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Une guerre qui accélère le déclin inexorable du bassin industriel du Donbass

Un temps "coeur industriel" de l'URSS, puis de l'Ukraine, le Donbass fait face à un déclin inexorable accéléré par la guerre. [Keystone - Sergei Ilnitsky]
Un temps "coeur industriel" de l'URSS, puis de l'Ukraine, le Donbass fait face à un déclin inexorable accéléré par la guerre. - [Keystone - Sergei Ilnitsky]
Aux portes de la ville de Sloviansk, dans la province de Donetsk, les Russes et leurs alliés séparatistes pourraient dans les jours et les semaines à venir, prendre le contrôle de l'ensemble du Donbass. La région, qui représente un peu moins de 10% du territoire ukrainien, a vu sa régression économique s'accélérer avec la guerre.

Symboliquement, la prise du Donbass serait significative pour Moscou. Depuis la chute de l'URSS, et plus encore depuis le début du conflit dans la région en 2014 et le déclenchement de l'invasion à la fin du mois de février, le Kremlin n'a eu de cesse de mettre en avant la proximité culturelle qu'il existait entre cette région et la Russie.

Historiquement, le Donbass a en effet pendant longtemps eu des liens forts avec Moscou. Composé pour la très grande majorité de russophones et frontalier de la Russie, il a été durant de nombreuses années cet espace où des familles, parents, amis, traversaient la frontière côté russe, sans doute sans vraiment s'en apercevoir.

Les liens remontent à l'essor de la région, quand commence au début du 19e siècle l'exploitation des sous-sols, riches en minerais. Annexés par la suite à l'URSS, comme le reste de l'Ukraine, les sites industriels et autres mines éveillent l'intérêt de Moscou, qui entend profiter de ce terrain favorable pour mettre en place une petite révolution industrielle, censée aider l'URSS à refaire son retard sur l'Europe de l'Ouest et les Etats-Unis.

Des mineurs ukrainiens photographiés en novembre 2009 dans la ville de Makiïvka, dans l'oblast de Donetsk (Donbass). [reuters - Gleb Garanich]
Des mineurs ukrainiens photographiés en novembre 2009 dans la ville de Makiïvka, dans l'oblast de Donetsk (Donbass). [reuters - Gleb Garanich]

C'est l'époque stakhanoviste, où la propagande d'Etat met en lumière la "productivité extraordinaire" du mineur Stakhanov, habitant du Donbass. Les rythmes de travail dans les mines, les usines et les sidérurgies sont vantés comme les meilleurs. Et bientôt la région obtient le surnom de "coeur industriel" de toute l'URSS.

Les travailleurs des autres républiques et de Russie abondent pour s'engager dans ce grand rattrapage économique. De génération en génération, les Russes deviennent des habitants à part entière du Donbass. Une colonisation par le travail qui continuera jusqu'à nos jours à servir la propagande de Vladimir Poutine, qui ne cesse de mettre en évidence "les droits historiques" qu'aurait la Russie sur cette région.

>> Lire également : Après avoir fait tomber la province de Lougansk, l'artillerie russe se tourne sur celle de Donetsk

Renaissance et déclin

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les industries du Donbass se modernisent. La sidérurgie et le secteur des mines renaissent et d'autres industries gagnent en importance, notamment le secteur de l'armement ou encore celui des machines-outils.

Mais en 1991, à la chute de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, le coup d'arrêt est brutal. En s'ouvrant au marché et en ne pouvant plus compter sur l'appui de Moscou, les industries du Donbass ne sont tout simplement plus en mesure de lutter. Nombre d'entre d'elles doivent fermer leurs portes, les grèves se multiplient et la crise économique frappe de plein fouet la région.

Comme de l'autre côté de la frontière, les oligarques dépecent ce qu'il reste des fabriques et entreprises qui faisaient la fierté des Ukrainiens et de toute l'URSS.

De l'économie subventionnée à la guerre

Pour tenter de calmer les troubles et préserver l'unité du nouvel Etat indépendant, Kiev commence alors à subventionner massivement le Donbass. Coup de pouce du destin, l'envolée des matières premières permet au tournant du siècle de rendre à nouveau attractives les mines et sidérurgies de la région.

L'importance économique du Donbass redevient donc significative pour l'Ukraine et atteindra même les 17% du PIB national en 2006. En raison de prix du marché moins favorables, la croissance ralentit à nouveau dès les années 2010, quatre ans avant que le début du conflit entre séparatistes prorusses et l'Etat central ne fasse qu'accélérer la chute (6,6% du PIB ukrainien en 2017).

Le Donbass comptait pour 17,7% du PIB ukrainien en 2006 et 6,6% en 2017. [RTS - Vlad Mykhnenko, Université d'Oxford]
Le Donbass comptait pour 17,7% du PIB ukrainien en 2006 et 6,6% en 2017. [RTS - Vlad Mykhnenko, Université d'Oxford]

Les combats provoquent la fuite de plus d'un million de personnes de la région. Des entreprises sont occupées par les séparatistes et certaines bombardées. En 2022, l'invasion de la Russie achève de mettre à terre une économie déjà au bord du gouffre. Les déplacements de population se poursuivent à un rythme encore plus soutenu et l'artillerie russe bombarde sans hésitation les derniers vestiges d'un passé glorieux.

Quel héritage pour Moscou?

Si la prise de l'entier du Donbass par la Russie venait à être confirmée, que resterait-il donc à Moscou? En pleine décroissance avant l'entrée en guerre, la région de l'est de l'Ukraine a aussi connu un exode très important de ses habitants, notamment les plus qualifiés, à la recherche de meilleures conditions de vie plus à l'ouest dans le pays.

Par ailleurs, un taux de fécondité particulièrement bas a accéléré un vieillissement constant de la population du Donbass, avec énormément de retraités ou de retraités pour maladie, qui ne sont plus en capacité de travailler.

Depuis 2014 et plus encore depuis 2022, l'impact de la guerre a été vertigineux. Le chômage a explosé, des milliers d'usines ont été fermées et démantelées et d'autres tout simplement pillées. D'innombrables maisons, infrastructures urbaines, routes et voies ferrées ont été détruites. La région du Donbass est aussi devenue un véritable champ de mines qui rend la sécurité des habitants extrêmement délicate.

>> Revoir le reportage de Frédéric Guerne sur le déminage qu'il faudra opérer en Ukraine :

L’Ukraine aura besoin d’être déminée: interview de Frédéric Guerne
L’Ukraine aura besoin d’être déminée: interview de Frédéric Guerne / La Matinale / 5 min. / le 6 juillet 2022

En s'emparant du Donbass, Vladimir Poutine aura peut-être atteint des objectifs géostratégiques qu'il jugeait capitaux, comme le fait de pouvoir relier par voie terrestre la Russie à la Crimée. Mais le locataire du Kremlin sera surtout en charge d'un tas de ruines. Il faudra alors tout reconstruire, payer des pensions, déminer. Des coûts qui s'annoncent déjà colossaux pour le budget du Kremlin.

Enfin, dans son malheur, un Donbass sous domination russe ne sera sans doute pas en mesure de profiter de l'aide occidentale, promise notamment lors de la Conférence de Lugano sur la reconstruction de l'Ukraine.

Tristan Hertig

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