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Le télétravail contraint les quartiers d'affaires à se repenser en profondeur

Le quartier de la Défense, à Paris, avec sa vaste esplanade bétonnée. [AFP - Christophe Archambault]
La transformation post-pandémie des quartiers financiers et commerciaux des grandes villes / Tout un monde / 7 min. / le 4 avril 2022
Les quartiers d'affaires de Manhattan à New York, de la City à Londres ou de la Défense à Paris sont condamnés à se réinventer au sortir de la pandémie. Le télétravail a radicalement changé la donne.

La pandémie a vidé les bureaux pendant deux ans, particulièrement dans les quartiers financiers et commerciaux. Aujourd'hui, la situation se normalise, mais les sociétés hésitent toujours sur la politique à adopter vis-à-vis de leurs employés qui aspirent à plus de télétravail.

L'image d'une armée d'employés de banque en costume trois pièces se dirigeant le matin vers les bureaux de la City a sans doute vécu. Le Brexit avait déjà un peu secoué le coeur financier de Londres et la pandémie est passée par là. Elle a vidé les tours, à l'exemple de celle du vénérable assureur Lloyds qui envisage de réaménager son siège emblématique.

Plus de 300'000 personnes travaillaient dans ce quartier londonien. Aujourd'hui, elles reviennent, mais au compte-gouttes.

Les entreprises ont-elles besoin de moins de bureaux? C'est la grande question.

Matt Oeckley

"Au début du mois de février, on estimait que 20% du personnel en moyenne était revenu travailler dans les entreprises, ce qui est considérablement plus bas que le taux d'occupation d'avant pandémie où environ 60% du personnel était présent dans les bureaux", souligne un représentant du spécialiste en immobilier commercial Savills lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS. "Est-ce que cela veut dire que les entreprises ont besoin de moins de bureaux?", s'interroge Matt Oeckley. "C'est la grande question".

Les bureaux disponibles en progression

Les entreprises sont encore en pleine réflexion. C'est pourquoi le taux de bureaux disponibles sur le marché a grimpé (8% à Londres, 12% à Manhattan) mais n'a pas encore atteint des sommets.

Quoi qu'il en soit, l''extension du télétravail va profondément modifier l'usage des espaces professionnels. "Beaucoup d'entreprises ne le permettaient pas, majoritairement les banques qui ont une activité très réglementée", rappelle Matt Oeckley. "Mais ces deux dernières années nous ont montré que travailler partiellement à la maison peut être tout aussi efficace que d'être à 100% au bureau et pas mal d'employés préfèrent un degré de flexibilité dans leur travail. La première raison qu'ils donnent, c'est qu'ils n'aiment pas passer trop de temps dans les transports".

A Londres, les temps de trajet sont effectivement très longs. C'est pourquoi, avant le confinement strict fin 2020 déjà, les Britanniques étaient ceux qui travaillaient le plus depuis chez eux.

De nombreuses compagnies cherchent le même type d'immeuble, écologique ou zéro carbone.

Matt Oakley

Reste que les prix de l'immobilier d'affaires n'ont pas baissé pour l'instant. A Londres, New-York ou Paris, ils restent stables alors qu'ils avaient considérablement augmenté ces dernières années.

Selon Matt Oakley, c'est parce que les entreprises - pour attirer des employés - sont disposées à payer davantage pour des bureaux différents, plus spacieux, mieux aménagés et surtout moins gourmands en énergie.

"Le vrai défi à Londres, Paris ou Berlin, c'est qu'une très grande proportion de compagnies cherchent le même type d'immeuble, plutôt écologique ou zéro carbone, capables de créer un environnement sain et stimulant pour leur staff", dit-il. "Mais ces bons immeubles sont encore plutôt rares".

En attendant, les commerces de la City - qui dépendent beaucoup de la présence journalière des employés - ne savent pas trop sur quel pied danser.

>> Ecouter le reportage de Catherine Ilic :

La pandémie a vidé la City londonnienne de ses employés. [AP/Keystone - Matt Dunham]AP/Keystone - Matt Dunham
Commerces de la City de Londres face à la baisse d'employés de la finance, reportage / La Matinale / 1 min. / le 4 avril 2022

Et si les employés ne reviennent pas comme avant, les quartiers d'affaires devront se réinventer. Toutes les grandes villes y réfléchissent.

A Londres, la City prévoit de convertir des bureaux pour créer 1500 logements d'ici 2030, interdire l'accès aux voitures en fin de semaine ou lancer des évènements culturels de nuit. A Paris, on développe d'autres projets pour le quartier de la Défense, qui ne se prête pas vraiment à l'habitat.

De nouvelles formes d'immobilier résidentiel

"Il y a des formes d'immobilier résidentiel qui peuvent correspondre à une attente des salariés aujourd'hui, et notamment tout ce qu'on appelle le 'co-living' ou les résidences hôtelières", explique Pierre-Yves Guice, directeur de la société qui chapeaute ce mouvement de transformation. "Cela permet notamment aux travailleurs qui ne viennent que quelques jours par semaine sur leur lieu de travail d'avoir un logement avec services à proximité".

On va 'dé-bétonner', désartificialiser toute une partie du parvis de la Défense.

Pierre-Yves Guice

Pierre-Yves Guice n'oublie pas l'environnement. La Défense, hérissée de tours, est un espace très bétonné et il veut en faire un atout. "On a déjà des opérations de transformation en cours", explique-t-il. "On a un ancien échangeur autoroutier dont on achève la transformation en parc urbain, en promenade piétonne. On va lancer dans les prochains mois une opération de végétalisation, donc on va 'dé-bétonner', désartificialiser toute une partie du parvis de la Défense pour un faire le plus grand parc urbain sur dalle de France".

"Ce travail de mutation de cet espace public nous permettra de rattraper, voire de précéder les attentes des salariés et les habitants", souligne-t-il encore.

Donc les quartiers de centre-ville, comme la City, ou excentrés mais résilients, comme la Défense, ont des opportunités de développement durable. D'autres, mal pensés comme celui qui se trouve à proximité de l'aéroport de Zurich-Kloten, auront en revanche plus de peine.

C'est à se demander si ce modèle, qui vient d'être inauguré, a un avenir.

Marc-Antoine Messer
Le complexe d'affaires "The Circle" à Zurich-Kloten. [Keystone - Christian Beutler]
Le complexe d'affaires "The Circle" à Zurich-Kloten. [Keystone - Christian Beutler]

"C'est un territoire assez symptomatique de ce que l'on a un peu mal produit", constate Marc-Antoine Messer, urbaniste et professeur à l'EPFL. "Il est en périphérie de la ville et extrêmement monofonctionnel: ce sont des tours de bureaux pensées pour être louées à des grands groupes, avec des rez-de-chaussée pensés surtout pour du commerce de luxe".

Et c'est aujourd'hui un territoire quasiment en friche, alors qu'il vient d'être livré. "La plupart des tours ne sont pas occupées, voire ne sont pas finies", poursuit-il. "Et c'est à se demander si ce modèle-là, qui vient d'être inauguré, a un avenir alors qu'on a des tendances au télétravail et à des territoires mixtes et durables".

Ces quartiers-là, déjà dépassés avant même d'être opérationnels, risquent de rester en friche encore longtemps si la tendance au télétravail et à la diminution des trajets maison-bureau se confirme.

Francesca Argiroffo/oang

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