Afin d'intensifier sa pression sur Moscou, l'Union européenne (UE) a transmis dans la nuit de mardi à mercredi aux Etats membres ses propositions pour un sixième paquet de sanctions contre la Russie. Elle compte notamment renoncer progressivement aux livraisons russes de pétrole brut dans les six mois, et à celles de produits raffinés d'ici à la fin de l'année.
"Il s'agira d'une interdiction complète des importations de tout le pétrole russe, transporté par voie maritime ou par oléoduc, brut et raffiné (...) de façon ordonnée, d'une manière qui nous permettra de mettre en place d'autres voies d'approvisionnement", a expliqué mercredi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'une présentation devant les députés européens à Strasbourg. Pour elle, il s'agit de "faire payer le prix fort" au président Vladimir Poutine.
Adoption pas encore garantie
Mais cette transition ne se fera pas sans difficulté pour l'Europe, dans un contexte où le pétrole russe représente plus d'un quart des importations de pétrole de l'UE. Ainsi, l'arrêt des importations sera "progressif et ordonné, de manière à mettre en place d'autres voies d'approvisionnement et réduire au minimum l'impact sur les marchés mondiaux", a affirmé Ursula von der Leyen. Mais "ce ne sera pas facile", a-t-elle reconnu, car plusieurs pays sont "fortement dépendants".
"Chaque nouveau paquet de sanctions contre la Russie est plus difficile à adopter car il impose des choix politiques à chaque Etat membre. L'unanimité est nécessaire et rien n'est garanti pour son adoption", a souligné un responsable européen.
Le ministre allemand de l'Energie Robert Habeck a notamment confirmé que, dans cette situation, il ne pourrait "pas garantir qu'il n'y aura pas de perturbations" dans les approvisionnements de pétrole en Allemagne.
En 2021, la Russie a fourni 30% du brut et 15% des produits pétroliers achetés par l'UE. Elle fournit annuellement 150 milliards de m3 de gaz.
La Hongrie rejette le projet, malgré une exception
Selon plusieurs responsables et diplomates européens, le projet de la Commission prévoit une exemption pour la Hongrie et la Slovaquie. Ces deux pays, enclavés et totalement dépendants des livraisons par l'oléoduc Droujba, faute de connexions avec le reste de l'UE, pourront continuer leurs achats à la Russie en 2023, a précisé l'un de ces responsables.
Mais malgré cette dérogation, le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter Szijjarto a annoncé mercredi que son pays rejetait la proposition de la Commission "dans sa forme actuelle", jugeant qu'une telle mesure "détruirait complètement la sécurité énergétique" du pays. Selon lui, le délai d'un an ne suffit pas. "En toute responsabilité, nous ne pouvons pas voter pour", a-t-il déclaré dans un message vidéo diffusé sur sa page Facebook.
De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a également rappelé que ces sanctions étaient "une arme à double tranchant". "En essayant de nous faire mal, ils devront aussi payer le prix fort. Ils le payent déjà. Et le coût des sanctions pour les citoyens de l'Europe va croître de jour en jour", a-t-il averti.
La Suisse peu concernée
Jusqu'ici, la Suisse a repris les sanctions européenne, et devrait poursuivre sur cette voie. En cas d'adoption d'un embargo sur le pétrole russe, son approvisionnement ne devrait toutefois pas être trop touché. Même si la Suisse a une consommation élevée de sources d'énergie liquides en comparaison internationale, Fabian Bilger, de l'association des importateurs de combustibles "Avenergy Suisse", se veut rassurant. Seule une infime partie du pétrole brut importé dans le pays vient de Russie.
Il y a près de 20 ans, près du tiers du pétrole importé en Suisse provenait du Kazakhstan, pays sous influence russe, ou de Russie. En 2020, les cartes ont été redistribuées, les Etats-Unis étant devenus le second plus important fournisseur de la Suisse, derrière le Nigeria. Et le Kazakhstan et la Russie pèsent désormais moins de 6% du total.
>> Voir également l'analyse de Pascal Jeannerat sur l'impact
sur la Suisse
d'un
potentiel
embargo:
Les marchés ont anticipé
Par ailleurs, Selon Fabian Bilger, l'importation de pétrole brut ne représente que 25% des importations pétrolières totales. Les 75% restant sont constitués de pétrole déjà raffiné en provenance de l'UE. Et selon le spécialiste, le marché du pétrole est très souple. Le pétrole russe peut être remplacé rapidement par du pétrole provenant d'autres pays producteurs. Certains raffineurs seraient certes confrontés à des défis logistiques en cas d'embargo, mais le marché dans son ensemble pourrait s'adapter.
Enfin, en ce qui concerne le prix du pétrole, Fabian Bilger part du principe qu'une partie des effets des sanctions a déjà été anticipée. "Les négociants en matières premières en Europe semblent avoir déjà réagi à la menace d'un embargo et achètent nettement moins de pétrole russe", explique l'expert.
>> Sur le même sujet, voir aussi : La Suisse pourra-t-elle être touchée par un éventuel arrêt des livraisons de gaz russe?
ats/jop
Sanctions financières et personnelles
Les sanctions proposées par Bruxelles frappent également le secteur financier avec l'exclusion de la plus importante banque russe, la Sberkank, qui représente 37% du marché, du système financier international Swift, ainsi que deux autres établissements.
En outre, le chef de l'Eglise orthodoxe russe, le patriarche Kirill, soutien affiché de la guerre, figure au nombre des nouvelles personnalités ajoutées sur la liste noire de l'UE. La famille du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov et de nombreux militaires soupçonnés de crimes de guerre à Boutcha sont également concernés.
"Nous adressons ainsi un autre signal fort à tous ceux qui mènent la guerre du Kremlin: nous savons qui vous êtes, et vous devrez rendre compte de vos actes", a lancé Ursula von der Leyen.
L'objectif est une entrée en vigueur de ce sixième paquet de sanctions pour la célébration de la 72ème journée de l'Europe le 9 mai. Cette date est également célébrée en Russie comme le "jour de la Victoire" sur l'Allemagne nazie.