Le franc suisse a encore battu un record face à l'euro, mais jusqu'où va-t-il aller?
Evoluant encore à 1,03 franc pour un euro en début d'année, la devise suisse a mis un coup d'accélérateur le 16 juin, après le premier relèvement du taux directeur par l'institut d'émission helvétique suite à des années de stabilité. Fin juin, la paire de devises passait sous la parité et lundi matin elle avait atteint un nouveau plus bas historique à 0,9409 franc/euro.
Le président de la direction de la BNS, Thomas Jordan, avait mis le feu aux poudres mi-juin en déclarant qu'"au cas où le franc s'affaiblirait, nous envisagerions à l'inverse de vendre des devises" afin de conserver un franc fort. Ce message a été répété jeudi dernier, avec l'abandon des taux directeurs négatifs qui ont été relevés de 0,75 point de pourcentage à +0,50%.
"Avant, la BNS intervenait pour réduire les pressions à la hausse sur le franc, maintenant elle peut intervenir pour renforcer l'appréciation du franc et réduire les pressions inflationnistes", résume Nikolay Markov. Pour l'économiste senior de Pictet Asset Management, "il n'y a plus cette crainte que le franc s'apprécie. Au contraire, l'appréciation du franc est la bienvenue puisqu'elle permet de limiter les hausses de taux nécessaires pour atteindre la stabilité des prix".
Un rôle d'amortisseur
La Suisse a en effet enregistré un taux d'inflation record en août à 3,5%, nettement au-dessus de l'objectif de stabilité des prix prôné par la BNS et qui se situe entre 0% et 2%. "Si l'on enlève les prix réglementés, l'inflation se monte à 4,1%, soit un taux deux fois supérieur à l'objectif de stabilité des prix de la BNS", calcule Alix Bhend-Lambin, économiste stratégiste financière à la BCV.
C'est cependant nettement moins que les 9,1% enregistrés en août dans la zone euro et les 8,3% aux Etats-Unis. La force du franc protège en effet partiellement contre une accélération trop importante des prix grâce au pouvoir d'achat que confère la devise helvétique pour des achats à l'étranger, notamment pour les produits énergétiques. Un recul de 10% du cours euro-franc réduit ainsi l'inflation en Suisse d'un demi-point de pourcentage, selon les estimations de Credit Suisse.
"Le franc joue (...) son rôle d'amortisseur pour les prix à l'importation, mais il n'a pas empêché les prix à l'exportation (+1,3%) de progresser. La monnaie suisse aide à réduire les coûts pour les entreprises", estime Alix Bhend-Lambin. Pour cette dernière, "le franc n'est pas si surévalué: la valeur juste par rapport à l'euro étant à 1,08 euro/franc".
Face à cette évolution, combien de plancher la paire de devises risque-t-elle d'enfoncer? "Dans l'absolu, il n'y a pas de limite à l'appréciation du franc. Il existe par contre une limite sur la vitesse de cette tendance", avertit Nikolay Markov. Si l'appréciation du franc est trop rapide, la BNS pourrait intervenir pour réduire le rythme d'appréciation de la monnaie helvétique, estime-t-il.
De nombreuses incertitudes
"Une appréciation trop rapide pénaliserait la compétitivité-prix des exportations, malgré un positionnement haut de gamme de notre industrie", soutient quant à lui Arthur Jurus, stratégiste senior pour Oddo-BHF Suisse. Selon ce dernier, le franc s'apprécie structurellement contre l'euro en raison des différentiels de hausse des prix.
Face à cette situation, la spécialiste de la Banque cantonale vaudoise anticipe la paire de devises euro-franc à 0,98 dans six mois, "en tout cas en dessous de la parité". "La suite dépendra énormément du contexte, car il y a de nombreuses incertitudes", prévient-elle.
Quant à Nikolay Markov, il s'attend à ce que le franc se déprécie l'année prochaine face à l'euro, "car l'environnement de marché devrait se détendre". D'ici décembre 2023, il anticipe un niveau de 1,05 franc pour un euro avant que le franc se renforce à nouveau en 2024.
Et pour Arthur Jurus, l'appréciation à moyen terme devrait se poursuivre et amener la paire de devises d'ici cinq ans à 0,85 euro/franc, reflétant "les fondamentaux macro-financiers actuellement observés".
ats/ther
Maxime Botteron: "C'est surtout l'euro qui s'est déprécié"
Invité de l'émission Forum pour expliquer cette situation inédite, Maxime Botteron, économiste chez Credit Suisse, évoque deux facteurs. "Le premier est le fait que l'inflation en Suisse est nettement plus basse que dans la zone euro. On a donc un effet de compensation à travers le taux de change. Le deuxième, c'est l'environnement conjoncturel dans la zone euro qui s'est détérioré ces derniers mois avec l'explosion des prix de l'énergie, qui pèse vraiment sur le budget des ménages et qui entraîne une hausse des coûts de la production."
Pour le spécialiste, c'est donc avant tout l'euro qui s'est déprécié et non la valeur du franc suisse qui a véritablement augmenté. "On voit la différence avec le dollars, où le taux de change est relativement stable", précise-t-il.
"Des carnets de commande extrêmement bien garnis"
La BNS, elle, ne semble pas prête pour l'instant à mettre en place un éventuel taux plancher pour stabiliser le taux de change, comme elle avait pu le faire par le passé. Pour Maxime Botteron, c'est en effet une situation bien différente.
"Pour les exportateurs suisses, le fait que l'inflation soit beaucoup plus haute dans la zone euro leur permet de répercuter l'appréciation du franc suisse sur les produits qu'ils vendent dans la zone euro. On est donc dans un environnement qui leur permet une hausse des prix. D'autre part, on est arrivé dans une situation où les entreprises du secteur industriel exportateur avaient des carnets de commande extrêmement bien garnis, avec le rebond qui a suivi la réouverture de l'économie mondiale après la pandémie (...) les prochains mois vont sans doute être un peu plus difficile, avec une baisse de la demande attendue de la part de la zone euro", conclut-il.