C'est à Venise que les grands argentiers du G20 ont adopté une réforme jugée "révolutionnaire" de la taxation des multinationales, approuvée d'ores et déjà par 132 pays, dont la Suisse, et qui promet de chambouler durablement la fiscalité internationale.
L'accord a suscité un concert de réactions enthousiastes, de la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen qui a appelé le monde "à agir rapidement pour finaliser" la réforme, au commissaire européen à l'Economie Paolo Gentiloni qui a évoqué une "victoire pour l'équité fiscale".
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"Nous nous sommes endormis sur nos lauriers"
Côté suisse, les réactions sont plus mesurées. De retour à Berne, le ministre des Finances Ueli Maurer a déclaré devant les médias qu'une réforme fiscale internationale était inévitable. Le conseiller fédéral a toutefois demandé que les intérêts des petits pays d'innovation soient dûment pris en compte.
Au micro de SRF, Ueli Maurer s'est montré encore plus clair: "On ne peut pas empêcher cette réforme. Les milliers d'entreprises actives en Suisse ne pourraient pas gérer deux systèmes fiscaux en parallèle. C'est trop compliqué. Et si nous n'appliquons pas cette réforme à 15%, le danger est trop grand qu'un autre Etat impose la différence avec notre taux. Et nous ne voulons pas offrir des rentrées fiscales à d'autres pays."
Le conseiller fédéral a toutefois conclu sur une note positive, estimant que "nous pourrons vivre avec cette réforme si nous sommes capables d'améliorer les conditions cadres pour nos entreprises en Suisse. C'est un grand défi après les bonnes années que nous avons connues. Nous nous sommes endormis sur nos lauriers. C'est comme ça. Nous n'avons plus l'ambition de changer les choses. C'est un gros problème pour la Suisse. D'autres économies s'adaptent beaucoup plus vite que nous."
L'Irlande, qui a attiré Apple et Google à coup de fiscalité quasi nulle, le Luxembourg, les Pays-Bas mais aussi la Suisse pourraient y perdre avec cet accord. "Au-delà de l'impact sur les finances publiques, il est clair que la réforme pourrait affecter les économies et l'emploi de ces pays, notamment si les multinationales relocalisent leurs profits et leurs investissements", souligne ainsi l'économiste au cabinet Oxford Economics Ricardo Amaro.
boi avec agences
Taxer les géants du numérique
Le premier pilier de l'accord consiste à réaffecter une part de l'impôt sur les bénéfices payé par les multinationales aux pays dits "de marché", c'est-à-dire ceux où elles réalisent leurs activités. L'impôt ne sera donc plus dû uniquement là où leurs sièges sociaux sont installés. Les entreprises qui réalisent plus de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires mondial et dont la rentabilité est supérieure à 10% sont en ligne de mire.
Son objectif est d'éviter que les multinationales, et surtout les Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), qui ont largement profité de la pandémie de Covid-19 et des confinements, paient des impôts dérisoires au regard de leurs revenus.
Le deuxième pilier correspond à l'instauration d'un taux d'impôt effectif minimum "d'au moins 15%" sur les bénéfices des multinationales dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 750 millions d'euros. Un Etat pourra taxer les profits étrangers d'une de ses entreprises nationales qui aurait été imposée à l'étranger à un taux inférieur à ce taux minimum, afin de compenser l'écart.
Ce big-bang fiscal, dont les règles devraient être peaufinées d'ici octobre prochain, doit être mis en oeuvre dès 2023. Attention toutefois: les négociations n'ont pas encore été finalisées sur plusieurs exemptions demandées par de nombreux pays pour conserver certains de leurs avantages fiscaux.