En plein chantier de sa maison, le jeune Fribourgeois Raphaël Grandgirard est inquiet. Charpente, isolation, tuyauterie: il manque de tout, et son chantier est devenu un véritable casse-tête.
"On n'est sûrs de rien. Et chaque jour, il y a quelque chose qui n’arrive pas. C’est assez dur de planifier, de se projeter sur le long terme. On vit plus ou moins au jour le jour."
Partout en Suisse, le constat est le même. Bois, plastique ou métaux, les matières premières se font de plus en plus rares. Et c'est le secteur de la construction qui en souffre le premier.
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Reprise plus forte que prévu
La faute à la pandémie de coronavirus qui, durant plusieurs mois, a contraint plusieurs usines à travers le monde de fermer leurs portes. L'offre s'est alors contractée, mais depuis le début de l'année, la demande mondiale en matières premières a explosé. Une reprise qui a été plus forte que ce que l'on avait imaginé, comme l'expliquait Patrick Artus, chef économiste à la banque Natixis, dans l'émission Tout un monde en avril dernier. Conséquence: les marchés sont devenus instables et les prix montent en flèche.
Comme on travaille à flux tendu, avec des stocks extrêmement faibles, si on a tout à coup une accélération de la demande finale, la chaîne ne suit pas
"La raison conjoncturelle est que la reprise de l'économie mondiale est très violente. Et comme on travaille à flux tendu, avec des stocks extrêmement faibles, si on a tout à coup une accélération de la demande finale, la chaîne ne suit pas. Et donc, il y a des délais d'approvisionnement qui apparaissent."
Tout au bout de la chaîne, justement, dans le Jura, Sébastien Faivre, directeur de Faivre Energie, une PME active dans l'énergie, fait grise mine. "Ici, vous avez par exemple un accumulateur d’eau en acier de 800 litres pour des petits immeubles. Sur ce type de produits, on a 20% d’augmentation de prix à partir du mois de juin", déplore-t-il.
Et il n’y pas que cet accumulateur en acier qui a vu son prix exploser, cette situation touche tous les secteurs. L’aluminium utilisé pour les panneaux solaires a par exemple vu son prix augmenter de 9%. Cette hausse a même atteint 28% pour le PVC.
Avenir incertain
Pour s’en sortir, certaines entreprises suisses ont fait le choix de faire des stocks en achetant tout ce qui est disponible pour éviter la pénurie. C'est le cas par exemple de la PME jurassienne Faivre Energie.
"D’habitude, on aime bien avoir une vision à trois mois de nos futurs chantiers. Mais là, c’est impossible", déplore son directeur. "On trouve des solutions, on se démène, on a des équipes qui se donnent corps et âmes pour planifier, modifier et scinder les chantiers, mais c’est compliqué."
Et pour Christophe Challande, président de l’association de marchands de matériaux de construction, l'avenir est encore très incertain. "On entend dire qu'à la fin de l’année ce sera rétabli, d’autres disent que ce sera plutôt l’année prochaine. Aujourd’hui, on peine bien à avoir des infos concrètes qui nous permettent d’imaginer l’avenir sereinement."
Sujet TV: Nicolas Beer, Serge Mérillat
Adaptation web: Fabien Grenon
Europe mal lotie
Et la Suisse n'est pas la seule à pâtir à cette pénurie de matières premières. C'est l'Europe entière qui en souffre. Une pénurie qui est même pire qu'ailleurs dans le monde, notamment en ce qui concerne le plastique également très utilisé dans le secteur de la construction.
"La reprise s'est faite plus rapidement dans les pays d'Asie. Ce sont eux qui ont capté la matière première en premier", expliquait en avril dernier Jean Martin, directeur général de Polyvia le syndicat français des transformateurs de matières plastiques, au micro de l'émission Tout un monde. "La deuxième raison est que les unités de production moderne des matières premières comme le plastique sont essentiellement situées au Moyen-Orient, en Asie et aux Etats-Unis. Les équipements en Europe sont relativement vieillissants avec des productivités plus faibles."
Sans compter que les prix pratiqués dans les pays comme en Asie et au Moyen-Orient permettent aux pétrochimistes de faire plus de marges. "Car ils auront moins de coûts de transport, qui ont d'ailleurs beaucoup augmenté ces derniers temps", poursuit Jean Martin, ajoutant que l'Europe devrait selon lui relocaliser certains types de productions, de manière à ce que l'on ne soit pas totalement dépendant de l'extérieur.