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La reprise économique est là, mais de nombreux employés ont déserté

Pénurie de main d'oeuvre notamment dans les restaurants
Pénurie de main d'oeuvre notamment dans les restaurants / 19h30 / 2 min. / le 15 septembre 2021
La reprise économique se confirme dans tous les secteurs, mais un phénomène inattendu freine les entreprises dans leur élan. De nombreux patrons peinent à recruter de la main d'oeuvre en Suisse.

Après 18 mois de pandémie, l'économie reprend des couleurs. Les carnets de commandes se sont remplis aussi vite que les bars et terrasses. Mais à l'heure de rappeler au travail les troupes dispersées, de nombreux patrons ont vite déchanté.

"Lorsqu'on a rouvert, on a eu besoin de main d'oeuvre supplémentaire. Mais à notre grand étonnement, on avait beaucoup moins de personnel disponible. Nous recevions moins de candidatures spontanées", raconte le patron du restaurant genevois Cinecittà, Anthony Castrilli, au 19h30 de la RTS.

Le président du Groupement professionnel des restaurateurs et hôteliers (GPRH) dit avoir tenté de recruter par le bouche-à-oreille, avant de multiplier les offres d'emploi sur plusieurs plateformes en ligne. Résigné, il a parfois dû demander de l'aide à ses amis. "Mon père, qui m'a transmis le restaurant, a 67 ans. Il voulait gentiment prendre sa retraite, mais il a dû revenir dans l'établissement pour mettre la main à la pâte.".

Fermetures

Anthony Castrilli n'est pas un cas isolé. La semaine dernière, les membres du GPRH se sont réunis pour faire part de leur inquiétude. Certains ont même dû fermer leurs portes durant l'été. "Il est devenu si difficile de recruter des pizzaiolos que j'ai préféré fermer l'un de mes restaurants durant trois semaines. Je n'arrivais plus à assurer la rotation pendant les vacances", déplore Helena Rigotti, à la tête de trois établissements à Genève.

Dans les secteurs particulièrement concernés par les fermetures, les vacances sont d'ailleurs devenues un vrai casse-tête. Car celles-ci ont été cumulées lorsque les employés étaient au chômage partiel (RHT). Après la réouverture, les vacances dues sont venues accentuer le manque de personnel disponible sur le marché.

Sur Jobup.ch, les annonces s'accumulent dans tous les domaines professionnels. Sur cette plateforme, leader du marché de l'emploi en Suisse romande, la concurrence entre recruteurs s'est particulièrement accrue dans certains secteurs, comme l'hôtellerie, la restauration ou encore les soins & beauté.

Faible bassin de candidats

Selon une enquête réalisée par Manpower au début de l'été, la pénurie de main d'oeuvre est globale et touche divers secteurs. Quelque 69% des employeurs dans le monde signalaient des difficultés à recruter des candidats adéquats. En Suisse, cette part s'élève à 83%, soit l'un des quatre pays où la pénurie est la plus forte, après la France (88%), la Roumanie (86%) et l'Italie (85%).

Comment expliquer que la Suisse, avec ses montagnes, ses lacs et ses hauts salaires, ne parvient pas à attirer les talents nécessaires? Pour Laurent Vacelet, directeur de Manpower pour la Suisse romande, la pandémie n'a fait qu'aggraver une situation pré-existante: "La Suisse est dans une politique de plein emploi, avec environ 3% de taux de chômage. Le bassin de candidats est donc beaucoup plus rare. Aussi, la Suisse est demandeuse de profils qualifiés dans le domaine des soins, de la logistique, de l'ingénierie, ou de la construction. Ce sont justement les secteurs d'activités pour lesquels aujourd'hui, nous n'avons pas de candidats disponibles."

Négocier les salaires

Du côté des candidats, c'est aussi l'occasion de négocier les salaires. "Aujourd'hui, embaucher est certainement la tâche la plus difficile qu'on ait", confirme François Billig, directeur général du groupe Acrotec. "Dans la mesure où toutes les entreprises de l'industrie repartent en Suisse, le personnel qualifié est très demandé. Il y a donc une pression sur les salaires et une grandes difficulté pour les conserver."

Mais les salaires, à eux seuls, ne suffisent pas toujours, affirme Véronique Kämpfen, porte-parole de la Fédération des entreprises romandes (FER): "D'autres avantages, comme des organisations de travail plus flexibles, davantage de vacances ou la prise en charge de frais annexes sont également mis en place pour attirer les talents".

Remise en question

C'est d'ailleurs la voie adoptée par le patron du Cinecittà, Anthony Castilli. Après que le salaire minimum a augmenté à 23 francs en fin d'année dernière, il devenait difficile d'en faire davantage, dans un contexte de sortie de crise. "Mais on se remet en question sur d’autres domaines. Par exemple, on essaie de donner deux jours de congé d’affilée, on essaie de donner des vacances pour des périodes plus propices pour nos employés, on essaie de s’adapter pour faire en sorte que le poste de travail soit plus attractif."

Pour beaucoup, cela ne suffira pas. Dans certains secteurs, la pandémie aura eu un impact plus profond, comme dans la restauration et l'hôtellerie. Moins de sécurité et horaires irréguliers, ont découragé les candidats. Nombreux sont ceux qui ont définitivement quitté la branche.

Ces remises en question ne touchent pas uniquement les emplois précaires, selon Véronique Kämpfen: "On le voit notamment dans des secteurs comme l'informatique, où des employés en poste depuis de nombreuses années ont fait une réelle remise en question de leur vie privée et professionnelle. Cela se traduit par davantage de volatilité et des personnes qui quittent leur travail, augmentant encore la pression sur ces secteurs où régnait déjà une forte pénurie."

Feriel Mestiri

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