Les quelques gouttes de pluie tombées ces deux derniers jours n'ont pas suffi à rassurer les céréaliers suisses. La terre est trop sèche et les épis de blé restent trop petits pour la saison. A quelques semaines de la récolte, le céréalier genevois Frédéric Bieri ne cache pas son inquiétude: "Ils ont vraiment eu soif. Ils sont beaucoup trop petits, ceux-là ne donneront que du petit grain pour les poules", affirme-t-il en montrant des épis cueillis dans son champs de blé.
D'autres épis sont heureusement plutôt bien formés, mais les grains du bas ont été avortés par la sécheresse. A la récolte, leur rendement sera diminué d'environ 10-12%. Au total, le céréalier craint une perte de 20% de sa récolte. De quoi renoncer aux futurs investissements qu'il avait envisagés.
Depuis le début de l'année, seuls 160 millimètres de pluie sont tombés sur sa parcelle, soit deux fois moins que l'an dernier. "Il faudrait de l'eau pour que le blé continue à prendre ses éléments nutritifs, qu'il gonfle, se forme et qu'il ait un bon taux de gluten", explique-t-il à la RTS.
Faible stock 2021
Frédéric Bieri produit un blé labellisé Genève Région Terre d'Avenir (GRTA), qui assure au consommateur un grain de qualité et une proximité avec les céréaliers. Il exige aussi un poids minimum de 76 kg à l'hectolitre. Un poids que le cultivateur n'est pas sûr d'atteindre si la sécheresse venait à perdurer.
La sécheresse peut également avoir des conséquences pour les meuniers. Lorsque la récolte est insuffisante, ces derniers peuvent utiliser les stocks qu'ils ont accumulés l'an précédent. Mais les violents orages du printemps 2021 avaient déjà réduit les volumes et la qualité du blé.
"Pour l'instant, je n'imagine pas qu'on n'aura pas assez de blé, car nous sommes le seul meunier du canton. Donc je pense que nous serons prioritaires sur les volumes de blé qui seront récoltés", indique le responsable du Moulin de la Pallanterie, Julien Perraudin.
Sa solution face à une mauvaise récolte est généralement de travailler sur les mélanges de blés. "Le GRTA m'oblige à travailler uniquement sur le canton de Genève, avec du blé produit sur le canton de Genève. Si le blé manque, nous serions obligés d'importer du blé, et nous perdrions notre label", note Julien Perraudin.
L'inévitable et coûteuse importation
Les meuniers qui ne disposent pas du fameux label pourront acheter du blé à l'étranger. Mais à quel prix? Depuis le début de la guerre en Ukraine, la tonne de blé s'échange à plus de 500 dollars sur les marchés mondiaux, soit deux fois plus qu'il y a douze mois.
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Selon François Erard, le président d'Agri-Genève, l'optimisme du début du mois de mai laisse place au doute, en voyant perdurer la sécheresse. "Si l'on devait assister à une diminution du rendement, on n'aura pas d'autres choix que d'importer du blé. Mais en raison de la crise ukrainienne, les marchés sont très tendus. Le prix du blé sur les grands marchés a explosé pour atteindre bientôt un niveau équivalent au marché suisse".
90% de blé local
La Suisse romande produit sur ses terres 90% des céréales qu'elle consomme. Une production locale qui protège en partie les consommateurs d'une envolée des prix, mais l'impact indirect de la crise mondiale du blé existe bel et bien. Car les céréaliers suisses se fournissent en engrais ukrainien, dont le marché est aussi en crise. Le coût de production de la céréale va donc augmenter et se répercuter chez le meunier, qui le reflétera sur le boulanger, et finalement le consommateur.
Mais la situation pourrait empirer et frôler la pénurie si le canton ne connaît pas d'importantes précipitations dans les prochaines semaines.
Charlotte Onfroy-Barrier/fme