Le Premier ministre chinois l’a admis publiquement pour la première fois: le pays n’atteindra pas sa croissance cible de 5,5% cette année. Une annonce choc tant les autorités mettent habituellement tout en œuvre pour atteindre les objectifs économiques fixés par le gouvernement central. Le défi posé par la stratégie zéro-Covid est sans précédent depuis les réformes et l’ouverture du système chinois en 1989.
Lors de sa prise de parole lors d’une visioconférence adressée à près de 100'000 cadres du parti, Li Keqiang n’est pas allé par quatre chemins pour exposer l’urgence de la situation. "La plupart des chiffres et indicateurs sont dans le rouge. La croissance nationale devrait même être négative au deuxième trimestre", s’est-il ému face à un public d’officiels accaparés ces derniers mois par la politique sanitaire de Xi Jinping.
La mine grave, Li Keqiang a souligné que la santé économique du pays était désormais pire qu’au printemps 2020, lorsque l’irruption du Covid-19 à Wuhan avait brutalement mis fin à 30 ans de croissance ininterrompue.
Trouver des solutions
Le numéro trois dans la hiérarchie du Parti communiste a enjoint les troupes à œuvrer pour trouver des solutions permettant de stabiliser la chute et stimuler au plus vite l’économie. Subventions, forfaits fiscaux, investissements dans les infrastructures: les propositions et les promesses fusent pour rassurer les investisseurs. Personne cependant n’ose proposer de desserrer l’étau de la politique zéro-Covid. Cette politique signature du puissant Xi Jinping est pourtant à l’origine de la débâcle économique actuelle.
Si les dirigeants chinois ont jusqu’ici toujours publiquement défendu la stratégie sanitaire draconienne du pays, pas une fois Li Keqiang n’y a fait allusion au cours de son allocution. Par ses remarques, le Premier ministre n’a pas ouvertement remis en question l’approche du président face à la pandémie, mais la tonalité de son discours a laissé entrevoir ce que beaucoup de responsables et conseillers politiques en Chine décrivent comme des tensions parmi les hauts responsables du Parti communiste.
Des divergences, mais pas de bras-de-fer
Sur le devant de la scène depuis des semaines pour tenter de voler au secours de l’économie, Li Keqiang incarne les divergences apparentes. Ses récentes interventions ont débouché sur un message inhabituellement confus. D’une part, le président exige un contrôle strict de la pandémie, qu’importe le prix, d’autre part le Premier ministre appelle à ménager la croissance. De là à y voir un ardent bras-de-fer au cœur du pouvoir, il y a un pas que les observateurs ne franchissent pas.
"Xi Jinping tient le fusil et la plume. Il a centralisé son pouvoir de manière telle qu’il contrôle aujourd’hui totalement l’armée, les services de sécurité et l’entier de l’appareil de propagande. Si des tensions internes existent, les rumeurs au sujet d’une perte d’influence de Xi Jinping au profit de son ministre Li Keqiang paraissent infondées", estime Bill Bishop, sinologue et expert du système politique chinois.
Qui pour remplacer Li Keqiang?
En fin de carrière, le Premier ministre sortant est en outre peu influent. Li Keqiang n’est pas un proche de Xi Jinping. Choisi pour contenter la frange libérale réformiste du parti – dont il est issu – Li Keqiang a systématiquement été marginalisé par le président chinois ces dernières années. Parvenu à l’âge de la retraite, il ne sera pas reconduit dans ses fonctions lors du congrès du PC l’automne prochain. Toute la question réside désormais de savoir quel sera le profil de son successeur. Xi Jinping ambitionne vraisemblablement d’imposer un de ses proches alliés à ce poste, mais pourrait devoir y renoncer en raison de la crise actuelle et du mécontentement des factions les plus libérales du parti vis-à-vis de son dogmatisme sanitaire.
Si, dans les faits, Li Keqiang ne dispose pas de levier assez puissant pour influencer la politique de Xi Jinping, il peut toutefois tenter de faire pression quant au choix de son successeur. Outre une profonde inquiétude pour l’avenir économique de la Chine, certains voient dans les alertes répétées de Li Keqiang et ses critiques voilées du zéro-Covid une stratégie destinée à alimenter les frustrations internes dans le but de maintenir une certaine pression sur Xi Jinping.
L’objectif serait ainsi de sécuriser la désignation d’une personnalité libérale au poste de Premier ministre pour éviter de le voir tomber, lui aussi, dans l’escarcelle du dirigeant chinois le plus puissant depuis Mao Zedong.
Michael Peuker/boi