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Ngozi Okonjo-Iweala: "Un monde divisé en deux blocs commerciaux serait très coûteux"

Ngozi Okonjo-Iweala. [AFP - FABRICE COFFRINI]
Les États en recherche de plus d'autonomie: interview de Ngozi Okonjo-Iweala / Forum / 5 min. / le 26 mai 2022
Pandémie de Covid-19 et guerre en Ukraine: la dépendance aux marchés étrangers montre ses limites. Ces remises en question ont des conséquences sur les institutions internationales comme l'OMC, qui fait face à de nombreux défis. Sa nouvelle directrice, Ngozi Okonjo-Iweala, était invitée dans Forum.

RTSinfo: Il y a deux ans, on disait que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) était en état de mort cérébrale. Est-ce toujours le cas?

Ngozi Okonjo-Iweala: Non, l'OMC est loin d'être en état de mort cérébrale. Elle a une excellente équipe au sein de son secrétariat. Il y a des membres qui essaient activement d'obtenir des accords commerciaux. Mais la réalité, c'est qu'il y a des difficultés considérables pour que les membres s'unissent sur ces accords. Certains d'entre eux sont depuis longtemps dans les négociations. J'ai toujours dit que nous devons travailler plus dur pour avoir des résultats. Ce n'est pas juste que l'accord sur l'agriculture ait plus de 25 ans. L'accord sur la pêche est en négociations depuis plus de 21 ans. Il y a donc des problèmes.

La deuxième chose est que certaines de nos règles doivent être mises à jour pour faire face aux problèmes du XXIe siècle. Donc oui, il y a beaucoup à faire pour mettre à jour l'OMC. Mais nous sommes très actifs. Et c'est une organisation très importante pour le monde.

Le Covid-19 et la guerre en Ukraine ont mis en évidence les limites de la dépendance à un pays étranger pour des biens essentiels. N'est-ce pas plus prudent pour les Etats d'avoir une production plus locale et moins dépendante des autres?

C'est certainement vrai que la pandémie et la guerre en Ukraine ont montré les grandes vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement dans le monde. Ça nous a montré qu'elles sont très concentrées, y compris pour les biens essentiels. Mais quelle est la réponse à ça? Certaines personnes parlent de relocaliser, donc de ramener la production et la fabrication à la maison. D'autres parlent de nearshoring, donc de produire dans un pays proche. Les gens parlent même de friendshoring, qui est donc de décentraliser la fabrication chez des pays amis. Mais il y a beaucoup de choses à évaluer avant de ramener la production à la maison.

Il est préférable de diversifier les chaînes d'approvisionnement avec les pays dont l'environnement est amical

Ngozi Okonjo-Iweala, directrice de l'Organisation mondiale du commerce

Je pense qu'il est préférable de diversifier les chaînes d'approvisionnement avec les pays dont l'environnement est amical. Je ne dis pas que pour quelques produits critiques il ne faut pas ramener un peu de production. Mais nous devons faire attention. Il ne faut pas aller trop loin. C'est la même chose pour la nourriture et le blé ukrainien.

Mais il faut se rappeler d'une chose vis-à-vis de la nourriture. Il y a des pays importateurs de denrées alimentaires qui ne peuvent pas produire à la maison. Si on dit que chaque pays doit compter sur lui-même, que va-t-il arriver à ces gens? Ils n'ont pas les conditions pour produire. Même le Japon, un pays développé, aurait des problèmes. Donc je vais résumer en disant que le meilleur moyen est de diversifier les risques. Et en diversifiant, on peut utiliser cela comme un moyen de ramener les pays et les gens exclus des chaînes d'approvisionnement dans le système. En produisant dans ces pays pauvres, où l'environnement se prête à la production.

Est-ce qu'on assiste à l'émergence d'un nouveau monde coupé en deux: ceux qui soutiennent la Russie et ceux qui s'y opposent? Et est-ce qu'il n'y a pas un risque que les relations commerciales du futur soient séparées en deux?

Il est clair que les tensions géopolitiques sont très hautes et que l'on peut voir l'émergence de blocs. On ne peut pas nier que c'est ce qui arrive au monde en ce moment. Mais je pense que nous devons être très prudent. Evidemment, le plus important, c'est que la guerre se termine et le retour de la paix. Mais nous devons être prudents, la division en blocs n'est pas quelque chose de vraiment favorable. Les économiste de l'OMC ont fait des simulations. Ils ont regardé ce qui pourrait se passer si le monde devait se diviser en deux blocs commerciaux. Ils ont découvert que c'est très coûteux. Sur le long terme, cela signifierait une chute du PIB mondial d'environ 5%. C'est grave. Cela signifie que le monde perd beaucoup. Donc oui, j'espère que les leaders mondiaux vont trouver un moyen de se rassembler pour trouver une solution et non pas s'en éloigner.

>> Voir aussi son interview dans le 19h30 :

Les perspectives économiques sont sombres, selon la directrice de l'OMC, Ngozi Okonjo-Iweala.
Les perspectives économiques sont sombres, selon la directrice de l'OMC, Ngozi Okonjo-Iweala. / 19h30 / 1 min. / le 26 mai 2022

Propos recueillis par Cynthia Racine/jfe

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