Dans les entrailles de la Suisse

Grand Format A la mine!

Keystone - Gabriele Putzu

Introduction

Selon un dicton, la Suisse est riche en mines pauvres. Les ressources minières dans le pays sont nombreuses, mais la plupart des gisements sont de qualité médiocre et en quantité insuffisante pour bâtir une activité économique rentable. La Suisse a tout de même connu plusieurs périodes d'exploitations minières, notamment durant des crises d'approvisionnement. Des matières premières tels que le charbon, l'or, ou le fer ont été extraits jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle. Plusieurs régions du pays possèdent par ailleurs de nombreuses curiosités scientifiques, notamment dans les Alpes, permettant aux minéralogistes et géologues de reconstituer l'histoire de la Terre.

Chapitre 1
3500 ans d'histoire minière en Suisse

Keystone - Albert Jansen

La Suisse, un pays pauvre en matières premières minérales. C'est ainsi qu'est souvent perçu le pays lorsqu'on fait le bilan de ses richesses. En termes de valeur économique, il est vrai que la Suisse n'exploite pas de minerais métalliques ou combustibles en raison notamment du coût de la main d'oeuvre, qui rend les exploitations peu rentables. Aussi, l'impact environnemental dans une région très habitée comme la Suisse rend de surcroît l'implantation de mines difficile.

D'un point de vue scientifique en revanche, la Suisse est extrêmement riche en minerais. A peu près tout le tableau périodique des éléments se trouve concentré dans notre pays.

"Avant la formation de la chaîne des Alpes, il y a une trentaine de millions d'années, on avait à peu près 1000 kilomètres de continent ou de fonds marins qui se sont peu à peu écrasés les uns contre les autres. Donc on a une surface considérable qui se retrouve en Suisse, essentiellement dans la chaîne des Alpes. Et plus la surface terrestre est grande, plus on aura de richesses minérales qui vont se concentrer en un seul endroit", explique Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie au Musée cantonal de géologie à Lausanne.

La Suisse abrite notamment l'une des mines les plus remarquables du monde dans la Vallée de Binn, en Valais. Elle attire des scientifiques du monde entier, venus étudier des espèces minérales qui n'existent qu'ici. Dans ce géotope, une trentaine d'espèces minérales n'existent nulle part ailleurs. (A lire plus bas).

>> L'interview de Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie au Musée cantonal de géologie à Lausanne :

ITW_MEISSER [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 12 juillet 2021

Paysans miniers

L'extraction des matières premières minérales en Suisse remonte à environ 3500 ans. Mais les âges d'or de l'activité se situent vers le VIIe et VIIIe siècle (avec l'extraction du fer), puis durant la révolution industrielle au XIXe siècle, où de nombreux minerais ont été extraits. Les deux Guerres mondiales, qui vont isoler la Suisse, vont pousser les autorités du pays à creuser des galeries et étudier toutes les matières premières qui se trouvent dans les sous-sols. Le charbon sera exploité massivement durant la Seconde Guerre mondiale, pour répondre à un besoin fondamental de combustible.

En dehors de ces grandes périodes d'âge d'or, qui ont vu des centaines, voire des milliers d'ouvriers travailler dans les mines, l'activité minière en Suisse reste relativement marginale. "Ce sont souvent des paysans propriétaires de terres qui vont se mettre à creuser et qui vont exploiter, soit pour leur propre besoin, soit pour revendre du minerai à des compagnies itinérantes", note Nicolas Meisser.

Plusieurs minerais ont fait la réputation de la Suisse. A commencer par l'asphalte du Val-de-Travers (NE), l'un des plus gros gisements européens, dont la matière première s'est exportée dans le monde entier (A lire plus bas).

Il y a aussi des roches ornementales, comme le marbre Cipolin de la carrière souterraine de Saillon (VS), réputé comme étant le marbre le plus beau et le plus cher du monde. On le retrouve dans des monuments du monde entier, depuis son apparition remarquable à l'Opéra de Paris.

Le minerai le plus célèbre reste certainement le cristal de roche, déjà évoqué par Pline il y a 2000 ans et devenu un symbole du pays. "Auparavant, on en faisait des pendeloques pour des lustres, ou des bijoux fantaisie. Maintenant, ce sont des purs objets de collection, répandus dans le monde entier", souligne Nicolas Meisser. De nos jours, entre 100 et 300 cristalliers vont encore chercher ces cristaux dans les Alpes.

Loin de Germinal

Les conditions de travail dans les mines suisses étaient plutôt bonnes, selon Nicolas Meisser: "Germinal [nom d'un roman d'Émile Zola, ndlr] était une affaire franco-française, voire britannique. Mais dans les autres pays, comme l'Allemagne ou la Suisse, on n'a quasiment pas de telles conditions."

En Suisse, il y aurait eu un meilleur respect des mineurs, qui étaient considérés en raison des risques du métier. Aussi, les conditions décrites par Emile Zola ne trouvaient pas d'écho en Suisse, car les mines y sont petites: quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres à peine. "Ce ne sont pas des puits verticaux kilométriques qui s'enfoncent sous terre, comme dans le nord de la France", précise le professeur de l'Université de Lausanne.

Toutefois, dans un documentaire filmé en 1973 dans la mine d'asphalte de Val-de-Travers, l'historien Jean-Pierre Jelmini témoigne de conditions de travail dignes du début du XXe siècle. "Il n'y avait pas de modernisation, rien du tout", dit l'historien neuchâtelois.

Dans les années 1960, les récits d'anciens mineurs de charbon à Oron (VD) évoquent également des conditions de travail particulièrement dangereuses et difficiles durant les années de guerre.

De l'arrêt des mines à la valorisation des déchets

La révolution industrielle a été un âge d'or des mines en Suisse, mais elle a aussi engendré l'arrivée du chemin de fer, qui signera l'arrêt de leur exploitation. La baisse des tarifs ferroviaires dès 1871 permet aux matières premières bon marché et de meilleure qualité de transiter d'un bout à l'autre de l'Europe et de concurrencer les minerais suisses.

Après la Seconde Guerre mondiale et les Trente glorieuses, les accords commerciaux entre les pays, qui vont faciliter les échanges, vont accélérer la fermeture des mines en Suisse. Le charbon, l'or ou le fer cesseront peu à peu d'être exploités durant les années 50 et 60.

Aujourd'hui, de l'activité minière suisse, il ne reste que l'exploitation du sel dans les Mines et Salines de Bex (VD). Avec les Salines du Rhin, ce sont les seuls fournisseurs de sel du pays.

Reste un avenir potentiel dans la valorisation de sable et de gravier, exploité massivement en Suisse pour la construction. "Si on se donne la peine, on peut récupérer du fer, du titane, du zirconium, de l'or et potentiellement du platine. Il y a tout un panel de matériaux qui sont exploités, mais qui ne sont pas séparés", souligne Nicolas Meisser.

De même, les scories, ces résidus solides provenant de l'incinération des déchets, contiennent beaucoup de métaux: cuivre, zinc et autres métaux rares, qu'il serait intéressant de valoriser, afin d'imaginer un cycle court.

>> Les explications de Pascal Jeannerat :

Pascal Jeannerat lance notre nouvelle série sur les mines: "la culture minière fait partie de notre histoire."
19h30 - Publié le 12 juillet 2021

Chapitre 2
Au fond de la mine, du charbon

Le charbon a été la plus grande source d'énergie en Suisse dès le milieu du XIXe siècle, avant d'être détrôné par le pétrole dans les années 1950.

Au total, plus de 350 exploitations ont été ouvertes dans quatorze cantons. Mais dans la plupart des cas, les galeries ne sont exploitées que durant quelques années, voire quelques décennies. Dès le début de la révolution industrielle, la Suisse dépend fondamentalement de l'étranger pour son approvisionnement.

Les deux Guerres mondiales et le rationnement étranger obligeront la Confédération à ouvrir des concessions sur son territoire. Sur un total de 3 millions de tonnes de charbon extrait des sous-sols helvétiques, environ 40% sont sortis durant la Seconde Guerre mondiale.

Durant ces années-là, à Châtillens près d'Oron (VD), comme dans une cinquantaine d'autres mines rouvertes en Suisse, on extrait comme jamais auparavant ce précieux combustible. Le nombre de mineurs culmine à 3342 en 1945, principalement en Valais et dans le canton de Vaud.

La tournée du Géant du Valais

"La population suisse est inquiète du rationnement étranger. On va quasiment faire de la propagande, en promenant à travers toute la Suisse romande ce qu'on a appelé le Géant du Valais, un énorme morceau de charbon exploité dans la région de Sion, pour rassurer la population", raconte Nicolas Meisser, conservateur en minéralogie et pétrographie au Musée cantonal vaudois de géologie.

Malgré l'effort considérable, la Suisse ne produira qu'un dixième de ses besoins d'avant-guerre. Le charbon est un minerai stratégique pour chauffer les foyers, mais aussi pour alimenter l'industrie sidérurgique et chimique.

Après la guerre, dépassée par la réouverture des marchés, Châtillens et ses 250 ouvriers sera l'ultime mine suisse de charbon à fermer définitivement ses dangereux boyaux en 1947.

>> Voir les archives de Ciné-Journal Suisse :

Charbon
L'actu en vidéo - Publié le 16 juillet 2021

Souvenirs de mineurs

Vingt-cinq ans après, les derniers mineurs d'Oron témoignaient: "Dans les souvenirs tragiques, je me souviens de l'accident de Gaston Loperetti, qui était un jeune d'Attalens, tué par une explosion dans la mine. Et c'était le dernier tué, du reste, de la mine de Châtillens", narrait en 1976, un ex-mineur dans l'émission Courrier romand de la TSR.

Souvent marginalisés par le reste de la société, les mineurs se serrent les coudes. La solidarité dans les mines de charbon, comme dans les autres, est une constante dans les récits: "La mine forme une famille. Que l'on soit de la mine de Châtillens ou de la mine d'Oron, nous ne formions qu'une seule société. Les intrus qui se mêlaient des affaires internes étaient éliminés. Et après seulement, nous réglions les affaires internes", poursuivait le mineur.

Aujourd'hui, le syndic d'Oron Philippe Modoux se souvient de l'image de mauvais garçons que véhiculaient parfois les mineurs. Mais aussi du respect qu'inspiraient ces ouvriers qui effectuaient un travail risqué: "C'étaient de gros travailleurs. Et les gens les respectaient pour cela. Grâce à eux, du charbon était extrait et vendu. On avait ici près de huit établissements bancaires. Pour les salaires bien sûr, mais le charbon engendrait aussi des revenus. Tout cela faisait que la commune vivait relativement bien à l'époque."

Source d'émissions de CO2

Du site de la mine, il ne reste aujourd'hui que le terril, gagné par les arbres. La région a tourné la page de la houille, tout comme le reste de la Suisse. Après une diminution constante des importations durant le XXème siècle, la Suisse a cessé d'en consommer, ou de manière très marginale.

Le stockage obligatoire de ce combustible a pris fin en 1998. Il est néanmoins toujours extrait et brûlé dans le monde. A raison de 8 milliards de tonnes par an, il reste aujourd'hui la principale source de CO2 émise dans l'atmosphère par l'humanité.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Châtillens, témoin de la course au charbon indigène en temps de guerre.
19h30 - Publié le 13 juillet 2021

Chapitre 3
De l'asphalte de Travers dans le monde

"Voilà un morceau d'asphalte. A l'époque, on en sortait environ 80 tonnes par jour". Charles Stempert, 84 ans, a passé vingt ans dans les mines d'asphalte de la Presta du Val-de-Travers (NE), un univers de ténèbres et d'humidité, où la température ne dépasse pas 12 degrés.

Malgré l'hostilité des lieux, cet ancien mineur vivait son métier avec passion. De retour dans ce labyrinthe de couloirs et galeries, le retraité décrit avec fierté les gestes qu'il effectuait: "Ici, on voit nettement la trace; c'était un coup de mine. On mettait l'explosif dedans et le mineur allumait ses mèches munies d'un détonateur."

Renommée mondiale

Ce travail acharné pour l'asphalte sert un succès commercial remarquable dès le XIXème siècle, dans un monde en pleine révolution industrielle.

Jean-Pierre Jelmini, historien neuchâtelois issu d'une famille de mineurs, raconte: "La première mission de l'asphalte, vers 1840-1850, a été d'asphalter les trottoirs, pour protéger les citadins de la poussière qu'ils soulevaient en circulant. Ensuite, on a commencé à asphalter les rues."

Découvertes en 1711, les mines du Val-de-Travers ont été exploitées durant plus de 250 ans, faisant la renommée industrielle de la région. Car les gisements importants d'asphalte sont rares. Ce bitume s'exporte donc dans toute l'Europe et aux Etats-Unis.

"C'est aussi l'époque du développement du chemin de fer à grande échelle et on asphalte des grandes gares, comme la grande gare centrale de New York", précise Jean-Pierre Jelmini.

Métier à risque

L'extraction de ce bitume naturel se fait au prix d'efforts intenses avec une vigilance de tous les instants. Dans une interview qu'il avait accordée à la TSR il y a 40 ans, Charles Stempert évoquait la surveillance du chantier que devait mener le mineur, pour sa propre sécurité, comme pour celle de ses manoeuvres. "Il faut toujours se méfier du bloc qui peut tomber", avait-il déclaré.

"Mon travail était de dire: non il faut abandonner, coûte que coûte on ne reste pas! C'est arrivé deux fois. Et dans la demi-heure qui suivait, tout s'effondrait", se souvient l'ancien mineur.

Quand ce n'est pas la pierre qui tombe ou l'eau qui inonde, c'est l'oxygène qui pouvait se faire rare. "Le plus grave accident que je connais, c'était un problème d'asphyxie par manque d'air, appuie Jean-Pierre Jelmini. C'est ce qui s'est passé pour deux des mineurs que je connaissais bien, de Travers, à la fin des années 60".

Les galeries des Mines d'asphalte de la Presta à Travers. [keystone - Laurent Gillieron]
Les galeries des Mines d'asphalte de la Presta à Travers. [keystone - Laurent Gillieron]

Solidarité

Ces accidents étaient heureusement exceptionnels. Contrairement aux mines de charbon, qui pouvaient contenir des poches de gaz explosives, les mines d'asphalte du Val-de-Travers étaient réputées plus sûres. "On n'avait pas peur", dit l'historien.

Des figures de Sainte-Barbe, la sainte patronne des mineurs, étaient présentes dans les galeries. Les mineurs recherchaient aussi la sécurité par un sens profond de la solidarité. "Une fois qu'on est tous dans la mine, on n'est plus qu'un, c'est un bloc", illustre Charles Stempert.

La tradition voulait que tous les hommes s'attendent pour la remontée.

2 millions de tonnes

Durant près de trois siècles, environ 2 millions de tonnes d'asphalte ont été arrachées à la montagne. De l'exploitation des quelque 400 hectares, il ne reste aujourd'hui qu'un souvenir, que l'on peut sillonner au détour d'une visite touristique.

"L'arrêt de l'asphalte a été amorcé au début de la Guerre de 1914. La mine, qui ne peut plus exporter l'asphalte, va connaître de grosses difficultés, dont elle ne se remettra jamais totalement", commente Jean-Pierre Jelmini.

Minée par la concurrence des bitumes artificiels et des produits étrangers, l'exploitation de Presta se limite à un destin local dès la fin de la guerre, jusqu'à sa fermeture en 1986.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Série Mines de Suisse: Premier épisode dans les mines d'asphalte du Val-de-Travers
19h30 - Publié le 12 juillet 2021

Chapitre 4
La dernière mine d'or au Tessin

"Parmi tous ces petits points de pyrite, certains sont sans aucun doute de l'or". Depuis trois ans, Mauro Poretti consacre une grande partie de ses week-ends aux groupes de visiteurs venus déambuler dans les galeries humides de la mine d'or de Sessa (TI). Il raconte sans relâche l'histoire de la mine de ses ancêtres.

Ouverte en 1856, cette mine tessinoise était la plus importante mine d'or de Suisse. Une cinquantaine de mineurs travaillaient dans ce labyrinthe souterrain de galeries de plus de deux kilomètres disposées sur cinq niveaux.

Dans la région du Malcantone tessinois, à l'ouest de Lugano, la mine de Sessa a occupé une place importante. Presque tous les hommes des villages aux alentours y travaillaient.

Marinella et Mario, enfants de mineurs, s'en souviennent comme si c'était hier: "C'était un travail difficile. Quand mon père rentrait à pied depuis la mine, il disait toujours qu'il avait la tête lourde. Parce qu'il était dedans toute la journée. J'ai retrouvé une fiche de paye, sur laquelle il est écrit que mon papa et mon oncle travaillaient 16 heures par jour", raconte Marinella Ponzellini.

"C'était un travail où l'on sortait beaucoup de matériaux. De l'or, il y en avait, mais je crois à peine assez pour payer les ouvriers", ajoute Mario Caravatti.

Des mineurs à l'entrée de la mine de Sessa (TI). [Archives RSI]
Des mineurs à l'entrée de la mine de Sessa (TI). [Archives RSI]

Associé à l'arsenic

L'exploitation de la mine a cessé définitivement en 1954. Au cours des trois dernières années d'exploitation, environ 500 kilos d'or ont été extraits. Mais les coûts d'exploitation étant plus élevés que la valeur de l'or extraite, la mine a été abandonnée, faute de rentabilité.

Selon Nicolas Meisser, conservateur de minéralogie au Musée cantonal de géologie à Lausanne, un autre facteur va précipiter la fermeture de la mine. L'or natif en Suisse, soit celui que l'on trouve dans la roche, est systématiquement associé à l'arsenic.

"Avant, on pouvait valoriser l'arsenic dans le cadre des pesticides, entre autres. Puis cet élément toxique a été totalement banni depuis plus de 60 ans. Donc il n'y avait plus de plus-value à faire. Il devenait donc difficile d'exploiter de l'or et de se retrouver avec des déchets hautement toxiques, qu'il n'était plus possible de vendre. Cela a mis fin aux exploitations", explique le professeur.

Un chariot de mine dans l'ancienne mine d'or de Sessa. [keystone - Ti-Press/Gabriele Putzu]
Un chariot de mine dans l'ancienne mine d'or de Sessa. [keystone - Ti-Press/Gabriele Putzu]

Relancer le tourisme

En 2018, grâce au travail acharné de plusieurs passionnés bénévoles, la mine a rouvert au public. Par chance, elle n'avait pas été démantelée à sa fermeture. Mais quatre années ont tout de même été nécessaires pour évacuer les gravats et l'eau, afin de pouvoir accueillir les visiteurs. Aujourd'hui, tous ces volontaires sont devenus guides à leurs heures perdues.

"La motivation? C'est quand même un témoignage important de l'histoire locale. En même temps, on a vu que ça pouvait être une occasion pour relancer certains aspects du tourisme", avance Daniele Ryser, de l'association Miniera d'oro di Sessa.

De plus en plus de touristes et d'écoliers viennent chaque semaine à la découverte non seulement d'un témoignage du passé, mais aussi d'une véritable chasse à l'or, qui a animé cette région du Tessin.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Série mine de Suisse 3-5: au Tessin, une mine d'or abandonnée s'est transformée en attraction touristique
19h30 - Publié le 14 juillet 2021

Chapitre 5
A Bex, les derniers mineurs de Suisse

Tous les matins, c'est le même rituel: Gabriel, Eric et Lucas, les trois derniers mineurs encore en activité en Suisse, s'assurent que tout est en ordre avant d'embarquer pour un voyage d'une quinzaine de minutes: 90% de leur travail se réalise sous terre, dans les Mines et Salines de Bex, situées dans le Chablais vaudois.

Quelque 90 tonnes de sel des Alpes y sont extraites chaque jour. Il servira pour l'alimentaire, l'industrie, l'agriculture, mais surtout pour déneiger les routes.

A 22 ans, Lucas Pointet est la dernière recrue. Il travaille comme mineur depuis deux mois seulement. Ce trajet dans la pénombre et l'atmosphère, il adore: "C'est le petit plaisir tous le matins, rentrer dans la mine, s'assurer qu'il ne s'est rien passé durant la nuit."

Forage

Après un trajet de trois kilomètres, les mineurs arrivent dans l'une des galeries, située à environ 600 mètres de profondeur. Ce jour-là, ils sont venus contrôler leur récent forage. Des échantillons de roche sont prélevés, puis analysés, afin de connaître la quantité de sel dans la zone.

Le sel est extrait par un système de double tuyau introduit dans la roche salée. De l'eau douce est injectée à haute pression dans un forage. La pression permet à l'eau de ressortir en saumure chargée de sel dans le second tube. L'une des tâches des mineurs est d'en vérifier la teneur en sel.

La saumure est ensuite stockée dans des puits souterrains et acheminée dans la Saline de Bévieux pour être transformée en sel après l'évaporation de l'eau.

Mineur aujourd'hui est un métier exigeant et varié: "On peut faire du forage, comme des purges, de l'entretien des rails ou des petites installations touristique. On fait vraiment de tout", précise Lucas Pointet.

Vue sur le parcours du site touristique des mines de sel de Bex. [Keystone - Jean-Christophe Bott]
Vue sur le parcours du site touristique des mines de sel de Bex. [Keystone - Jean-Christophe Bott]

Métier physique

Le métier est physique, surtout lorsqu'il s'agit de sécuriser les galeries. Il comporte aussi certains dangers, comme des roches qui se détachent ou des poches de gaz.

"Il faut avoir beaucoup d'envie et ne pas avoir trop peur. Même si la peur fait partie de notre boulot, la peur va se transformer en respect", décrit le responsable Gabriel Carrasco.

Du respect, ce mineur en a beaucoup pour ses prédécesseurs, qui ont presque laissé leur vie pour creuser ces galeries à la main. "Poursuivre ce travail est pour moi un honneur."

En effet, après plus d'un siècle d'exploitation artisanale, dès 1554, des galeries de plusieurs dizaines de kilomètres commencent à être creusées en 1680, d'abord à la force des bras, avec cisette et marteau, puis à la poudre noire.

Près de 500 ans d'extraction

Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir une modernisation de l'exploitation, grâce notamment à de nouvelles techniques d'évaporation mises en place expressément pour la mine de Bex par Antoine-Paul Piccard (arrière grand-oncle de Bertrand Piccard): la thermocompression. Ce système est encore utilisé aujourd'hui dans le monde entier.

La modernisation des Mines de Bex a permis de garder le cap face à la concurrence étrangère et aux nouveaux gisements découverts quelques années plus tôt à Bâle, dont l'exploitation est plus simple. Les deux Salines helvétiques se réuniront d'ailleurs en 2014 sous le groupe Salines Suisses SA, garantissant l'approvisionnement en sel de toute la Suisse.

Aujourd'hui, les Mines de Bex, dont une partie est ouverte au public, sont les dernières survivantes du passé minier de Suisse. Des générations de mineurs se suivent depuis bientôt 500 ans. L'extraction de sel étant toujours rentable, cette pratique n'est donc pas près de disparaître.

>> Voir le sujet du 19h30 :

Suite de notre série dédiée aux mines de sel. Un métier qui suscite la vocation des jeunes, dans la mine de sel de Bex
19h30 - Publié le 15 juillet 2021

Chapitre 6
Un géotope unique au monde dans la Vallée de Binn (VS)

Imaginez que vous découvrez une petite île perdue au milieu du Pacifique et que toutes les plantes ou tous les animaux qui s'y trouvent n'ont jamais été aperçus ailleurs. Un biotope unique au monde, c'est exactement ce que représente pour les géologues la mine du Lengenbach, située dans la Vallée de Binn (VS).

Dans ce géotope exceptionnel, plus de 170 espèces de minéraux ont été recensées, dont 49 représentaient de nouvelles découvertes. Soit autant que dans toute la péninsule ibérique. Une trentaine de minéraux n'ont été identifiés nulle part ailleurs. Au regard des quelque 5700 espèces minérales (d'origine terrestre ou provenant de météorites) répertoriées à ce jour par les scientifiques, ce gisement est l'un des plus prolifiques au monde.

Au milieu du XVIIIe siècle, cette minuscule mine à ciel ouvert a créé la surprise de ses exploitants. Ces derniers espéraient y trouver du fer à extraire. Mais de drôles de cristaux et des minéraux inconnus alors ont modifié le destin du site. Des études scientifiques ont commencé au milieu du 19e siècle. Près de 200 ans plus tard, l'exploitation se poursuit, non pas à des fins industrielles ou économiques, mais scientifiques.

Il y a 240 millions d'années

Le Lengenbach se caractérise par des minéraux très rares, principalement des sulfosels, à composition de soufre, mais également de plomb, d'argent, de cuivre, d'arsenic et surtout de thallium. La moitié des espèces contenant du thallium recensées dans le monde se trouve d'ailleurs à Binn.

Cette richesse est due à des conditions géologiques bien particulières. La roche nommée dolomite, s'est formée il y a 240 millions d'années au fond de l'océan qui séparait ce qu'était l'Europe de ce qu'était l'Afrique.

"Lors de la formation des Alpes, les métaux ont été soumis à des températures très élevées, de l'ordre de 350 degrés. Ils ont été dissous et la roche a en partie fondu. Cet environnement et cette formation très lente explique en partie la richesse de ce gisement", explique Philippe Roth. Ce Jurassien a présidé pendant neuf ans la communauté de recherche du Lengenbach.

Ruée vers les minéraux

Dans ce règne minéral préservé de l'air et de l'eau durant des millénaires sommeillent encore de nombreux trésors cachés.

Scientifiques et touristes du monde entier tentent de découvrir le nouveau minerai, auquel ils pourront donner leur nom, à l'image de la philrotite et quantités d'autres portant les noms d'habitants de la Vallée de Binn.

Ralph Cannon, qui a donné son nom à la ralphcannonite, est un Allemand salarié par la communauté des chercheurs qui gère le lieu depuis 26 ans: "Nous avons des collectionneurs, des scientifiques mais aussi des touristes qui viennent de partout: d'Australie, d'Afrique, des Etats-Unis. Et bien sûr d'Europe."

Chaque année en moyenne, une nouvelle espèce minérale est découverte dans ce gisement. En termes de nombre de nouvelles espèces minérales par surface, la mine du Lengenbach est le numéro un mondial.

>> Voir le sujet du 19h30 :

BINN [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 16 juillet 2021