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Renaud Van Ruymbeke: Face à l'évasion fiscale, "les choses n'ont pas beaucoup changé"

L'invité-e de La Matinale 18.11.2022
L'invité de La Matinale (vidéo) - Renaud Van Ruymbeke, ancien juge financier parle de son nouveau livre / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 2 min. / le 18 novembre 2022
Ancien juge financier français, Renaud Van Ruymbeke décrit dans un livre paru récemment les mécanismes de l’évasion fiscale, pratique invisible qui prive les Etats de milliers de milliards de rentrées fiscales. Il était l'invité de La Matinale vendredi.

"Pendant les vingt dernières années au Pôle financier à Paris, j'ai passé l'essentiel de mon temps à explorer les circuits offshore - à Genève, Singapour, Dubaï, au Liban, au Luxembourg, Gibraltar et Chypre, et j'ai découvert là tout un univers", raconte l'ancien magistrat.

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Cet univers est celui de l'évasion fiscale, une notion ambiguë, à la frontière entre les pratiques illégales de la fraude fiscale et celles - légales quoique moralement discutables - de l'optimisation fiscale. Et c'est pour la compréhension du grand public, qui peine parfois à s'imaginer la complexité des montages financiers, que Renaud Van Ruymbeke a décortiqué leurs mécanismes dans son livre "Offshore. Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux" (Ed: Les liens qui libèrent).

"Les avocats diront que c'est parfaitement légal: des multinationales, en général américaines comme les GAFAM, exercent une activité dans nos pays, mais vont implanter artificiellement un siège dans un des pays de l'Union européenne où la taxation est la plus faible, par exemple le Luxembourg ou l'Irlande. Et par un système de conventions internes à ces groupes, ils vont faire remonter artificiellement les bénéfices dans le pays où on payera le moins d'impôts possible", explique-t-il.

A partir du moment où il y a montage, il y a stratagème, il y a des conventions plus ou moins artificielles, on bascule de l'évasion à la fraude fiscale.

Renaud Van Ruymbeke, ancien juge financier

Et cela, au prix d'un préjudice considérable fait à la collectivité. "C'est totalement anti-concurrentiel par rapport aux entreprises locales soumises à une taxation beaucoup plus forte. Il y a donc un déséquilibre et un manque à gagner colossal des Etats, qui aujourd'hui font face à des déficits et dettes, et qui devront un jour aider les pays du Sud à s'en sortir. Tout cela demande beaucoup d'argent collectif, de l'impôt, et il y a des sommes considérables qui échappent à l'impôt à travers ces montages réalisés par des conseillers fiscaux qui savent jongler avec les frontières", dénonce-t-il.

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"A partir du moment où il y a montage, il y a stratagème, il y a des conventions plus ou moins artificielles, et on bascule de l'évasion à la fraude fiscale", souligne l'ancien juge, connu pour son opiniâtreté et également pour avoir été le premier à oser s’attaquer aux personnalités politiques dans les affaires financières.

Passeur de constat

Si une évolution est en cours, et qu'on commence à sanctionner ces pratiques, les procédés n'ont dans les faits pas beaucoup changé, "malgré une volonté sincère de faire bouger les choses", décrit Renaud Van Ruymbeke, tirant un parallèle avec la lutte contre le réchauffement climatique. "Parce qu'on n'a pas touché au coeur du problème de l'argent qui échappe à l'impôt - et qui inclut aussi les trafics de drogue, les mafias, les oligarques, les grands dictateurs corrompus. Cela supposerait un vrai changement en profondeur. On a trop de secret bancaire, et les collectivités en souffrent."

A 70 ans, affranchi d'affaires en cours quoique toujours soumis au secret professionnel, l'ancien juge a aujourd'hui les coudées franches pour se faire le passeur d'informations. "J'ai fait un constat pendant vingt ans, et je livre ce constat, pour participer à la prise de conscience des citoyens. Et le jour où ils en auront véritablement conscience, les politiques commenceront à bouger sérieusement."

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Propos recueillis par Frédéric Mamaïs

Adaptation web: Katharina Kubicek

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Qatar 2022: "Il y a des limites à ne pas dépasser"

Entre Renaud Van Ruymbeke et le ballon rond, on peut parler si ce n'est d'amour, du moins d'une  relation de longue durée. Son grand-père et trois de ses grands-oncles ont été footballeurs à l’Olympique de Marseille, et lui-même l'admet laconiquement: "J'aime bien le foot.".

Mais face au Mondial 2022 au Qatar, quelque chose s'est brisé chez l'amateur de belles passes. "Pour la première fois, je ne regarderai pas cette Coupe du monde. Parce que les conditions dans lesquelles ont été construits les stades, l'exploitation de gens pauvres dans des conditions lamentables, la climatisation dans des stades à ciel ouvert à l'heure où l'on essaie de faire attention à nos émissions de CO2, tout cela me donne mauvaise conscience. J'aime bien le foot, mais il y a des limites à ne pas dépasser."