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Les sanctions contre la Russie poussent les traders genevois vers Dubaï

Les traders établis à Genève commencent à  s’expatrier en raison des entraves engendrées par les sanctions contre la Russie. Enquête
Les traders établis à Genève commencent à s’expatrier en raison des entraves engendrées par les sanctions contre la Russie. Enquête / 19h30 / 2 min. / le 25 juin 2022
Les sanctions occidentales contre Moscou bouleversent le commerce des matières premières en Suisse. La branche commerciale du géant pétrolier Lukoil réduit ses activités en Europe et de nombreux traders s'envolent notamment à Dubaï afin de poursuivre leurs activités.

La menace planait depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Elle se concrétise aujourd'hui: de nombreux traders genevois, entravés par les sanctions européennes contre Moscou, ont commencé à faire leurs cartons et à délocaliser vers des juridictions plus clémentes envers les Russes.

Basé à Genève, Litasco, la branche commerciale de la deuxième plus grande compagnie pétrolière russe Lukoil, est en train de délocaliser une partie de ses activités à Dubaï. Selon le média S&P Global Commodity Insights, l'entreprise aurait proposé à une partie de ses 300 employés de déménager dans la capitale économique émiratie.

Sollicité, Litasco n'a pas souhaité nous rencontrer. Par écrit, elle indique: "En tant que filiale de PJSC LUKOIL, Litasco SA ne commente pas les questions commerciales, politiques ou autres rumeurs. [...] Le groupe Litasco met tout en oeuvre pour poursuivre ses opérations."

"Le siège reste genevois"

Pour la place du négoce genevois, la fuite vers l'est de ce poids lourd peut faire mal. Avant la guerre en Ukraine, Litasco négociait environ 3 millions de barils par jour de brut et de produits raffinés et réalisait chaque année un bénéfice annuel de plus de 200 millions de francs.

A la tête du Département genevois de l'économie, Fabienne Fischer ne s'inquiète toutefois pas trop: "J'ai rencontré le directeur général de Litasco, il m'a clairement dit que Litasco gardera son siège à Genève."

A ma connaissance, les sociétés restent à Genève

Fabienne Fischer, cheffe du Département genevois de l'économie et de l'emploi

Au vu de l'importance du négoce des matières premières russes à Genève, faut-il craindre un exode massif des traders? "A ma connaissance, les sociétés restent à Genève. C'est sans doute des éléments spécifiques qui peuvent devoir être exercés dans un autre lieu", dit la conseillère d'Etat.

Risque d'effet sur les recettes fiscales

Selon l'agence de presse Bloomberg, plusieurs entreprises de négoce en Suisse seraient en train de suivre le même chemin. Parmi elles, Rosneft, Gazprom Neft PJSC, ou encore Solaris, un négociant en céréales, qui aurait ouvert un bureau à Dubaï la semaine dernière. A Zoug, Suek pour le charbon et EuroChem pour les engrais, seraient aussi en train de lorgner la capitale commerciale des Emirats arabes unis.

Pour le département genevois des Finances, ce serait le scénario du pire. Près de la moitié des recettes fiscales du canton proviennent du commerce international. "Si les entreprises de négoces venaient à partir, les effets sur les finances du canton seraient significatifs", affirme son porte-parole.

Les obstacles au négoce

Mais les entreprises qui travaillent avec des matières premières russes n'ont plus beaucoup de choix, estime Florence Schurch, secrétaire générale de l'Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (STSA): "Trouver le financement est devenu très difficile. Les banques sont très frileuses, même lorsqu'on négocie des céréales, qui ne sont pas concernées par les sanctions."

Les négociants doivent se tourner vers d'autres marchés ou quitter la Suisse pour aller dans l'un des 150 pays qui n'ont pas instauré ces sanctions

Florence Schurch, secrétaire générale de l'Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (STSA)

Le financement n'est pas le seul obstacle. Les assurances ont pris l'ascenseur et plus aucun bateau ne veut s'approcher des côtes russes pour y chercher de la marchandise. "Toute la chaîne logistique est devenue compliquée. Les PME qui travaillent exclusivement avec la Russie sont évidemment les plus affectées. Pour pouvoir continuer à travailler, les négociants doivent se tourner vers d'autres marchés et réinventer leur business d'affaires, ou alors quitter la Suisse pour aller dans l'un des 150 pays qui n'ont pas instauré ces sanctions".

La plupart des entreprises de négoce ayant déjà des bureaux à travers le monde, il serait facile de renforcer les équipes là où le négoce avec la Russie peut se poursuivre.

Dubaï, sa zone franche et ses millionnaires russes

Parmis ces pays proches de Moscou, les Emirats arabes unis. Surtout Dubaï, sa capitale commerciale. Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la ville a été une véritable terre d'accueil pour les Russes, spécialement les millionnaires.

Cette année, environ 15'000 millionnaires ont quitté la Russie. Dans le même temps, les Emirats ont recueilli 4000 millionnaires, dont les trois quarts sont de nationalité russe.

A Dubaï, une zone franche est dédiée au négoce des matières premières. Quelque 21'000 entreprises y sont enregistrées, originaires de 170 pays. Là-bas, des nouveaux venus de Russie, actifs dans le trading de carburants, de céréales et d'engrais, mais aussi des Suisses, toujours plus nombreux à s'installer sur place.

Des entreprises séparent "l'activité russe"

Yann Mrazek, un avocat fribourgeois installé à Dubaï depuis près de 20 ans, a déjà aidé plusieurs entreprises à s'implanter sur place. Il observe une augmentation du nombre de sollicitations qui viennent de sociétés immatriculées en Suisse. "La plus grande majorité des sollicitations vient de Russie, mais la Suisse étant un point source pour la Russie pour le négoce des matières premières et les provisions de services financiers régulés, nous sommes également sollicités par un grand nombre de personnes qui opèrent depuis Zurich ou Genève", assure l'associé Fondateur de M-HQ à Dubaï.

Selon lui, un certain nombre d'entreprises basées à Genève, que l'avocat ne peut évidemment pas nommer, ont décidé, non pas de migrer vers les Emirats, mais de séparer la partie de leur business qui est connectée à la Russie, afin d'isoler les risques liés à la Russie.

Certains groupes sont en train de séparer la partie de leur business qui est connectée à la Russie du reste de leurs activités

Yann Mrazek, associé Fondateur de M-HQ à Dubaï

"Ces gens qui opèrent depuis Zurich ou depuis Genève, se sont trouvés concernés par les sanctions, donc ils cherchent à se développer dans d'autres juridictions où ce serait plus facile de servir une certaine partie de leur clientèle. Et les Emirats font partie des juridictions qu'ils regardent. Car les Emirats sont un centre financier, un centre de structuration et un centre de juridiction dans le top 10 mondial des investissements étrangers", précise l'avocat.

Lettre ouverte pour "blacklister" Dubaï

Mais le rapprochement des Emirats avec la Russie commence à agacer l'Union Européenne. Le mois dernier, huit députés européens ont demandé à la Commission européenne de mettre ce pays refuge des oligarques sur la liste noire de l'UE. Pas sûr, toutefois, que l'Europe puisse se passer du pétrole russe et du pétrole arabe en même temps.

En attendant, le négoce des matières premières russes et du pétrole en particulier se poursuit donc presque comme s'il n'y avait aucune sanction contre Moscou, grâce aux juridictions qui le permettent.

A Genève, on estime tout de même que la place de leader mondiale du négoce n'est pas écornée: "Le négoce des matières premières russes pour Genève n'est pas négligeable, mais je pense que les atouts de Genève et la diversité du négoce international qui se fait ici permettent de rester confiant. Pour pratiquer cette activité, il faut aussi bien des financeurs que des assureurs, ou des transporteurs. Et on les trouve tous à Genève", conclut Fabienne Fischer.

Feriel Mestiri

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