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La mode, la finance et les transports se mettent au vert: écolo ou greenwashing?

Greenwashing. [Depositphotos - tbtb]
Greenwashing ou véritable élan écologique? / On en parle / 48 min. / le 19 mai 2022
L’industrie du textile, le secteur de la finance et celui des transports ont tous un point commun: celui de jouer la carte écologique pour montrer leur engagement dans la défense de l’environnement. Coup marketing ou réel effort? On en parle a mené l’enquête.

Greenwashing ou écoblanchiment: ces termes désignent une technique de marketing utilisée dans le but de se donner une image écologique trompeuse. Autrement dit, les entreprises mettent en avant des préoccupations environnementales, mais leurs pratiques sont toujours aussi polluantes. On en parle consacre un dossier à l’analyse des pratiques de greenwashing des secteurs du textile, de la finance et des transports.

LA FAST FASHION TENTE DE SE RACHETER

L’industrie du textile est le deuxième secteur le plus polluant au monde, juste après celui de l’industrie pétrolière, en émettant près de 10% des émissions de CO2 mondiales. Les marques tentent alors de se racheter une image plus verte. Par exemple, certaines proposent de récupérer les vieux vêtements pour les recycler. Est-on vraiment sur le chemin d’une mode plus éthique?

Pas vraiment pour Géraldine Viret, porte-parole de l’ONG Public Eye, interrogée par On en parle: "Le discours de ces marques autour du recyclage cherche à déculpabiliser les consommateurs et consommatrices en leur disant ‘vous pouvez acheter vos vêtements chez nous, car nous recyclons’. On ne peut pas résoudre les problèmes environnementaux liés à l’industrie textile de cette manière, en surconsommant de manière effrénée."

Dans la fast fashion, la qualité des matériaux est tellement mauvaise qu'il n'y a en réalité pas grand-chose à recycler.

Géraldine Viret

Qu’en est-il des vêtements réalisés partiellement à partir de matières recyclées, comme chez Manor ou H&M? "La démarche en elle-même va dans le bon sens, ces produits représentent un très faible pourcentage de l’assortiment. Le reste est toujours produit dans de mauvaises conditions sociales et environnementales. Il s’agit là encore de greenwashing", explique Géraldine Viret.

Un champ lexical subtilement confus

La carte verte est également présente dans la communication des marques. Par exemple, Zara et son slogan "join life", ‘rejoindre la vie’, H&M et son label "conscious" ou pour un choix ‘conscient’, et Mango s’adressant directement à la planète, disant "nous nous sommes engagés". Enfin, C&A invite à découvrir la durabilité dans ce qu’elle a de plus simple avec sa vision "faire de la mode durable une nouvelle norme".

Du côté suisse, la Coop tient un discours ‘vert’ avec sa gamme Naturaline, "l'exemple parfait d'une production de textiles socialement responsable et respectueuse de l'environnement". Quant à Manor, l’enseigne assure s’engager à créer des produits en coton biologique, ‘durable’ et ‘pur’.

Les adjectifs ‘responsable’ ‘durable’, ‘pur’ ou encore ‘naturel’ sont-ils une garantie de produits bons pour la santé et pour la planète ? Il s’agit à nouveau de greenwashing selon Sophie Michaud Gigon, secrétaire générale de la FRC, et conseillère nationale Verte vaudoise. "Aux yeux de la loi suisse, ces termes ne sont pas définis, ni protégés. La Loi contre la concurrence déloyale ne permet pas d’entrer en justice contre ce genre de procédé. Cependant, l’Union européenne y travaille."

Un label bio meilleur, mais pas optimal

Les marques mettent également en avant leur coton ‘bio’. C&A affirme que dans son assortiment, 40% du coton utilisé est certifié bio. De son côté, Manor précise que ses articles en coton bio représentent 18% de leurs produits ‘Manor Woman’. Pour Géraldine Viret, "Le label ‘bio’ garantit l’absence de pesticides et une meilleure utilisation du sol dans la culture de coton. Il y a toujours un impact environnemental négatif, notamment à cause de la surproduction, mais c’est déjà bien mieux."

Des salaires décents toujours pas garantis

Le salaire des personnes travaillant dans l’industrie du textile doit aussi être pris en compte dans l’analyse de la responsabilité d’une entreprise. Interrogées, Coop et Manor affirment détenir la certification BSCI. "Il s’agit d’une initiative patronale", répond Géraldine Viret. "Beaucoup d’entreprises sont certifiées BSCI et le mettent en avant, mais cela est trompeur. Cette certification reste très vague concernant les salaires, c’est-à-dire que le salaire vital est une aspiration, et non une exigence. Il n’y a pas de stratégie claire dans cette certification."

Selon une évaluation des entreprises faite par Public Eye en 2019, seuls 36% des employés et employées de C&A étaient soumis à une convention collective qui calculerait le niveau du salaire vital. Interrogée par On en parle concernant une éventuelle évolution de ces statistiques, C&A n’a pas souhaité partager ses chiffres actuels.

>> À regarder: 'H&M: greenwashing ou vrai changement durable?', dans la Matinale du 7.10.2021 :

Deux mains colorient en bleu et vert une cheminée d'usine et sa fumée. [Depositphotos - tbtb]Depositphotos - tbtb
Greenwashing: des produits faussement durables / On en parle / 12 min. / le 24 novembre 2021

LA FINANCE ET LE CLIMAT

Autres grandes actrices du réchauffement climatique, les banques et les assurances mettent en avant leur durabilité et leurs investissements écoresponsables sur les réseaux sociaux. Pourtant, sur leurs sites web, trouver des informations claires est compliqué. Les explications manquent, ou sont difficiles à comprendre pour le grand public. Le terme ‘durable’ est employé, mais sa définition est floue.

La Suisse pionnière, est-ce possible?

Pour l'Alliance climatique suisse, avec 8 mille milliards d'actifs sous gestion, la place financière suisse est un levier crucial pour endiguer le dérèglement du climat. En choisissant de financer des projets, des prêts aux entreprises, des actions, ou des obligations, elle peut changer la tendance en visant un réchauffement de la planète ne dépassant pas 1.5°C.

Pourtant, selon la Confédération, les banques, assurances et caisses de pension investissent quatre fois plus d'argent dans le fossile que dans le renouvelable, et 80% des institutions financières détiennent des titres d'entreprises actives dans l'extraction de charbon.

Même si plus de deux tiers des institutions financières déclarent suivre une stratégie en faveur du climat, la clientèle n’est pas assez informée des risques climatiques et des conséquences de ses investissements: selon une enquête initiée par la Confédération, la plupart des établissements n'aborde pas le sujet de sa propre initiative avec ses clients.

Pas de règles contraignantes

La FINMA, l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, a aussi observé des pratiques d'écoblanchiment et estime que "les prestataires formulent souvent des promesses floues voire trompeuses concernant leurs produits". En l’absence de prescriptions spécifiques, la FINMA a fait des recommandations, mais indique que sa marge de manœuvre pour une prévention et une lutte efficace contre le greenwashing est limitée.

Pour l’Association suisse des banquiers, le droit suisse des marchés financiers contient différentes dispositions qui devraient empêcher efficacement l’écoblanchiment. Par exemple, le greenwashing est déjà sanctionné par la loi, comme toute autre tromperie. Les institutions en sont conscientes et cherchent à élaborer des normes internationales pour lutter contre le phénomène.

Des labels peu fiables

Des labels existent. ISR, par exemple, est un label français signifiant ‘investissement socialement responsable’. Il prend en compte les critères ESG, des critères non financiers basés sur trois grands piliers: E pour environnemental, S pour social et G pour bonne gouvernance. Pourtant, selon l'examen effectué par Greenpeace, les fonds de placement qualifiés ‘durables’ et porteurs du label ESG sont à peine mieux notés que les fonds conventionnels. Pour près de 60% des fonds recommandés, les critères de durabilité ne sont appliqués qu’à une partie du portefeuille.

De son côté, le WWF a analysé l’impact environnemental des 15 plus grandes banques de détail suisses. Si aucune n'est visionnaire, ni même pionnière, il y a tout de même une évolution positive des bonnes pratiques.

Sophie Michaud Gigon partage cet avis: "Je suis convaincue que le secteur va évoluer, aussi parce que les banques elles-mêmes ont demandé à Ueli Maurer d’élaborer des critères pour départager les bons produits et les moins bons produits."

>> À écouter: Les conseils de Florence Anglès, spécialiste de la gestion de risques chez Capco, société de conseil en gestion des affaires et des technologies spécialisées dans les services financiers, qui répondait en 2020 à Sophie Proust :

Série éconoclaste: les placements durables. [Depositphotos - billiondigital]Depositphotos - billiondigital
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PETROLE ET ECOLOGIE

Les discours et les engagements se multiplient en matière de politique climatique, aussi de la part d’entreprises actives dans l’extraction et l'exploitation d’énergies fossiles.

Des stations-services proposent aux automobilistes de compenser le CO2 émis par leur véhicule lors de leurs déplacements. Lors du passage en caisse, ils ont la possibilité de verser un centime supplémentaire par litre d’essence ou de diesel. La compagnie anglo-néerlandaise Shell est la première à avoir lancé cette offre en Europe en 2019. Migrol, partenaire de Shell, le propose également, ainsi que Socar, la compagnie pétrolière nationale d’Azerbaïdjan.

Une mesure peu utile pour Alain Karsenty, économiste au centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement à Montpellier: "La stratégie de ces entreprises est d’acheter la bonne conscience des consommateurs […] C’est assez pervers, car beaucoup de personnes ont mauvaise conscience et vont faire ce petit geste pour s’acheter une bonne conscience à moindre coût", explique-t-il lors de l’émission On en parle.

Des projets pas toujours utiles

Shell affirme "prendre en charge à ses propres frais la compensation des émissions de CO₂ causées par l’extraction, la production et le transport du carburant jusqu’à la station-service." En un an et demi, l’entreprise a ainsi encaissé 520'000 francs de compensation sur 52 millions de litres de carburant. L’argent récolté sert à acheter des certificats de CO2 ou des crédits de réduction carbone. Il finance des projets de protection et de reboisements des forêts, dont les arbres absorbent le CO2 au Pérou, en Indonésie et en Suisse.

Des projets pas forcément utiles pour Alain Karsenty: "Lorsqu’on émet du CO2 en roulant ou lors d’une activité industrielle, il va rester dans l’atmosphère pendant une centaine d’années avant d’être éliminé. Pour compenser des émissions par le reboisement, il faudrait donner la garantie que le carbone absorbé par les arbres que l’on va planter reste ‘séquestré’ dans leur biomasse pendant des centaines d’années. Or, c’est quelque chose qu’il est impossible de garantir aujourd’hui, car les forêts sont menacées par le changement climatique."

Les compagnies aériennes ont introduit le système de compensation de CO2 il y a une vingtaine d’années, lors de l’achat de billets d’avion. Il s’agit là encore de greenwashing, selon Alain Karsenty:

"Lorsqu’une entreprise parle de neutralité carbone, cela est absolument faux. En revanche, pourquoi ces entreprises ne financeraient-elles pas des projets pertinents, en lien avec les territoires, et correspondant aux besoins des populations autour de l’agriculture et des écosystèmes?"

Alain Karsenty

Changer de nom pour se mettre au vert

L’association faîtière des importateurs de combustibles et carburants liquides Avenergy Suisse s’appelait auparavant l’Union pétrolière. Sur son site internet, elle présente sa politique "Pour une protection efficace du climat". Le texte regrette "l’alarmisme régnant actuellement de tous côtés" concernant les questions climatiques, et s’appuie sur une statistique: la Suisse génère un millième du CO2 produit sur la planète. Elle estime que "l’économie suisse a donc la plus faible intensité de CO2 dans le monde." Cependant, cette interprétation ne prend pas compte le fait qu’une grande partie du CO2 suisse est indirectement engendré par les importations de biens.

Il n’y a pas que l’Union pétrolière suisse qui a changé son nom pour coller à l’air du temps. L’entreprise française Total s’est rebaptisée "TotalEnergies" il y a un an tout en présentant son plan climat. Quant à "BP", ex "British Petroleum", elle avait modifié son acronyme pour "Beyond Petroleum", ‘au-delà du pétrole’ en 2001. Elle est revenue en arrière en 2010, après la catastrophe du Deepwater Horizon ayant provoqué la plus grave marée noire de l’histoire.

Sujet radio: Marie Tschumi, Delphine Sage et Isabelle Fiaux

Adaptation web: Myriam Semaani

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