L'Union européenne (UE), les Etats-Unis et plusieurs autres pays ont notamment exclu les plus grandes banques russes, environ deux tiers d'entre elles au total, du système international de paiements bancaires Swift. Ils ont aussi banni toute transaction avec la banque centrale, la Banque de Russie.
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Ces sanctions pèsent déjà sur l'économie russe. Le rouble s'est effondré lundi face au dollar et à l'euro, plusieurs banques russes font désormais face à un risque de faillite, et la Banque de Russie a annoncé lundi relever très fortement son taux directeur, de 10,5 à 20%. Certains Russes ont commencé à retirer leur épargne bancaire, tandis que les transferts de devises hors des frontières leur sont désormais interdits.
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Le président Vladimir Poutine a rencontré lundi plusieurs ministres, dont son ministre des finances, ou la présidente de la banque centrale Elvira Nabioullina, pour mettre en place des mesures économiques spéciales. Vzgliad, un média proche du Kremlin, minimise de son côté l’impact de la déconnexion du système Swift, laquelle n'empêchera pas, dit-il, les transactions intérieures ni les exportations de matières premières.
"Effet de masse"
Les sanctions et la guerre elle-même ont pour principale conséquence de créer un climat d'incertitude financière, explique mardi l'économiste Julien Vercueil, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de Paris (Inalco), dans l'émission Tout un monde. Or, cette incertitude sur les capacités de financement pourrait provoquer un ralentissement de certaines activités économiques.
D'autant qu'avec 40% des réserves en devises de la Banque de Russie détenues par des banques européennes désormais inaccessibles, il sera difficile pour les institutions publiques de venir pleinement en aide au secteur privé. Toutefois, selon le chercheur, aucune sanction prise indépendamment des autres n'est décisive. "C'est la globalité des mesures qui fait effet de masse. C'est une opération d'ensemble qui vise à donner un minimum de marge de manoeuvre au système financier russe", dit-il.
Vers un "régime de survie" des ménages russes?
L'inflation pourra également poser problème en pesant sur le pouvoir d'achat des Russes et les investissements de leurs entreprises. La dynamique inflationniste, constatée un peu partout dans le monde, était particulièrement marquée en Russie depuis 2021, explique l'économiste. Et l'incertitude sur la capacité des institutions financières à maintenir le cours du rouble risque d'y ajouter "une nouvelle impulsion" à la hausse des prix.
"Je pense qu'on peut s'attendre à une inflation qui dépasse 15% en 2022, et ça va avoir un impact économique extrêmement dommageable pour l'économie russe", estime-t-il. Dans ce contexte, le comportement des ménages sera décisif. "Dans un premier temps, face au constat que les prix augmentent, il peut y avoir un effet d'achat pour constituer des stocks. Mais à long terme, on passe à un régime de survie dans lequel on se concentre sur les produits de première nécessité. Et donc il y a une chute de la consommation, qui est le facteur-clé de la croissance." Ainsi, à terme, le PIB russe pourrait chuter de 7 ou 8%.
"L'économie ne va pas s'effondrer comme un château de cartes, mais il va y avoir des temps très difficiles pour les entreprises et l'Etat russe", anticipe-t-il donc.
"Re-soviétisation" de l'économie russe
Pour contourner ces sanctions occidentales, la Russie pourrait se tourner vers d'autres partenaires. La Chine, notamment, pourrait être "une porte de sortie". Mais ce n'est pas un substitut à l'UE, tempère Julien Vercueil, car ce sera compliqué pour Vladimir Poutine d'assumer de mettre son pays en position de dépendance vis-à-vis de la Chine.
Actuellement, l'Europe compte pour environ 45% des échanges économiques de la Russie. Ces échanges vont désormais se réduire mais ils ne vont pas cesser du jour au lendemain. La Russie a par ailleurs "une assez grande diversité de partenaires économiques", rappelle le chercheur. La Chine constitue déjà son deuxième partenaire, et Moscou entretient aussi des échanges importants avec l'Inde et les pays africains.
Dans ce contexte, elle ne "passera pas à une économie autarcique", prédit le chercheur. "Mais si la situation s'enlise et si la Russie reste au ban des nations occidentales, l'économie russe pourrait devenir une économie de guerre, dans laquelle l'Etat prend l'essentiel des opérations économiques sous son aile. Là, on se dirigerait vers un scénario de 're-soviétisation' de l'économie nationale, où les ordres de l'Etat prévaudraient. Or, actuellement, ce n'est pas une économie très étatisée. L'Etat représente environ 40% du PIB. Il est important mais pas dominant."
Propos recueillis par Blandine Lévite
Adaptation web: Pierrik Jordan
Un isolement sans précédent qui touche la population
Malgré les sanctions occidentales qui placent l'économie russe en état de siège, la Russie n’est pas encore à genou, car elle s’y est depuis longtemps préparée. Depuis 2014 et les premières sanctions liées à la crise de Crimée, Moscou a pris le temps de constituer des réserves de guerre, à hauteur d'environ 630 milliards de dollars.
Et si environ 40% sont à présent gelés à l’étranger, l’essentiel se trouve donc en Russie, et les différentes sanctions visent à empêcher la Banque centrale russe d’utiliser ces fonds. Jamais un pays de cette ampleur n'a été pareillement isolé dans l'histoire récente.
Et cet isolement aura un coût pour la population. Le doublement des taux d’intérêt aura un impact sur la classe moyenne, tout comme la dévaluation du rouble, qui fait perdre de la valeur à l'épargne des citoyens et des citoyennes. Enfin, selon le magazine Forbes, les principaux milliardaires russes ont perdu près de 100 milliards de dollars depuis le 16 février.