Elles sont de retour… Critiquées pour leur apparence, les Crocs - sorte de sabot en plastique percé de trous - signent leur renaissance dans le monde de la mode.
Inventée à l’aube des années 2000 par deux ingénieurs en chimie québécois, la chaussure est initialement conçue pour être portée à la plage. La marque fait une entrée réussie en bourse en 2006, avant de faire faillite quelques années après. Elle se fait finalement racheter en 2013 par le groupe d’investissement Blackstone, qui injecte près de 145 millions d’euros dans le label.
>> Lire aussi : Nike va vendre des chaussures virtuelles grâce au rachat de RTFKT
Classées au rang de chaussures moches, les Crocs se réinventent en misant sur une forte stratégie digitale. Le public cible? Les adolescents, véritables influenceurs qui partagent aussi bien leur quotidien que leur achat sur les réseaux sociaux.
Le laid est sublimé, jusqu’à devenir un accessoire tendance. En bourse, les actions des Crocs s'envolent: l’an dernier, la marque annonçait un chiffre d’affaires prévisionnel s’élevant à 5 milliards pour les quatre prochaines années.
Le laid au podium
Comment expliquer un tel succès? "Le management a tout misé sur les réseaux sociaux et la collaboration avec certaines stars, comme Justin Bieber", explique Séverine Saas, journaliste spécialisée mode au Temps. En 2020, un simple cliché de la star canadienne portant une paire de Crocs a fait bondir les actions de la marque de 11% en une journée.
Certaines grandes maisons de couture décident de s’emparer du sabot en plastique. En 2016, Christopher Kane fait défiler ses mannequins, crocs marbrés aux pieds, pour sa collection printemps-été. Puis c’est au tour de Balenciaga de conférer à la sandale ses lettres de noblesse, en la dotant d’un talon de dix centimètres. Proposée pour la somme de 680 euros (contre 59,99 euros la paire en série limitée), la chaussure est en rupture de stock avant même sa mise en vente.
"Uglycore"
La Crocs s’insère dans une tendance plus générale, nommé le "Uglycore", un courant de mode faisant l’apologie du laid: il s'agit de bousculer les normes de la beauté, au profit de l’affirmation de soi.
"Porter des Crocs, c’est renouer avec note côté enfantin: elles ont des couleurs régressives, on peut aussi les customiser avec des pins. L'enfance est un moment de la vie où l'on est moins formaté, où nos idées sont moins arrêtées, où l’on est plus libre. Ça devient tendance, parce que c’est une façon de s’élever au-delà de la masse et de se différencier", détaille Séverine Saas.
Le vilain soulier plaît: dans un autre registre, la marque Birkenstock a été rachetée en 2021 par la compagnie de luxe LVMH pour la somme de 4,9 milliards de dollars. Autre succès? L’entreprise Deckers Outdoor Corp, qui a fondé son empire avec les fameuses bottes en mouton Ugg et les sandales de sport Teva. Avec un chiffre d’affaires s’élevant à 2,5 milliards cette année, le distributeur de chaussure connaît une croissance de près de 47% depuis l’année dernière.
Interrogé en février par le média Bloomberg, le PDG de Deckers, Dave Powers, revendique le laid comme argument de vente: "Le surnom laid ne me dérange pas. Cela dit que vous êtes différent, que vous possédez quelque chose de distinct. C’est décalé, mais il y a quelque d’intéressant dans ce concept".
Que cela plaise ou divise, la "chaussure moche " semble avoir encore de beaux jours devant elle.
Sujet TV: Julie Evard
Adaptation web: Sarah Jelassi