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Après le culte de la vie parfaite, des réseaux sociaux veulent du "vrai"

BeReal, la nouvelle application made in France, concurrence les géants TikTok et Instagram
BeReal, la nouvelle application made in France, concurrence les géants TikTok et Instagram / 19h30 / 2 min. / le 12 octobre 2022
Dans la guerre des réseaux sociaux, BeReal tente de casser les codes. Cette nouvelle application créée en France veut contrer les filtres d'Instagram et autres cultes de la perfection. Place désormais à l'authentique. L'application en plein essor suscite déjà des convoitises.

Tous les jours, Jeanne et son groupe d'amis se partagent une photo au même moment. "Je dois prendre une photo de ce qu'il y a en face de moi et de ma tête en même temps", explique cette utilisatrice de 20 ans. Mais à l'inverse d'une photo publiée sur Instagram, travaillée, pensée, voire idéalisée, celle-ci doit "être vraie".

Le principe est simple. Chaque jour, les utilisateurs reçoivent une notification en même temps les invitant à publier une photo prise par leurs caméras avant et arrière. Ils ont ensuite deux minutes pour s'exécuter. La photo sera ensuite postée en ligne.

Un instant commun, où tout le monde est à égalité

Pas de filtre, ni de temps pour mettre en lumière la plus belle image. Le but de cet anti-Instagram, créé par deux Français en 2020, est de se montrer tel qu'on est, à un instant donné. Pour Olivier Glassey, sociologue spécialiste des usages numériques à l'Université de Lausanne (UNIL), cette application permet de démocratiser l'utilisation d'un média social: "Contrairement aux plateformes qui proposent des outils semi-professionnels ou demandent du temps pour être créatif, ici, tout le monde est à égalité, avec le même temps et les mêmes moyens. Là, on va à l'essentiel".

Selon lui, ce réseau social peut imposer une nouvelle manière de communiquer: "L'alerte est donnée à tous les utilisateurs en même temps. Cela crée un instant commun dans un groupe, ce qui peut rassembler ses membres. Car ces partages simultanés créent des prétextes pour d'autres interactions sociales."

Une menace pour Meta?

Ces photos prises dans la précipitation, parfois floues, souvent moches, font un tabac, surtout chez les jeunes. En six mois, le nombre de téléchargements est passé de 8 à 53 millions. Selon le comparateur d'audiences numériques SimilarWeb, c'est même l'application la plus téléchargée en Suisse.

De quoi faire trembler Meta, propriétaire de Facebook et Instagram? Pas encore, estime Esty Dwek, cheffe des investissements chez FlowBank: "Cette application est prometteuse, mais il est difficile de savoir si cette plateforme pourra détrôner Instagram. Aujourd'hui, Meta n'est pas encore au stade de l'inquiétude. Pour commencer à faire peur, il faut une masse critique d'abonnés, de l'ordre de plusieurs centaines de millions, voire un milliard", explique-t-elle.

L'analyste rappelle que même Snapchat, avec un nombre bien plus grand d'utilisateurs, n'avait pas réussi à faire trembler Facebook, même après de vaines tentatives de rachat. Meta règne encore en maître aujourd'hui, avec quatre application du groupe figurant dans le top 5.

Le paradoxe de l'injonction à être authentique

D'autant qu'il ne faut pas minimiser l'effet possible de la nouveauté de BeReal. La question de sa pérennité se pose déjà, dans un contexte où cette jeune pousse n'a pas encore établi de modèle financier. Selon Olivier Glassey, ces photos se partagent en petit groupe d'amis, qui jouent le jeu. "Mais jusqu'à quand aura-t-on envie de voir les mêmes images de ses amis en train de vivre des moments banals de leur vie?", s'interroge-t-il.

Le sociologue relève aussi le paradoxe d'un retour à l'authentique, qui passe par la médiation d'un réseau social qui prône le devoir d'instantanéité. "On veut à la fois sortir du diktat des réseaux sociaux, qui peuplent notre quotidien, d’injonctions à communiquer, et en même temps, on rajoute une obligation de réactivité, un réseau qui exige de prendre et des publier des photographies en deux minutes."

Finalement, rien n'empêcherait d'être authentique sur les autres réseaux sociaux, ou en cessant tout simplement de les utiliser, fait remarquer le sociologue.

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De son côté, Thomas Deléchat, responsable du Creative Lab de Blick Suisse romande, relève un effet pervers de BeReal: "Les deux minutes nécessitent d'avoir toujours son téléphone sur soi parce qu'on ne sait jamais quand on va recevoir la notification."

Que ce soit via l'application BeReal ou d'un autre modèle, une chose est sûre, la volonté de se défaire du culte de la perfection est bien là, à en croire la réaction immédiate chez les concurrents: Tiktok a récemment développé une fonctionnalité identique avec TikTok Now, un plagiat quasi absolu, et Instagram travaille déjà sur un concept similaire. Face à la pression de la concurrence, BeReal devra donc probablement proposer d'autres fonctionnalités pour fidéliser ses utilisateurs sur le long terme.

Feriel Mestiri et Théo Jeannet

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