C'est la marque incontournable de la génération Z: Shein, label chinois de mode éphémère vendu exclusivement en ligne, s'est taillé la part du lion dans le secteur textile. Officiellement créée en 2012, la marque atteignait une valeur de 100 milliards de dollars au printemps dernier, soit plus que H&M et Zara réunis.
Shein n'est active sur le marché suisse que depuis le mois d'août 2021 mais elle est déjà très prisée des jeunes consommateurs, y compris en Suisse romande et ce, même si son application n'est pour l'heure disponible qu'en allemand. Si elle ne dévoile pas les chiffres de ses ventes, la société indique que "la Suisse est assurément un marché important" pour elle. "Nous continuons à investir dans le marketing et le positionnement de la marque dans le pays", précise une porte-parole.
Inspiré des modèles de ses concurrents
Au coeur du succès de Shein, un choix virtuellement infini avec des milliers de nouveaux articles mis en ligne chaque jour mais aussi des prix extrêmement bas et une stratégie marketing très affûtée sur les réseaux sociaux. "Le pull que je vais trouver chez Zara à 60 francs, je vais l'acheter à 20 francs sur Shein", témoigne Justine Sanchez, 25 ans, adepte de la marque. "A mes yeux la qualité est équivalente que j'achète mon pull chez Zara, Mango, H&M ou Shein, donc je ne comprends pas pourquoi je devrais mettre un prix plus important", estime la Lausannoise.
Shein s'inspire largement, voire copie, des modèles de ses concurrents, vendus à prix cassés. Levi's, Ralph Lauren ou Dr Martens ont déjà attaqué la marque en justice pour plagiat. Et sur les réseaux sociaux, le hashtag #sheinvszara met en évidence les ressemblances troublantes entre des produits Shein et des produits Zara.
Commande restreinte de pièces
Mais au-delà des questions de propriété intellectuelle, se pose la question du niveau de prix pratiqué par Shein. Contrairement aux autres géants de la mode éphémère, Shein travaille avec de très nombreux petits ateliers, parmi lesquels de minuscules structures familiales, auxquelles elle commande parfois un nombre de pièces très restreint.
"Nous produisons une très petite quantité de chaque modèle, 100 à 200 pièces, et évaluons la réponse du marché en temps réel, puis nous répondons avec une production à plus large échelle pour satisfaire la demande des clients seulement si cette demande est garantie", explique Shein.
"Il n'y a pas de qualité"
L'émission A Bon Entendeur de la RTS a commandé un ensemble blazer et pantalon au prix de 31 francs chez Shein et l'a fait reproduire à l'identique par une couturière. "Ces vêtements sont clairement mal faits", commente Floranda Beqiri, titulaire d'un brevet fédéral et enseignante au Centre des arts appliqués de Genève. "Avec Shein, il n'y a pas de qualité, ce sont des vêtements que l'on porte maximum trois fois avant de les jeter parce qu'avec les lavages, ils rétrécissent ou changent de couleur".
Il a fallu huit heures à la professionnelle pour reproduire les vêtements selon le standard de finition minimaliste de Shein. Or d'après les chiffres fournis par l'organisation Asia Floor Wage, le salaire minimum dans la branche textile en Chine est de 4,30 francs de l'heure. Il paraît donc impossible de réaliser cet ensemble sans rogner sur le salaire des employés et la qualité des vêtements.
Avec Shein, il n'y a pas de qualité, ce sont des vêtements que l'on porte maximum trois fois avant de les jeter parce qu'avec les lavages, ils rétrécissent ou changent de couleur
Des semaines de 75h
De fait, au sud-est de la Chine, dans la ville de Canton, de très nombreux petits ateliers travaillent pour la marque. Plusieurs témoignages font état de semaines de travail de 75 heures, pour des salaires horaires inférieurs à l'équivalent de 4 francs. "Shein c'est un peu la mode éphémère sous stéroïde. Ils ont pris les méthodes de la fast fashion, comme Zara ou H&M, et ils les ont poussées à l'extrême", observe Géraldine Viret, responsable médias de l'ONG Public Eye, qui fut parmi la première à enquêter sur ce label.
"Avant, Inditex était champion au niveau de la vitesse. Il leur fallait environ trois semaines pour dessiner, produire et vendre un vêtement. Avec Shein, ce temps s'est réduit à quelques jours, une semaine, et ce rythme effréné se reporte sur tous les maillons de la chaîne, à commencer par les ouvriers" .
Interrogé sur les conditions de travail de ses sous-traitants, Shein affirme que, d'après un audit indépendant réalisé au trimestre dernier, "le salaire horaire [de ses sous-traitants] est en moyenne deux fois plus élevé que le salaire minimum local". L'entreprise dit par ailleurs prendre des mesures lorsque des cas d'abus lui sont signalés.
Des vêtements contenant des substances chimiques dangereuses
La qualité des produits Shein interpelle également. Le mois dernier, Greenpeace publiait les résultats d'un test réalisé sur 47 produits (vêtements et chaussures) commandés sur la plateforme chinoise.
Sept de ces produits contenaient des substances chimiques dangereuses "dépassant les limites fixées par l'Union européenne", selon l'organisation de défense de l'environnement. "Les autorités suisses doivent contrôler de bien plus près les importations provenant de cette entreprise", estime Joëlle Hérin, spécialiste consommation de Greenpeace Suisse. En réponse à ces analyses, la marque chinoise assure avoir retiré de la vente tous les produits pointés du doigt en attendant les résultats de ses propres analyses.
Linda Bourget
L'heure de gloire des petits influenceurs
Pour promouvoir ses produits auprès des jeunes, Shein mise essentiellement sur les réseaux sociaux, TikTok en tête. Le phénomène des ‘Shein hauls’ y est devenu viral: dans des vidéos, des clients de l’entreprise chinoise déballent et essaient leurs nombreux achats face caméra. Aux côtés d’influenceurs suivis par des millions d’abonnés, des jeunes femmes et des jeunes hommes mettent également en scène des ‘hauls’ pour leur réseau d’amis.
La marque mise par ailleurs sur des influenceurs au nombre d’abonnés modeste. "Dès que j’ai atteint les 10'000 followers, j’ai pu collaborer avec Shein", raconte Cindy, alias golden_puffin_outfit sur Instagram. Basée en Ajoie, la jeune femme participe à une dizaine de campagnes par an. "Je reçois un email avec une proposition de campagne avec des dates de publications et un thème", comme par exemple le "Black Friday ", commente la Jurassienne.
Elle sélectionne les habits qu'elle souhaite promouvoir, une dizaine pour chaque campagne, qui lui sont ensuite envoyés. "Pour 10 articles, je dois faire 5 posts, donc porter deux articles par post", explique-t-elle. Un travail qu'elle effectue gracieusement. "Je ne suis pas payée. Je reçois les habits gratuitement et je peux les garder."