C'est un véritable mythe qui s'est effondré le 2 octobre 2001. La compagnie n'arrivant plus à régler ses factures, les producteurs de kérosène exigent d'être payés à la livraison. Conséquence, à 16h ce jour-là, des annonces retentissent dans les différents aéroports: "pour des raisons financières, Swissair n’est plus en mesure d’assurer ses vols", entendent les voyageurs.
La Confédération, quant à elle, a fait le choix de ne pas sauver sa compagnie aérienne comme elle le fera à deux reprises quelques années plus tard pour la banque UBS. La Suisse devenait ainsi le seul pays riche au monde à laisser couler sa compagnie nationale.
Au total, ce sont quelque 400 vols qui sont restés à terre, et environ 39'000 passagers stupéfaits bloqués pendant des heures partout dans le monde. Il a fallu plus d'une semaine pour que les vols puissent être rétablis. Le choc ébranle aussi, évidemment, les employés et employées de la compagnie, qui n'avaient pas été informés.
"Pas de responsables"
Mais au-delà de ces premiers concernés, c'est bien tout le pays qui est ébranlé. Considérée comme le fleuron de l'économie, Swissair faisait la fierté d'une partie des Suisses.
Le personnel, laissé sur le carreau du jour au lendemain, a bien tenté de se mobiliser. Au lendemain de l'annonce, quelque 1500 personnes étaient rassemblées à Genève. En vain.
Le procès qui s'en est suivi n'a pas désigné de responsable. Ni les banques, ni le gouvernement suisse, ni les dirigeants de la compagnie. Officiellement, les victimes sont nombreuses, mais personne n'est coupable.
"Si une compagnie disparaît, son marché est vite repris par une autre"
Swissair était le client le plus important de l'aéroport de Genève. Son directeur général d'alors, Jean-Pierre Jobin, explique dans le 19h30 que l'aéroport n'a toutefois pas cédé à la panique.
"Après le grounding, on a su très vite que la Confédération allait aider Swissair à passer la saison d'hiver à venir, c'est-à-dire jusqu'au 31 mars 2002. Et de ce fait, en tant que direction de l'aéroport, nous n'avions pas de soucis à court terme. La question se posait plutôt sur l'après."
Jean-Pierre Jobin admet qu'il y a eu quelques jours de perturbations, mais sans pour autant que l'aéroport de Genève ne soit touché à long terme. "Le propre d'un aéroport est de satisfaire les attentes de la clientèle. Et ce marché romand et de la France voisine était là, donc même la disparition d'une compagnie aérienne n'est pas une catastrophe pour un aéroport. Si une compagnie disparaît, son marché sera repris par une autre qui va se précipiter pour le capter."
Arditë Shabani/jop
Qui se souvient encore de Swissair?
Après le "grounding" général de l'aviation mondiale durant la pandémie, certaines voix se sont élevées pour nationaliser la compagnie Swiss, successeur de Swissair et actuelle propriété du mastodonte allemand Lufthansa.
Mais aujourd'hui, nationaliser une petite compagnie aurait été à contre-courant de ce qui se fait dans le secteur. L'aérien se trouve en perpétuelle consolidation par les associations et regroupements successifs au mains de grandes compagnies privées.
Mais nationaliser Swiss, au-delà des considérations de souveraineté et d'écologie, représentait peut-être aussi, pour certains, une manière de réparer le traumatisme d’il y a 20 ans.
Retour sur l'automne 2001 dans Médialogues
L'automne 2001 a radicalement changé la Suisse et le journalisme suisse avec l'enchaînement de trois événements inédits dans l'histoire du pays: la tuerie au parlement de Zoug (27 septembre), le grounding de Swissair (2 octobre) et l'incendie au tunnel routier du Gothard (24 octobre), alors que les ruines du World Trade Center fumaient encore à New York.
Coup sur coup, des certitudes politique, économique et d'infrastructures s'évanouissaient après des années de naïveté et de "y'en a point comme nous".
Retour sur cet automne si particulier avec le journaliste du Temps Bernard Wuthrich. Bientôt retraité, il a vécu ces moments incroyables aux premières loges, puisqu'il était déjà il y a vingt ans responsable du bureau du Palais fédéral pour son journal.