La banque helvétique répond de blanchiment d'argent aggravé pour des faits s'étalant entre 2004 et 2007, aux côtés d'une de ses gestionnaires de fortune, de deux ressortissants bulgares et d'un ancien employé de Julius Baer.
Présentant le programme des quatre semaines à venir, le président du tribunal Stephan Zenger a indiqué que le chef du clan, Evelin Banev, était convoqué pour être entendu durant la troisième semaine. L'homme a été arrêté l'automne passé en Ukraine.
La prescription en question
À l'ouverture du procès, la défense a invoqué la prescription des faits, totale ou partielle, ce qu'a contesté le Ministère public de la Confédération (MPC). La défense veut empêcher que ne soient jugés des actes qui doivent l'être, a estimé la procureure fédérale Alice de Chambrier.
Selon elle, il faut au contraire que la Cour des affaires pénales "décide quels faits elle entend retenir et quelle qualification elle leur donne". C'est seulement à ce moment-là que le tribunal pourra déterminer le point de départ de la prescription et sa durée, selon que le blanchiment simple ou aggravé est retenu.
Ces questions sont des éléments de fond, qui ne peuvent pas être tranchées au niveau des questions préjudicielles, a donc estimé la magistrate.
Le blanchiment simple est prescrit au bout de 7 ans et le blanchiment aggravé après 15 ans. Si ce dernier était retenu, tous les actes antérieurs au 4 mars 2007 seraient prescrits.
Lutte inefficace contre le blanchiment?
Ce procès vient une nouvelle fois ternir l'image de la place financière helvétique, alors que la justice va examiner ses relations avec un réseau criminel bulgare impliqué dans le trafic de cocaïne.
Cette affaire questionne notamment l'efficacité de la lutte en Suisse contre l'injection d'argent issu d'activités criminelles dans le circuit économique légal. Pourtant, selon l'autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma), le blanchiment est l'un des principaux risques qui menace la place financière.
Selon François Pilet, cofondateur de la revue Gotham City, spécialisée dans la criminalité économique, le pays s'est doté de règles plutôt efficaces, mais "techniquement, il n'y a pas de système anti-blanchiment qui arrêterait absolument tous les cas". Ce qu'il faut, estime-t-il, c'est que "quand ça arrive, la réponse de l'autorité soit rapide, efficace et proportionnée".
"Or, ce n'est pas le cas", déplore le spécialiste. "Donc les banques savent qu'elles ne risquent pas grand-chose" en cas de dérapage.
Pour Carlo Lombardini, avocat à Genève et professeur de droit bancaire à l’Université de Lausanne, le Ministère public de la Confédération joue une partie de sa crédibilité dans ce procès, indique-t-il dans le 12h30.
Sanctions trop légères
Les banques sont tenues de savoir qui est leur client, d'où vient son argent et en quoi consiste ses affaires. En cas de manquement, la Finma peut prononcer des interdictions d'exercer la profession vis-à-vis d'un employé. Et quand c'est la banque elle-même qui est en cause, elle peut lui retirer son autorisation.
Mais faire condamner un établissement pour blanchiment, c'est beaucoup plus compliqué. Les instructions sont longues, complexes et menacées par les délais de prescription. En outre, les sanctions pénales restent peu dissuasives, selon Katia Villard, maître-assistante au Centre de droit bancaire et financier de l'Université de Genève.
"La sanction maximale en Suisse, c'est cinq millions. C'est clairement ridicule suivant la taille de l'entreprise", précise-t-elle, rappelant toutefois que le montant gagné grâce à l'infraction est évidemment confisqué également. En revanche, les dégâts en terme de réputation peuvent être plus dissuasifs.
Cléa Favre/ats/jop