon Nicolas Meisser: "Germinal [nom d'un roman d'Émile Zola, ndlr] était une affaire franco-française, voire britannique. Mais dans les autres pays, comme l'Allemagne ou la Suisse, on n'a quasiment pas de telles conditions."
En Suisse, il y aurait eu un meilleur respect des mineurs, qui étaient considérés en raison des risques du métier. Aussi, les conditions décrites par Emile Zola ne trouvaient pas d'écho en Suisse, car les mines y sont petites: quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres à peine. "Ce ne sont pas des puits verticaux kilométriques qui s'enfoncent sous terre, comme dans le nord de la France", précise le professeur de l'Université de Lausanne.
Toutefois, dans un documentaire filmé en 1973 dans la mine d'asphalte de Val-de-Travers, l'historien Jean-Pierre Jelmini témoigne de conditions de travail dignes du début du XXe siècle. "Il n'y avait pas de modernisation, rien du tout", dit l'historien neuchâtelois.
Dans les années 1960, les récits d'anciens mineurs de charbon à Oron (VD) évoquent également des conditions de travail particulièrement dangereuses et difficiles durant les années de guerre.
De l'arrêt des mines à la valorisation des déchets
La révolution industrielle a été un âge d'or des mines en Suisse, mais elle a aussi engendré l'arrivée du chemin de fer, qui signera l'arrêt de leur exploitation. La baisse des tarifs ferroviaires dès 1871 permet aux matières premières bon marché et de meilleure qualité de transiter d'un bout à l'autre de l'Europe et de concurrencer les minerais suisses.
Après la Seconde Guerre mondiale et les Trente glorieuses, les accords commerciaux entre les pays, qui vont faciliter les échanges, vont accélérer la fermeture des mines en Suisse. Le charbon, l'or ou le fer cesseront peu à peu d'être exploités durant les années 50 et 60.
Aujourd'hui, de l'activité minière suisse, il ne reste que l'exploitation du sel dans les Mines et Salines de Bex (VD). Avec les Salines du Rhin, ce sont les seuls fournisseurs de sel du pays.
Reste un avenir potentiel dans la valorisation de sable et de gravier, exploité massivement en Suisse pour la construction. "Si on se donne la peine, on peut récupérer du fer, du titane, du zirconium, de l'or et potentiellement du platine. Il y a tout un panel de matériaux qui sont exploités, mais qui ne sont pas séparés", souligne Nicolas Meisser.
De même, les scories, ces résidus solides provenant de l'incinération des déchets, contiennent beaucoup de métaux: cuivre, zinc et autres métaux rares, qu'il serait intéressant de valoriser, afin d'imaginer un cycle court.