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Les "Russian Lips" font fureur auprès des jeunes, mais la pratique est souvent illégale

Des certificats bidons sont présentés pour faire des injections pour gonfler des lèvres.
Les stars de la télé-réalité sont friandes des "Russian lips", mais cette mode n'est pas sans poser des problèmes / 19h30 / 2 min. / le 15 décembre 2021
Les stars de la téléréalité en sont friandes et la mode se propage rapidement sur les réseaux sociaux. De plus en plus de jeunes se font injecter de l'acide hyaluronique dans les lèvres pour leur donner un effet pulpeux. Un business juteux pour les esthéticiens et esthéticiennes, mais la pratique est souvent illégale et n'est pas sans risque.

Des lèvres plus charnues, plus fermes, plus jeunes. C'est le résultat attendu par ces femmes qui succombent à la mode des "Russian Lips", les lèvres russes, en anglais.

Joana Bender, 22 ans, est une jeune styliste à Meyrin (GE). Elle a sauté le pas récemment, influencée par l'effet de mode: "De plus en plus de monde le fait. Par curiosité, j'ai voulu le faire aussi pour voir comment ça rendait sur moi. Et puis c'est vrai qu'il y a beaucoup de femmes de téléréalité ou des stars qui le font. Évidemment ça nous encourage."

Cette mode, qui est partie de Russie en 2015, a conquis la planète. Boostées par les réseaux sociaux, les "lèvres de poupées russes" attirent surtout les jeunes femmes entre 16 et 25 ans.

"Il y a des filtres beauté, qui vont agrandir les lèvres, faire cet effet un peu de "foxy eyes", avoir la peau un peu tirée. Au final, on ne sait pas si c'est un filtre ou si c'est la réalité. Ca motive les jeunes filles, très jeunes, à se refaire le visage pour ressembler aux photos qu'elles font sur les réseaux sociaux", estime Joana Bender.

Cadre illégal

Avec des tarifs allant de 250 à 400 francs l'injection, ce boom des Russian Lips profite à de nombreux prestataires en Suisse. Selon Luigi Schiraldi, chirurgien plasticien au CHUV, cette pratique est effectuée de plus en plus par des esthéticiennes, mais aussi par des coiffeurs.

Pourtant, selon la loi, seuls les médecins et des infirmiers ou infirmières qualifiés peuvent injecter de l'acide hyaluronique sous la peau. Les praticiens non autorisés ne s'en cachent pas et en font même la pub sur les réseaux sociaux.

Luigi Schiraldi voit de plus en plus de patientes ayant reçu des injections dans un cadre illégal. "Souvent, elles ne savent pas qu'elles ont fait quelque chose d'illégal en soi. C'est ça le problème. Il n'y a pas de consentement. Il n'y a pas de bonnes explications des complications. Aucune de ces patientes ne sait qu'elle a quand même risqué des complications graves, qui demandent parfois des prises en charge chirurgicales", note le chirurgien.

Joana Bender n'a pas été informée des risques. "Je ne me suis pas forcément renseignée. J'avoue que j'y suis allée les yeux fermés", dit la jeune femme. Heureusement pour elle, aucune complication n'est à déplorer.

Risque de cécité

La perte de la vision figure parmi les complications les plus graves observées à ce jour. Mal injecté, le produit peut boucher les petits vaisseaux qui nourrissent la peau et créer une nécrose. Dans des cas extrêmes, l'artère faciale bouchée peut conduire à la cécité. "Il est important de pouvoir reconnaître et traiter rapidement ces complications", souligne Luigi Schiraldi.

En plus des lacunes professionnelles, la qualité du produit injecté peut aussi être problématique. Pour proposer des prix compétitifs, certains praticiens administrent un acide hyaluronique bon marché, le plus souvent réalisé avec des produits contrefaits commandés à moindre coût en Asie. Un acte lui aussi illégal, puisque les produits injectables à base d'acide hyaluronique ne peuvent être mis sur le marché et utilisés en Suisse que s'ils disposent d'un certificat CE.

Face à cette problématique grandissante, le Département vaudois de la santé et de l'action sociale (DSAS) prévoit une communication grand public destinée à sensibiliser les jeunes femmes sur les risques de se faire administrer ce type de produit par des personnes non autorisées. L'objectif étant de contrebalancer la publicité faite par les esthéticiennes ne respectant pas la législation.

Réadapter la loi

A part communiquer leur mécontentement et envoyer un rappel de la législation en vigueur aux personnes faisant l'objet d'un signalement, les autorités médicales se sentent limitées dans leurs actions: "Le médecin cantonal ou la pharmacienne cantonale ne peuvent pas intervenir directement sur les lieux d'injection. Une adaptation des lois cantonales est en cours de réflexion afin de remédier à cette situation et accélérer ainsi l'initiation d'une éventuelle procédure pénale", précise le DSAS.

La police et le Ministère public peuvent néanmoins intervenir sous dénonciation ou à la suite de plaintes pénales.

Autrefois prisée par les seniors voulant retrouver leur jeunesse, la médecine esthétique séduit des patients toujours plus jeunes. Selon une étude d'Opinion Way publiée ce mois d'octobre en France, 26% des filles de 18 à 24 ans envisagent une intervention sur leur visage. Cette clientèle moins fortunée se tournerait donc davantage vers des solutions peu chères et plus risquées.

Loïc Delacour, Feriel Mestiri

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