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Jusqu'à 89% de marges sur les médicaments contre le cancer, selon une étude

L'industrie pharmaceutique est accusée de faire des super profits avec certains traitements contre le cancer
L'industrie pharmaceutique est accusée de faire des super profits avec certains traitements contre le cancer / 19h30 / 2 min. / le 12 septembre 2022
L'ONG Public Eye accuse l'industrie pharmaceutique d'engendrer des profits démesurés avec des marges allant jusqu'à 89% pour certains traitements contre le cancer. Trois ans après l'enquête de la RTS qui évoquait déjà ces profits, le nouveau rapport de l'ONG montre que l'appétit des producteurs n'a pas dégonflé.

L'industrie pharmaceutique suisse est à la pointe des traitements contre le cancer et le fait payer plutôt cher. En 2019, une enquête de Mise au Point révélait que trois médicaments anticancéreux dégageaient des marges bénéficiaires supérieures à 80%.

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Trois ans plus tard, les marges sont toujours aussi élevées, à en croire le rapport publié en début de semaine par Public Eye. L'ONG a calculé la profitabilité de cinq anticancéreux onéreux produits par Novartis (Kisqali), Roche (Tecentriq), Johnson & Johnson (Darzalex), Bristol Myers Squibb (Revlimid) et MSD Merck Sharpe & Dohme (Keytruda). Au niveau mondial, leurs médicaments figurent parmi les plus rentables.

Les conclusions de l'enquête réalisée par Public Eye confirment celles de la RTS en 2019: les prix des anticancéreux sont totalement déconnectés des coûts de production, avec des marges allant de 43% à 89%.

"Il faut pouvoir financer les échecs"

Comment l'industrie pharmaceutique justifie-t-elle de tels profits? La porte-parole d'Interpharma pour la Suisse romande Michèle Sierro défend ces marges: "C'est une opération risquée et coûteuse. Le développement d'un médicament coûte en moyenne 2,5 milliards de francs. Quand on sait que sur 10'000 substances qui font l'objet de recherches, seul un médicament arrive sur le marché, il n'y a pas besoin d'être un grand mathématicien pour se rendre compte qu'il faut, de temps en temps, avoir un succès commercial pour pouvoir financer tous ces échecs."

Sauf que Public Eye dit avoir pris en compte dans ses calculs les risques d'échecs dans la phase de recherche et développement (R&D). Interpharma rejette ces chiffres, estimant qu'il manque, par exemple, toute la recherche fondamentale. "Annuellement, les entreprises pharmaceutiques investissent 8 milliards de francs dans la recherche en Suisse", insiste Michèle Sierro.

Une autre lacune de l'étude, selon la porte-parole des entreprises pharmaceutiques suisses, est le manque de plusieurs paramètres dans les coûts, tels que ceux inhérents aux bâtiments, à l'énergie ou aux impôts.

Manque de transparence

Au-delà de la bataille sur les chiffres, l'ONG dénonce surtout le manque de transparence dans la fixation des prix: "Le manque de transparence contribue aux prix exorbitants des médicaments et, en particulier, des médicaments anticancéreux", dénonce Géraldine Viret, porte-parole de Public Eye.

Elle demande au Conseil fédéral d'exiger de la part des industries pharmaceutiques une transparence au niveau des coûts réels de la R&D, ainsi qu'au niveau des prix nets négociés entre les pharmas et l'Office fédéral de la santé publique (OFSP).

"Il faut que les autorités reprennent le contrôle. C'est impératif. Si on ne le fait pas, on peut aboutir en Suisse à une médecine à deux vitesses, avec des rationnements", alerte Géraldine Viret.

Une baisse automatique du prix en fonction des ventes

Du côté des assureurs-maladie, on veut agir sur les prix des médicaments, qui représentent un cinquième des dépenses de l'assurance de base. "Il y a de plus en plus de nouvelles thérapies onéreuses, avec des coûts par patient et par année qui peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines de milliers de francs", affirme Adrien Kay, le porte-parole de Curafutura,

L'association des assureurs CSS, Helsana, Sanitas et KPT regrette que l'OFSP n'aie aucune marge de manoeuvre sur les prix d'un médicament dès lors qu'il atteint un certain volume de vente.

"Nous proposons de prendre en compte le succès commercial d'un médicament et de définir qu'à partir d'un certain seuil de chiffre d'affaires ou de vente il y ait une baisse automatique des prix des médicaments. Cela permettrait de répartir les économies d'échelle que réalisent les producteurs, qui sont aujourd'hui totalement absentes pour l'assuré et pour le payeur de primes", note Adrien Kay.

Une source de stress pour les patients

Reste la question vitale pour les patients. Les prix très élevés de ces médicaments poussent-ils les médecins à y renoncer? "Pour l'instant, non", répond Pierre-Yves Dietrich, chef du service d'oncologie aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Mais les prix élevés compliquent tout de même les prescriptions, selon lui: "Le système administratif de contrôle est extrêmement complexe. C'est une charge de travail importante de notre côté et du côté des assurances. Surtout, c'est une source de stress pour les patients, qui sont souvent dans l'attente d'un accord des assurances. Mais dans la très grande majorité des cas, aujourd'hui, dans un pays riche, on arrive à prescrire ces médicaments lorsque l'indication est bonne."

Pour l'instant, donc. Mais le système actuel ne peut pas tenir sur le long terme, estime l'oncologue. "Le critère de fixation des prix repose sur l'efficacité du médicament par rapport au gain de vie et non pas pas en fonction du coût réel de production ou du coût réel de la recherche et du développement. En tant qu'oncologue, on est souvent un peu prisonnier de ce système. Mais ce n'est pas un critère suisse, c'est un problème d'économie mondial. Les prix pour ces médicaments-là sont les mêmes dans des pays où le revenu est moins élevé."

Jean-Paul Cateau et Feriel Mestiri

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