Comme dans l'oeil du cyclone, le Covid s'est fait silencieux depuis plusieurs semaines en Suisse. On en oublierait presque que le virus circule toujours sur la planète et qu'il a fait sa six millionième victime le mois dernier, selon le nombre de morts officiellement recensés dans le monde (jusqu'à trois fois plus, selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé).
Dans ce calme apparent, une armée de scientifiques continue de chercher un meilleur bouclier contre la pandémie. Dix vaccins ont déjà été approuvés par l'OMS - en plus d'une vingtaine autorisés localement dans plusieurs pays. Des vaccins considérés comme sûrs et performants. Mais ils ne protègent pas longtemps et leur efficacité contre le dernier variant Omicron n'est pas optimale. Sans parler de la difficulté logistique pour les acheminer en respectant la chaîne du froid.
"Maintenant, ce que l'on cherche, c'est un vaccin polyvalent, qui protège contre Omicron, Wuhan et Delta, voire contre tous les SARS-CoV-2. Ensuite, on espère des formules plus stables, qui n'ont pas besoin de chaîne de froid", énumère Thomas Cueni, le directeur de la Fédération internationale de l'industrie pharmaceutique (IFPMA).
482 candidats en lice
Un total de 482 candidats vaccins sont actuellement recensés dans 46 pays par la société d'analyse de données de santé Airfinity. Parmi ces candidats, 179 sont en phase d'essais cliniques, et donc testés sur des êtres humains, contre 303 qui sont encore en phase préclinique.
"Plus de 90% des essais échouent. Cela démontre les risques de la recherche pharmaceutique", souligne Thomas Cueni.
Deux vaccins suisses en phase I
En Suisse, neuf laboratoires oeuvrent au développement de treize candidats vaccins, principalement dans les cantons de Bâle, Vaud, Zurich et Berne. La plupart sont en phase préclinique.
Deux d'entre eux viennent d'entrer en phase clinique I. Mais les essais sur des êtres humains ne commenceront qu'en 2023, annonce Volker Thiel, qui a dirigé les équipes de recherche.
Selon ce virologue à l'Université de Berne et à l'Institut de virologie et d'immunologie (IVI), son vaccin a toutes les chances d'être meilleur que ceux qui existent déjà sur le marché: "Notre vaccin est une version affaiblie du virus. Cela signifie que nous avons non seulement la protéine Spike, qui se trouve dans les vaccins actuellement approuvés, mais nous avons le virus entier, avec toutes les protéines. On peut donc supposer que l'effet agira non seulement contre les variants connus aujourd'hui, mais aussi contre les variants futurs".
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Vaccin nasal
Le vaccin, qu'il a développé en collaboration avec des chercheurs de Genève, Berlin et Riems (Allemagne) dans le cadre du Programme national de recherche "Covid-19" (PNR 78) du Fonds national suisse (FNS), serait administré sous forme de spray nasal. "C'est non seulement plus facile à appliquer, mais nous obtenons également une réponse immunitaire renforcée là où le virus infecte en premier", précise ce pionnier de la recherche sur les coronavirus.
Par rapport aux vaccins de première génération, celui-ci serait plus durable, plus efficace face aux mutations des protéines de pointe du virus, et il garderait sa stabilité même à des températures plus élevées.
Son partenariat avec la start-up biotech bâloise RocketVax lui offre un tremplin vers une future mise sur le marché, à condition de passer les trois phases cliniques.
Des projets à bout touchant
Un candidat prometteur, mais il n'est pas le seul. Spray nasal, pilule ou injections à administrer en une seule dose ou en deux doses, vaccin atténué, inactivé, sous-unitaire, à vecteur ou à ARN. Presque toutes les options sont fouillées dans les quatre coins de la planète.
Trente-sept candidats sont actuellement en phase III, donc à bout touchant. Ceux qui ont mené la course au premier vaccin sont en bonne voie d'aboutir à une deuxième génération.
Le patron de Pfizer Albert Bourla a dit espérer présenter d'ici l'automne un vaccin efficace contre tous les variants "connus pour le moment", tandis que Moderna étudie plusieurs approches, notamment un rappel bivalent qui combine le vaccin actuel avec le candidat spécifique à Omicron. En parallèle, la société américaine travaille aussi sur un vaccin de rappel combiné COVID-grippe-VRS (virus respiratoire syncytial) pour la fin 2023.
Deux autres candidats sont attendus et présentent des alternatives à l'ARNm: le Vidprevtyn de Sanofi/GSK, un vaccin à protéine recombinante qui se conserve bien au frigo, et le vaccin du laboratoire franco-autrichien Valneva, qui repose sur un virus inactivé.
Ce n'est plus une course
Dans cette compétition prolifique, Volker Thiel ne se décourage pas: "Bien sûr, il y a beaucoup de concurrence et beaucoup de candidats. Mais c'est tout à fait normal en science. Nous avons toujours de la concurrence, puis cela va évoluer. Différents concepts seront développés et nous verrons ensuite lequel sera le meilleur".
Quant au retard pris sur ses concurrents, Volker Thiel répond: "Il faut rappeler que le Covid ne partira pas. Nous devrons vivre longtemps avec la maladie. Donc cette concurrence n'est pas si cruciale en terme de vitesse. A la fin, lorsque les vaccins seront établis, il y en aura suffisamment pour couvrir de nombreux variants. Et là, je vois notre vaccin vivant comme un très bon candidat".
Le chercheur rappelle que le concept du virus atténué a permis d'éradiquer la variole et propose un excellent vaccin contre la rougeole. "Nous venons de développer une plateforme qui peut être utilisée pour développer des vaccins vivants beaucoup plus rapidement, car elle est transférable à de nombreux virus. Je pense que nous avons de bonnes chances d'arriver sur le marché, non seulement avec le Covid, mais aussi avec d'autres maladies virales."
Baisse de la production
Selon le directeur de l'IFPMA Thomas Cueni, cette compétition scientifique pour un vaccin est inédite. Mais dans un contexte où Omicron ne semble plus faire peur et où la demande de vaccins dans le monde diminue, cette émulation des cerveaux contraste avec les besoins actuels du marché. En Afrique, seuls 16% des habitants sont complètement vaccinés, en raison d'un manque de moyens logistiques et d'une population moyennement convaincue.
"Les productions ne tournent plus à plein régime", confirme Thomas Cueni, citant l'exemple de l'usine d'Aspen en Afrique du Sud. Cette dernière, qui avait conclu un accord avec Janssen pour produire des vaccins pour tout le continent, menace désormais de stopper la production, faute de commandes.
Contactée, l'entreprise Lonza, qui produit en Suisse les vaccins de Moderna, n'a pas souhaité répondre à nos questions sur l'évolution de sa production.
D'une manière globale, Thomas Cueni estime que "nous avons probablement 50% de vaccins en plus que ce dont nous avons besoin", ce qui le préoccupe: "La distance entre la panique qu'on a vécue en 2020 et la négligence actuelle est très courte. 60% de la population mondiale est entièrement vaccinée. Moi, je préférerais que ce soit 90%."
En Suisse, comme dans le monde, la courbe des nouvelles vaccinations frôle le plancher.
14 millions de doses pour 2023
Difficile pour l'heure de savoir si nous aurons besoin d'un vaccin spécifique contre Omicron. Mais l'ensemble de l'industrie pharma s'y prépare, et anticipe la prochaine variante, qui pourrait être plus sévère.
De son côté, la Suisse observe de près la situation épidémiologique. Berne ne préconise pas, pour l'heure, de quatrième dose. Mais face à une potentielle nouvelle flambée des cas en automne/hiver 2022, elle s'est déjà armée. Aux 34 millions de doses commandées pour 2022, la Confédération vient d'ajouter 14 millions de doses supplémentaires pour 2023 auprès de Pfizer et Moderna. Selon les accords conclus avec eux, la Suisse recevra la dernière version du vaccin disponible.
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Feriel Mestiri