François-Henry Bennahmias: "Ma seule mission est de faire perdurer Audemars Piguet encore 200 ans"
Audemars Piguet (AP), qui célébrera ses 150 ans en 2025, est à un moment charnière de son histoire. Jasmine Audemars, arrière-petite-fille du fondateur de la marque, va quitter fin 2022 la présidence du conseil d'administration. Un an plus tard, ce sera au tour du directeur général François-Henry Bennahmias de s'en aller.
Les projets ne s'arrêtant jamais et prenant trois à sept ans, le départ de François-Henry Bennahmias était prévu et se prépare depuis plusieurs années. Il participera même à la phase finale du recrutement du prochain CEO d'AP. "Il y a d'autres choses que je souhaite faire dans la vie. Est-ce que ce sera dans l'horlogerie? Ce n'est pas sûr", annonce-t-il, reconnaissant qu'il a des "idées" de projets.
Quoi qu'il en soit, son futur s'écrira dans une "société indépendante avec des valeurs, ainsi qu'avec de vraies possibilités de croissance".
"Les valeurs" avant tout
Qualifié d'"enfant terrible", de "grande gueule" ou encore de "franc-tireur des patrons horlogers" par la presse, François-Henry Bennahmias, 58 ans, a participé à l'incroyable success-story d'AP. En dix ans, sous sa direction, la marque est passée de 500 millions à 2 milliards de francs de chiffre d'affaires.
L'entreprise est ainsi entrée dans le club très fermé des sept marques horlogères qui dépassent le milliard de francs de chiffre d'affaires, derrière Rolex, Cartier et Omega.
AP - qui compte aujourd'hui 2500 employés - s'est offert un "Musée atelier", un "hôtel des horlogers" de 50 chambres au Brassus, dans la vallée de Joux (VD), ainsi qu'une nouvelle usine au Locle (NE). Et actuellement, la marque construit un "Campus Arc" qui regroupera les divers sites de production de la vallée de Joux.
"La mission que nous a donnée le conseil d'administration, c'est d'être encore là dans 200 ans, pas de faire tant de chiffre d'affaires ou de profitabilité", explique François-Henry Bennahmias. Pour qu'une marque puisse durer dans le temps, il faut "être fermement attaché à ses valeurs". L'exclusivité en fait partie.
Cultiver la rareté
Aujourd'hui, AP produit 50'000 montres par an. "Nous pourrions chercher à produire beaucoup plus, mais ce n'est pas notre volonté. Le marché serait prêt pour 80'000 à 85'000 montres AP par année", indique le CEO.
Et de préciser: "Nous ne jouons pas avec la rareté. Nous avons des contraintes qui nous obligent à construire de nouveaux bâtiments pour fabriquer plus si le marché en a besoin. Mais nous ne sommes jamais en train de courir après les volumes."
François-Henry Bennahmias travaille depuis trente ans chez AP. Qu'est-ce qui a changé en trois décennies? "La notoriété", répond-t-il. "Si à l'époque, on demandait aux gens dans la rue de dire à combien ils évaluaient une montre chère, ils répondaient 5000 francs. Aujourd'hui, l'horlogerie est connue et ils diraient 50'000 ou 100'000 francs."
Il reconnaît que l'horlogerie de luxe est devenue, pour certains acheteurs, un moyen de placer son argent et qu'il y a de la spéculation. "Si la demande est supérieure à l'offre, les prix montent. C'est un cercle vertueux. Mais il faut faire attention: ce n'est pas une science parfaite."
Aujourd'hui, AP parvient à toucher toutes les générations, selon le directeur. "La nouvelle génération, de laquelle on disait qu'elle ne porterait pas de montres ou des montres connectées, s'intéresse à nos montres", se réjouit-il.
Le bracelet connecté, l'avenir
L'innovation fait partie de l'ADN d'AP, souligne François-Henry Bennahmias. Il explique qu'il n'est pas rare que des horlogers de la marque travaillent "de leur côté", sur une montre, alors qu'elle n'a pas reçu la validation du "comité produit". Cela est arrivé à plusieurs reprises dans l'histoire de la marque, mais cela lui a toujours réussi, assure le directeur.
François-Henry Bennahmias assure qu'AP ne fabriquera jamais de montres connectées. Inimaginable "de vendre notre âme au diable". Il croit davantage au bracelet connecté qui pourrait accompagner les mécanismes AP "dans quelques années". "Je ne veux pas toucher à l'intégrité du mouvement", assure-t-il.
Propos recueillis par Patrick Fischer/vajo
Les aides Covid redistribuées à des ONG
Pour le directeur d'AP, le temps, la qualité, l'exclusivité et le savoir-faire horloger ont un prix. Mais si la société a du succès, elle a "un devoir de renvoyer la balle".
Par exemple, l'entreprise s'est engagée à redistribuer d'ici trois ans les plus de 4 millions de francs d'aides Covid, touchées via les RHT, de la part de la Confédération à une quinzaine d'ONG suisses.