Pascal Saint-Amans: en matière fiscale, "la Suisse a fait le job, les Bahamas aussi, mais plus lentement"
Tant l'Union européenne que l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont fait la chasse aux paradis fiscaux ces dernières années. La Suisse et les Bahamas, notamment, ont dû changer leurs modèles fiscaux pour répondre à certains critères.
Mais ont-ils fait leurs devoirs avec application ou à reculons et se sont-ils réellement pliés aux règles? Pour Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, "les Bahamas, un peu comme la Suisse il y a plusieurs années, ont offert pendant longtemps du secret bancaire, du secret fiduciaire, des trusts et très peu de coopération fiscale".
Aujourd'hui, tant la Suisse que les Bahamas ont changé leur législation, explique l'expert de l'OCDE, qui définit un paradis fiscal comme un pays qui a de l'opacité et qui ne taxe rien. Les deux pays ont désormais introduit la fin du secret bancaire, négocié des conventions pour pouvoir échanger des renseignements et mis davantage de transparence en place.
On ne peut pas comparer la Suisse et les Bahamas
Peut-on donc aujourd'hui comparer les pratiques de la Suisse et des Bahamas? Pascal Saint-Amans ne s'y risque pas: "Je ne veux pas mettre sur le même pied les Bahamas, un tout petit territoire sans aucune fiscalité, avec des pratiques excessives, avec la Suisse, qui est un vrai pays, qui avait des pratiques excessives, notamment des banques il y a quinze ans, mais qui a changé radicalement."
L'expert précise que la Suisse a traîné des pieds jusqu'en 2009-2011, voire 2013, avec des efforts pour éviter de passer à l'échange automatique de renseignements. Mais depuis qu'elle y est passée, "la Suisse fait le job, applique les règles. Les Bahamas aussi, mais peut-être de façon plus lente, un peu moins carrée. La Suisse a le bénéfice d'être assez carrée".
Au niveau du droit, les Bahamas, qui continuent de traîner une réputation sulfureuse, ne sont plus considérés comme un paradis fiscal, car ils satisfont aux exigences de la communauté internationale. "C'est un progrès énorme", constate Pascal Saint-Amans, même si "les Bahamas ont toujours suivi le mouvement international a minima, sans être en avance sur les autres". Il relève en outre que si la transparence de ce pays n'a rien à voir avec le passé, il subsiste des zones d'ombre: il s'y passe toujours pas mal d'affaires qui ne sont peut-être pas totalement transparentes et certains avocats ou des banques essaient toujours de passer sous l'écran radar, de conseiller à certains riches clients d'investir aux Bahamas et de s'y dissimuler.
On a une très bonne relation de travail avec le gouvernement suisse
L'OCDE juge aussi que les Bahamas n'ont pas encore mis en place toute la transparence requise. Pascal Saint-Amans reprend l'exemple de la Suisse, qui était sur la liste des Etats problématiques en 2009. "Aujourd'hui, c'est derrière. La Suisse essaie de ne pas être dessus et on a une très bonne relation de travail avec le gouvernement suisse." Concernant les Bahamas, l'absence de fiscalité est un problème, car ce pays risque toujours d'attirer des coquilles vides de multinationales qui vont localiser du profit, alors qu'en fait rien ne se passe dans le pays. Le pays des Caraïbes a ainsi été réintroduit sur une liste grise de l'UE comme une juridiction qui collabore mal.
Nette amélioration en matière de fiscalité internationale
Plus généralement, Pascal Saint-Amans constate une nette amélioration en matière de fiscalité internationale. La communauté internationale s'est mise d'accord en octobre 2021 pour mettre fin à toute politique de zéro fiscalité, car le risque que les grandes multinationales puissent localiser leurs profits dans des pays où il n'y a aucune fiscalité demeurait bien présent. Le principe de l'imposition minimale d'au moins 15% effectifs, c'est-à-dire ce qui est payé effectivement par rapport aux profits réalisés, a ainsi été mis en place.
Comme Etats offrant des niveaux effectifs d'imposition extrêmement faibles, l'expert cite les Bahamas, les Bermudes, les Caïmans, "mais aussi la Suisse et certains cantons comme Zoug ou d'autres qui pourraient se reconnaître".
Les vrais investisseurs ne vont pas aller dans les pays à la réputation endommagée
Pascal Saint-Amans se félicite toutefois que tous les pays appliquent désormais les standards de transparence et font de l'échange automatique de renseignements, car "cela n'a de sens de mettre fin au secret bancaire ou à zéro fiscalité que si tout le monde applique la règle".
L'an dernier, ce sont ainsi 70 millions de comptes bancaires détenus par des étrangers dans un pays qui ont été échangés par ce pays avec l'Etat d'origine du détenteur du compte bancaire. Et ce pour une valeur de 9000 milliards d'euros. Concernant la Suisse, cela représente plusieurs millions de comptes bancaires qui ont été rapportés aux pays de résidence. Au total, cela a permis de récupérer 115 milliards de recettes fiscales.
Et tous les pays ont suivi, même si certains ont traîné ou traînent encore, comme une ou deux îles des Caraïbes ou le Panama. Mais, conclut l'expert de l'OCDE, il y a désormais une forte pression internationale sur ces pays pour ne pas être blacklistés par l'UE ou l'OCDE. "Sinon, il y a un prix à payer: on ne peut pas attirer des capitaux parce que la réputation est endommagée et les vrais investisseurs ne vont pas aller dans les pays à la réputation endommagée."
Interview TV: Patrick Fischer
Adaptation web: Frédéric Boillat
Interview diffusée dans TTC à 20h10 sur RTS 1.