Un médicament utilisé pour dissoudre les caillots qui pourraient se former durant une dialyse ou un désinfectant standard pour la peau, le pharmacien chef adjoint au CHUV Pierre Voirol a dressé dimanche dans le 19h30 un inventaire de certains des médicaments essentiels, mais devenus indisponibles.
"Le fournisseur nous a annoncé qu'il allait manquer pendant une année et demie", indique le pharmacien en évoquant le médicament utile durant les dialyse. Quant au désinfectant, il a dû être produit par l'unité de fabrication du CHUV.
Trouver des plans B est devenu le quotidien des pharmaciens pour faire face à la pénurie de médicaments. Ces manques existent depuis des années et touchent toutes les catégories de traitement, mais le phénomène ne cesse de s'accentuer.
Des produits qui ne sont plus brevetés
"On n'a pas toujours la réponse des fournisseurs pour connaître la raison de cette rupture d'approvisionnement. Parfois, ce sont des problèmes logistiques, ou des problèmes de chaîne de production", énumère Pierre Voirol.
Selon lui, le Covid a certainement aggravé la situation, avec l'importation de principes actifs qui viennent de l'étranger, avec des problèmes de transport et des coûts qui ont explosé pour certains types de transports de marchandises.
Les pénuries concernent aujourd'hui surtout les produits pour des traitements de base, les médicaments anciens et bon marché, qui ne sont plus protégés par un brevet. Paradoxalement, au pays des pharmas, on estime que 80 à 90% des médicaments de base utilisés ici sont produits à l'étranger.
Trop forte concurrence sur les marges
Michèle Sierro, responsable pour la Suisse romande d'Interpharma, explique que "ces produits font l'objet de tellement de concurrence sur les marges et sur les prix que leur production se limite désormais à quelques sites internationaux. En cas de forte augmentation de la demande, il est possible qu'il y ait des ruptures d'approvisionnement."
Selon elle, il serait illusoire de revenir à une situation où chacun produit ses propres médicaments: "Cela augmenterait les coûts de manière faramineuse".
Même la Suisse, siège mondiale des plus grands groupes pharmaceutiques, n'est pas un argument suffisant pour régler le problème. Car ici, on ne développe que des médicaments innovants et à forte marge. La production du principe actif se fait essentiellement en Chine et en Inde.
Des produits qui n'existent plus en Suisse
Du côté de la Confédération, c'est l'Office fédéral pour l'approvisionnement du pays (OFAE) qui gère ces pénuries. Il surveille le marché et publie des listes de plus en plus importantes de médicaments manquants. Parfois, il peut exiger que les fournisseurs fassent des stocks de réserve.
Monika Schäublin, cheffe du département Produits thérapeutiques à l'OFAE, se dit inquiète pour la suite: "On est maintenant dans la phase où les produits disparaissent du marché. C'est-à-dire que le problème n'est plus que les produits ne sont pas livrables, c'est qu'ils n'existent plus."
Le processus a commencé il y a quelques années et se fait petit à petit. "Avant, il existait plusieurs fournisseurs pour un produit ou un principe actif. Maintenant, si on a de la chance, il y en a encore deux. Sinon, il n'en reste qu'un. Et si pour celui-ci, qui est souvent une grande firme internationale, le marché suisse est trop petit, nous n'aurons simplement plus accès à ce produit."
Chercher une alternative thérapeutique
Plusieurs solutions s'offrent au pharmacien du CHUV lorsqu'il est confronté à une pénurie: "Dans le meilleur des cas, il existe un concurrent sur le marché suisse avec le même dosage et la même forme. Sinon, on doit aller le chercher à l'étranger. Mais parfois, cela peut arriver que l'on doive chercher une alternative thérapeutique. On ne trouve plus le même médicament, mais on en a un autre qui compensera plus ou moins l'effet de celui qu'on voulait avoir."
De plus en plus, la pharmacie hospitalière peut aussi les fabriquer, qu'il s'agisse de pommades ou de capsules: "On est équipés pour répondre à des petites quantités. On ne pourra pas faire des milliers et des milliers d'ampoules de quelque chose. On en fait dans certains cas, mais cela reste assez limité", explique Pierre Voirol.
Des intentions de relocaliser des usines de productions en Europe existent, notamment en France, mais ce processus prendra du temps pour que les usines soient construites et que les chaînes de production soient lancées.
En attendant, le constat sur le terrain est sans appel: "dès qu'il y a une rupture, un patient est en danger", déplore Pierre Voirol.
Sujet TV: Delphine Gianora
Adaptation web: Feriel Mestiri