Publié

Pourquoi il est nécessaire de chiffrer la valeur d'une vie humaine

La valeur de la vie est le montant que la société est prête à payer pour éviter un décès. [RTS]
La valeur de la vie est calculée par l’administration fédérale et sert de base pour justifier un investissement, tel que la sécurité routière / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 5 min. / le 2 mai 2022
Si la vie n'a pas de prix, comme on l'entend souvent, elle a en revanche une valeur calculée par l'administration. En Suisse, c'est l'Office du développement territorial qui se charge d'en fixer le montant. En 2019, une vie humaine valait ainsi 6,9 millions de francs.

Donner un prix, une valeur, à la vie est a priori impossible. L'être humain n'est pas une marchandise et on le dit bien: chaque vie est sacrée et sa valeur est donc infinie.

Pourtant, il existe bel et bien une valeur statistique de la vie. "C'est le montant que la société est prête à payer pour éviter un décès", explique Joséphine Leuba, collaboratrice scientifique à l'Office fédéral du développement territorial (ARE), interrogée lundi dans l'émission Toutes taxes comprises (TTC) de la RTS.

Une vie à presque 7 millions de francs

Pour la Suisse, la valeur 2019 est de 6,9 millions de francs. "C'est une valeur calculée à partir d'une valeur de référence de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)", précise-t-elle.

En 2012, l'OCDE a fixé une valeur moyenne de 3 millions de dollars, reprise par les différents pays et adaptée chaque année selon leur PIB. C'est ainsi qu'on arrive, en Suisse et pour l'année 2019, à 6,9 millions de francs.

Calculer les coûts des décès prématurés

Les transports et l'environnement, notamment, sont des domaines dans lesquels donner une valeur à la vie est important.

"Les coûts externes des transports sont tous les coûts engendrés par le transport mais qui ne sont pas payés par les usagers", relève Joséphine Leuba. "Là-dedans, il y a notamment les coûts liés à la pollution de l'air et au bruit. Ça entraîne des décès prématurés, à peu près 2000 par année. Et pour calculer ces coûts, on a besoin de cette valeur statistique de la vie", poursuit la collaboratrice de l'ARE.

Donner une valeur à ces vies perdues permet de mettre en place des mesures de prévention. Le politique a besoin de déterminer quel budget il doit investir pour diminuer les risques qui touchent les citoyens et éviter des décès. Cette valeur permet de faire une analyse coûts-bénéfices.

"On est obligé de se poser la question"

"Si vous voulez investir dans un élément de sécurité, si vous voulez investir dans une thérapie pour un malade, on est obligé de se poser la question", relève le directeur romand d'Avenir Suisse Jérôme Cosandey.

"Est-ce que c'est justifié, surtout quand c'est payé par la collectivité, par la prime maladie, par l'impôt? Est-ce que c'est justifié de dépenser 3 ou 5 millions pour sauver une vie? Visiblement, à 100 millions on sera tous d'accord que c'est trop cher."

Jusqu'à quel point sécuriser une route

Ce chiffre de 6,9 millions de francs est utilisé concrètement pour décider de projets de sécurisation routière, de dépollution de sites, de politiques sanitaires ou encore dans la prévention de dangers naturels.

C'est le cas par exemple au départ de la route d'Anniviers, près de Sierre (VS). Sur cette route cantonale fréquentée, les automobilistes risquent d'être touchés par une chute de pierres ou un éboulement.

"On est en train de partir sur des mesures urgentes qui vont sécuriser environ 250 m de route et en partie la zone industrielle", explique François Fellay, ingénieur dangers naturels à l'Etat du Valais. "On va poser des filets pare-pierres directement en amont de cette route".

"On a d'un côté les risques pour les personnes et un risque pour les infrastructures et les biens, poursuit-il. "Pour avoir une vision générale des risques, il faut pouvoir monétariser le 'risque personne', c'est là qu'on utilise cette fameuse valeur de la vie humaine. Nous, on parle plutôt du montant que la société est prête à investir pour éviter un décès."

Coûts et bénéfices mis en balance

Sur ce secteur, on a estimé le risque de décès à un mort tous les 20 ans, sans compter les blessés. Le budget des travaux est de 9 millions de francs, auxquels il faut ajouter l'entretien annuel. La balance coûts-bénéfices a penché en faveur des travaux, mais ce n'est pas toujours le cas.

"On ne cherche pas systématiquement à atteindre le risque zéro", souligne François Fellay. "Sur un sentier pédestre, c'est plus acceptable d'avoir régulièrement des chutes de pierres que sur une route cantonale fortement fréquentée."

Le prix d'une année de vie en matière de santé

Dans certains domaines comme celui de la santé, on préfère utiliser une valeur qui se rapporte à une année de vie plutôt qu'à la vie entière, pour faire une évaluation plus précise.

"Une année de vie aux soins intensifs ou une année de vie en pleine forme, ce n'est pas la même chose", note Jérôme Cosandey. "Donc il y a la possibilité de pondérer par rapport à la qualité de vie, au niveau de santé."

Mais le fait de comparer les coûts et bénéfices peut soulever des questions éthiques quand on parle de vie humaine. "Je pense que cette valeur est très importante", défend le directeur romand d'Avenir Suisse. "Qu'est-ce qu'on est prêt à financer pour notre sécurité, pour la santé de tout le monde?", interroge-t-il.

Nécessité de sortir de l'émotionnel

"Quand on est malade, on pense que tout traitement est valable. Mais chaque mois d'octobre, quand on reçoit les factures des caisses maladie, on dit que ça ne va pas, que les coûts augmentent", argumente Jérôme Cosandey. "On sera peut-être un patient, mais on est aussi souvent un payeur de primes. Cela permet un peu de rationaliser, de sortir de l'émotionnel sachant les limites d'une telle valeur."

Si on donne une valeur très faible à la vie, on risque de faire les mauvais choix pour protéger les individus. Au contraire, avec une valeur infinie, plus aucun transport n'est assez fiable, plus aucune mesure de sécurité n'est assez sûre pour protéger une vie.

Claire Braillard/oang

Publié