La polémique ne désenfle pas depuis dimanche. Dans la NZZ, le patron de Syngenta Erik Fyrwald avait appelé à abandonner l'agriculture biologique pour faire face à une crise alimentaire mondiale. "Les pays riches ont l'obligation d'augmenter leur production agricole afin d'éviter une catastrophe mondiale", avait-il lancé.
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Depuis, les réactions ont été vives, parfois même moqueuses, sur les réseaux sociaux.
Sur un terrain agricole à Aubonne (VD), le responsable de Bio Suisse pour la Romandie ne mâche pas ses mots: "De lire que des gens meurent de faim en Afrique parce qu'on mange du bio ici, c'est absolument scandaleux. C'est l'agriculture industrialisée qui les a mis sous dépendance. L'Afrique est dépendante de ce genre d'agriculture, alors qu'elle a un potentiel de production énorme", soutient Pascal Olivier.
Rendement 20% plus faible
Pour Gérald Huber, qui a fait le choix du label bio en 2016, produire sans chimie relève de l'évidence. Sa culture de soja, destinée à la production de tofu, a un rendement aussi bon qu'une culture conventionnelle.
Mais le rendement du bio par rapport au conventionnel varie fortement selon le type de culture. D'après des recherches comparatives effectuées par le centre de compétence de la Confédération Agroscope, le maïs bio par exemple offre un rendement de 87% par rapport au conventionnel. C'est mieux que le blé (79%) ou la pomme de terre (66%). En moyenne, le bio atteint 81% du rendement de l'agriculture conventionnelle.
Le rendement du bio 20% plus faible donnerait-il raison au patron de Syngenta? Tout dépend de ce que l'on met dans la balance de la rentabilité, répond Gérald Huber: "Je produis de la biodiversité, de la haute qualité, un air de qualité. Et de la bienveillance pour notre société. Dans l'agriculture biologique, nous sommes hyper-productifs", lance l'agriculteur.
Moins de gaspillage alimentaire...
Pour Pascal Olivier, l'injonction de supprimer le bio pour éviter la famine est une affirmation "très simpliste à des problèmes vraiment globaux et complexes. C'est presque affligeant".
Selon la faîtière du bio, la sécurité alimentaire globale passe par une meilleure utilisation des ressources, à commencer par le gaspillage alimentaire, qui concerne en Suisse environ un tiers des productions agricoles. "Rien qu'avec ça, on rattrape facilement les 20% évoqués", souligne-t-il.
Un deuxième levier pour lutter contre cette crise alimentaire mondiale concerne la consommation de viande, qui est très importante dans les pays industrialisés. "Toutes ces surfaces de cultures qui finissent dans l'estomac des ruminants! Dans un pays qui est herbagé à 70% comme la Suisse, ce n'est pas normal que l'on nourrisse des ruminants avec du soja, du blé ou d'autres aliments, que pourrait consommer directement l'être humain", relève Pascal Olivier.
... et moins de viande
Parler d'abandonner le bio pour gérer la crise alimentaire mondiale a de quoi faire bondir, dans un contexte où l'ensemble de la surface agricole terrestre sert à nourrir environ 1 milliard de bovins, 800 millions de porcs et 30 milliards de poulets.
En Ukraine, considéré comme le grenier de l'Europe et cinquième exportateur mondial de blé, la production y est utilisée à 22% pour le fourrage de bétail. Pour le maïs, c'est 60%, et 31% des pommes de terre. En termes de calories, l'Ukraine pourrait nourrir 400 millions d'humains, mais elle n'en nourrit "que" 125 millions.
L'enjeu de demain, pour Gérald Huber, sera justement de trouver le bon équilibre entre "les cultures pour la bouche humaine et les cultures pour la bouche de nos animaux". Sans compter les surfaces agricoles qui servent à faire de l'énergie dans le reste de l'Europe, comme du biogaz.
Pour Bio Suisse, nourrir la planète avec du bio en 2050 est possible, en théorie, à condition de changer nos habitudes, ce qui impliquerait autant les consommateurs que la grande distribution.
Théo Jeannet et Feriel Mestiri