Le groupe minier et métallurgique Solway est un des géants du secteur des matières premières. Cette multinationale spécialisée dans le nickel est originellement russe, mais son siège social est basé à Zoug. Elle possède des mines en Russie, en Ukraine (voir encadré) et en Amérique du Sud, dont l'une des plus grandes mines à ciel ouvert d'Amérique centrale au Guatemala.
Sur place, la mine affronte depuis des mois la colère de la population indigène. Blocages des routes, démonstrations violentes, la contestation est forte contre Solway. La population locale accuse les filiales de l'entreprise de ne pas respecter les droits des autochtones et de polluer les eaux du lac Izabal, proche de la mine.
Fuite de données
Grâce à une fuite de données transmise à Forbidden Stories - un collectif de journalistes qui a pour vocation de continuer les enquêtes de collègues menacés ou tués -, les secrets de la multinationale ont pu être percés, mettant en exergue des techniques discutables pour obtenir le soutien des communautés locales.
La source à l'origine de cette fuite de documents confidentiels se présente comme un activiste et un hacker "éthique". Cet informateur anonyme a transmis en vrac des milliers de courriels, de tableaux et de rapports internes du groupe Solway.
Ces documents ont été reçus par Forbidden Stories, qui a invité dans un second temps des médias partenaires, dont la RTS, à travailler sur cette fuite de données.
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Achat de leaders locaux et rumeurs
Pour obtenir le soutien de certaines communautés indigènes, la mine au Guatemala a payé des habitants et des leaders locaux, a pu constater l'émission Mise au Point. Ces paiements sont visibles dans les documents confidentiels. Des tableaux financiers indiquent des catégories de "travail fictif" et "salaire artificiel".
Une liste de noms de chefs locaux est également mentionnée avec une justification sans équivoque: "achat de leader". Face à ces informations, CGN-Pronico, les filiales de Solway au Guatemala, conteste tout paiement: "ces informations ne correspondent pas à la réalité", réagit l'entreprise.
Des rumeurs de maladie du sida ou de fausses ventes de terrain sont aussi imaginées pour discréditer des chefs communautaires réfractaires à la mine. Ces méthodes sont indiquées dans une document confidentiel intitulé "idées pour Las Nubes", du nom d'un petit village situé dans une zone d'extension de la mine.
La mise en oeuvre de ces idées n'a pas pu être établie avec certitude et les filiales de Solway réfutent également ces informations.
Dons
Des dons en argent ou en nature sont aussi faits à des associations locales. Ces donations ne sont pas de la charité, mais elles ont des objectifs stratégiques. Elles visent à obtenir le soutien de certaines associations pour stopper la contestation des communautés locales.
Cet objectif est marqué noir sur blanc dans plusieurs documents internes. Par exemple, les filiales de Solway ont fait des dons de matériels de pêche à une association nommée Boacs del Polochic "avec l'intention de maintenir l'association en tant qu'allié".
Un réseau d’informateurs
La mine récolte également des informations sur ses opposants grâce à un réseau d'informateurs. Plusieurs documents internes dressent des listes de noms d'individus qui fournissent des données à l'entreprise minière. Ces informateurs sont recrutés dans plusieurs communautés indigènes.
Dans d'autres documents, il est indiqué que des enquêtes sur d'éventuelles infidélités conjugales sont réalisées contre des leaders opposés à la mine. C'est dans un tableau Excel interne que l'entreprise l'indique en toute lettre. Il n'est toutefois pas précisé clairement l'utilisation de ces informations.
"En totale conformité"
Les filiales de Solway réfutent ces affirmations. Du côté du siège central à Zoug, le président du conseil d’administration Dan Bronstein affirme dans Mise au point: "Solway Investment Group opère en totale conformité avec les législations nationales et internationales".
"Nous sommes contrôlés à la fois par les autorités locales, par des audits internationaux et des organismes de certification, ainsi que par le SECO (Secrétariat d’Etat à l’économie). L'ambassade de Suisse suit nos efforts pour consulter les communautés locales conformément aux normes internationales. (…) Nous réfutons toutes allégations soulevées sans fondement factuel", explique-t-il encore.
Au Guatemala, malgré les méthodes utilisées, la situation ne semble pas s'améliorer entre la mine et les communautés locales. En octobre 2021, la région où opère la mine a été placée en état de siège par le président guatémaltèque Alejandro Giammattei. L'armée a été envoyée pour protéger les filiales de l'entreprise russo-suisse.
François Ruchti, en collaboration avec Forbidden Stories
>> Voir les explications de François Ruchti:
Solway fait le dos rond en Ukraine
Solway a modéré la cadence sur son site industriel ukrainien de Pobuzhsky, dans le centre du pays, en raison du conflit russo-ukrainien. Signalant une absence d'activité militaire dans la zone, l'entreprise a indiqué avoir réduit de moitié l'activité de cette fonderie de ferronickel.
L'acheminement de la production jusqu'au port de Yuzhnyi, à proximité d'Odessa, reste possible, mais pour l'heure pas au-delà. Solway attend une normalisation de la situation pour relever son niveau d'activité et relancer les exportations.
Exposé en Ukraine, le groupe possède également une mine d'or en Russie sur l'île de Sakhaline. Ce secteur économique est touché par les sanctions internationales à l'encontre de la Russie. Dans un communiqué publié le 3 mars, Solway "condamne" les actions prises par le gouvernement russe et dit "abandonner tous ses projets en Russie avec effet immédiat.