C'est "un ensemble de résultats sans précédent. Il y a longtemps que l'OMC n'avait pas obtenu un nombre aussi important de résultats multilatéraux. Les résultats démontrent que l'OMC est capable de répondre aux urgences de notre époque", a déclaré la directrice de l'OMC Ngozi Okonjo-Iweala, devant les chefs de délégation.
La conférence avait pour ambition non seulement de s'attaquer à l'insécurité alimentaire créée par la Russie, mais aussi supprimer des subventions qui facilitent la pêche illégale et vident les océans, lever temporairement les brevets qui protègent les vaccins anti-Covid ou encore réformer l'OMC elle-même.
Mais lorsque la réunion a débuté dimanche, l'espoir de conclure sur tous ces sujets était mince, tant les divergences entre délégations restaient importantes. Ngozi Okonjo-Iweala elle-même a rappelé qu'elle plaçait la barre du succès à l'adoption d'un ou deux textes.
La ministérielle a duré pratiquement 36 heures de plus que prévu. C'est finalement aux alentours de 5h vendredi matin que le marteau qui marque l'adoption formelle des textes a été abattu.
Cinq thèmes qui ont focalisé l'attention et les tensions à Genève:
- Brevets des vaccins anti-Covid -
Après deux ans et demi de lutte contre la pandémie de Covid-19, les 164 États membres de l'Organisation mondiale du commerce ont réussi à s'accorder sur une levée temporaire des brevets protégeant les vaccins anti-Covid, pendant cinq ans, pour les pays en développement.
Ce sujet a fait l'objet de longs échanges entre Pékin et Washington pour se mettre d'accord sur la définition des bénéficiaires.
Pékin avait indiqué en mai ne pas vouloir bénéficier de ce traitement spécial et différencié mais les États-Unis réclamaient un engagement écrit. Les deux pays ont fini par se mettre d'accord sur le fait que la promesse faite par la Chine était contraignante.
Au plus tard six mois à compter de la date de l'accord, les pays membres de l'OMC devront décider si l'accord est étendu "à la production et à la fourniture d'outils de diagnostic et de traitements" contre le Covid.
Dans un autre texte, les pays s'engagent à "faire preuve de modération dans l'imposition de restrictions à l'exportation" de vaccins, traitements, outils de diagnostic et autres produits médicaux essentiels liés au Covid-19, y compris leurs intrants.
Médecin sans frontières estime que "ce texte échoue à garantir aux gens un véritable accès aux matériels médicaux dont ils ont besoin, il ne lève pas les brevets de façon adéquate et il ne concerne pas tous les pays".
"Il aura fallu 10 mois pour accoucher d'une souris, finalement c'est un accord de façade", estime toutefois Patrick Dürisch dans La Matinale de la RTS. Le spécialiste en politique de la santé pour l'ONG Public Eye rappelle que l'Inde et l'Afrique du Sud demandaient "une levée automatique et généralisée des droits de propriété intellectuelle dans les brevets. Mais l'accord précise que chaque pays devra en faire la demande au terme d'une procédure longue et compliquée. Au final, "on n'est pas sûr que les pays pourront vraiment obtenir cette levée des brevets".
- Subventions à la pêche -
L'OMC n'a pas immédiatement publié l'accord visant à supprimer et interdire les subventions qui menacent la durabilité de la pêche, mais le texte a largement été édulcoré en raison de l'Inde, selon plusieurs sources proches des discussions.
C'est la première fois que l'OMC conclut "un accord qui a la durabilité environnementale en son coeur", a souligné la directrice générale de l'organisation Ngozi Okonjo-Iweala.
Cet accord, a-t-elle expliqué, interdit les subventions contribuant à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et les aides à la pêche concernant les stocks surexploités.
Il fait par ailleurs "un premier mais important pas en avant" en vue de réduire les subventions contribuant à la surpêche et à la surcapacité "en mettant fin aux subventions à la pêche en haute mer", a-t-elle dit.
Pour aider les pays en développement, l'OMC veut mettre en place un fonds permettant d'apporter une assistance technique et aider leurs pêcheurs à se tourner vers une pêche plus durable.
- Insécurité alimentaire -
La guerre en Ukraine menée par les Russes prive le monde de céréales et d'engrais, fait flamber les prix et menace de faim des millions de gens dans le monde.
La déclaration ministérielle sur "l'insécurité alimentaire" ne mentionne pas nommément l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la crise alimentaire qu'elle provoque.
Mais le document adopté souligne l'importance "de ne pas imposer de prohibitions ou de restrictions à l'exportation" qui soient contraires aux règles de l'OMC. Ce texte était très attendu, bien qu'il ne s'agisse que d'une déclaration ministérielle.
Les membres n'imposeront pas de prohibitions ou restrictions à l'exportation de produits alimentaires achetées à des fins humanitaires non commerciales par le Programme alimentaire mondial.
Les pays ont par ailleurs décidé de ne pas imposer de "prohibitions ou restrictions de produits alimentaires achetés à des fins humanitaires" par le Programme alimentaire mondial, une des principales agences de l'ONU. L'Inde avait fait part de ses réticences à ce sujet, avant de rejoindre le consensus.
- Réforme de l'OMC -
De nombreux pays, dont les États-Unis et l'Union européenne, mais également les pays africains, réclament une réforme de l'OMC.
Comme attendu, les ministres n'ont pas élaboré de programme détaillé mais une ébauche de réforme. Le texte appelle à "améliorer toutes les fonctions" de l'organisation, dont les règles n'ont guère changé depuis sa création en 1995, et demande que le système de règlement des différends - le tribunal de l'OMC - soit à nouveau pleinement opérationnel "pour 2024".
L'organe d'appel du gendarme du commerce mondial, dont la nomination des juges est bloquée par Washington, n'est plus opérationnel depuis décembre 2019 faute de magistrats en nombre suffisant.
- Droits de douane sur les transmissions électroniques -
Depuis 1998, les membres de l'OMC sont convenus de ne pas imposer de droits de douane sur les transmissions électroniques. Cette décision est prorogée à chaque ministérielle, mais cette fois un groupe de pays, l'Inde et l'Afrique du Sud en tête, contestaient ce moratoire, dénonçant son impact négatif sur leurs droits de douane.
Ces pays ont fini par décider de maintenir le moratoire jusqu'à la prochaine ministérielle qui devrait normalement avoir lieu d'ici au 31 décembre 2023. Si elle était reportée au-delà du 31 mars 2024, le moratoire expirerait à cette date à moins que les pays ne décident de le proroger.
afp/cab
La délégation suisse satisfaite
La question des exceptions à la propriété intellectuelle sur les technologies contre le coronavirus était la plus problématique pour la Suisse et l'a mise sous pression d'Etats et d'ONG depuis plus d'un an.
La délégation suisse, conduite par Guy Parmelin et la secrétaire d'Etat à l’économie Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, s'est montrée satisfaite des résultats obtenus. Dans un communiqué publié vendredi par le Département fédéral de l'économie, elle salue "de réelles avancées, compte tenu des défis auxquels le système commercial multilatéral fait face actuellement".
Mercredi, Guy Parmelin avait encore répété qu'une "dérogation de large portée" n'aurait pu être approuvée. La décision ne s'applique qu'à une facilitation pendant cinq ans au moins de licences obligatoires sur les vaccins contre le Covid-19, et également leurs ingrédients.