Il fut un temps où le Bitcoin et les cryptomonnaies basés sur la technologie décentralisée de la blockchain valaient plus que de l'or. Le cours du Bitcoin, pour ne citer que lui, a en effet connu une ascension spectaculaire. L'action, qui variait entre 5000 et 10'000 dollars en 2020, s'est envolée en 2021, avec un pic à 68'500 dollars le 9 novembre de cette année.
L'investisseur indépendant Tom Xavier raconte l'effet d'emballement engendré par cette ascension: "On faisait de l'argent rapidement. Forcément, on se dit qu'on est un génie et qu'on a tout compris. Donc on met un peu plus d'argent. Un jour, quand on s'y attend le moins, on réalise qu'on peut tout perdre en 30 secondes."
Ces investisseurs qui essuient de lourdes pertes
De près de 70'000 dollars il y a un an, le Bitcoin a effectué une chute abyssale, à moins de 17'000 dollars aujourd'hui.
Comme beaucoup d'investisseurs, Nicolas Hochstadter a vite déchanté. Le fondateur de Performance Watcher, d'habitude adepte des investissements classiques, s'est lancé il y a 3 ans dans les cryptomonnaies. ll le reconnaît aujourd'hui, il a perdu beaucoup d'argent avec la dégringolade du Bitcoin.
L'affaire FTX
Pour posséder des cryptomonnaies, il faut donc avoir le coeur bien accroché. En plus d’une variation extrême des cours, certaines plateformes d'échange de cryptos jouent avec l’argent des investisseurs, voire les détroussent en toute impunité.
L'actualité sert d'exemple, avec l'affaire FTX, une plateforme d'échange de cryptomonnaies en faillite depuis le mois dernier, laissant un million de clients sur la paille. Son ancien patron Sam Bankman-Fried a été arrêté lundi aux Bahamas, à la demande des autorités américaines.
>> A lire : L'ancien patron de la plateforme de cryptomonnaies FTX arrêté aux Bahamas
Avant son plongeon, la plateforme valorisée à 32 milliards de dollars en début d'année était considérée comme la deuxième au monde, derrière Binance. FTX a fait faillite en seulement quelques jours, après que Binance a retiré tous ses jetons de la plateforme concurrente. En faisant faillite, FTX a entraîné dans sa chute une centaine d'entreprises affiliées.
On apprendra ensuite de plusieurs médias spécialisés que la gestion de FTX surfait avec l'illégalité. Le Wall Steet Journal, par exemple, évoque que près de 1 milliard de dollars de cryptoactifs ont été siphonnés vers Alameda Research, un fonds d'investissement basé aux Bahamas, qui appartient à Sam Bankman-Fried lui-même. Ce dernier s'est servi des capitaux de ses clients pour faire des paris spéculatifs les plus fous.
Une affaire à la Madoff
Pour le spécialiste des cryptomonnaies Yves Bennaïm, fondateur du think tank 2b4ch, cette affaire rappelle celle de Bernard Madoff, l'homme d'affaires new-yorkais qui avait monté un fonds d'investissement spéculatif géré par une société parallèle qu'il avait fondée. L'escroquerie avait été démasquée lors de la crise financière de 2008.
"Vous faites confiance à ces gens-là. Evidemment, ils vont partir avec la caisse. Ou du moins jouer avec. Alors des fois on gagne, des fois on perd. Et à un moment, ils ont dit à leur client qu'ils ont perdu."
Selon lui, FTX ne sera pas la dernière à faire faillite. Tout d'abord les entreprises liées de près ou de loin à la plateforme FTX seront impactées: "Il y a un effet domino. FTX, comme plateforme, a prêté et emprunté. Donc une banqueroute impacte forcément ceux qui font du business avec."
Mais il y a aussi toutes les autres cryptomonnaies nées depuis la création du Bitcoin. "Sur les 20'000 cryptomonnaies qui existent, au moins 99,9% sont farfelues, voire frauduleuses", avance Yves Bennaïm.
Vers la faillite de 99% des cryptos?
Abondant dans ce sens, l'investisseur Nicolas Hochstadter prédit un "vrai carnage": "Il y a tellement de cryptomonnaies qui sont faites sur du vent, comme à l'époque d'Internet, avec toutes ces sociétés créées dans les années 2000. Combien de ces Google de l'époque existent encore aujourd'hui? Pour les cryptos, ce sera la même chose. Je pense qu'il n'y aura pas 1% des monnaies virtuelles qui seront encore là dans 2 ou 3 ans. Tous les gens qui investissent dans les cryptomonnaies doivent comprendre qu'ils peuvent tout perdre".
Est-ce que la faillite de FTX va sonner le glas des cryptos? "Certainement pas", répond Yves Bennaïm. Selon lui, les gens sont trop cupides. "Si on leur agite quelque chose qui brille, ils vont se précipiter dessus. En revanche, les gens vont commencer à se poser des questions qu'ils ne se posaient pas avant".
Malgré la fluctuation du cours du Bitcoin, ce dernier survivra à coup sûr, assure l'expert. "Il faut bien faire la différence avec le Bitcoin, qui est très régulé par son réseau et par les mathématiques. C'est cela qui lui donne sa valeur et qui fait qu'on parle plus de lui que du jeton X ou Y, qui disparaîtra juste après sa création". Certes plus solide, le cours du Bitcoin a lui aussi subi les conséquences du scandale de FTX, en accélérant sa dégringolade amorcée un an plus tôt.
La régulation en question
Pour éviter ces dérives et leurs conséquences désastreuses, certains parlementaires ont décidé d’empoigner cette thématique et de légiférer. C'est le cas du conseiller national PS Samuel Bendahan, qui souhaite évaluer dès aujourd'hui l'impact qu'auront les cryptomonnaies sur nos sociétés, ainsi que leur intérêt public: "Peut-être que toutes les cryptomonnaies n'auront pas besoin d'être régulées, mais certains acteurs fonctionnent comme des banques, comme des instituts d'investissement. Il faut donc être traité comme tel".
Les risques ? Il en existe beaucoup, affirme Samuel Bendahan. "Certaines cryptomonnaies peuvent consommer beaucoup d'énergie. Il y a les risques de criminalité ou d'absence de transparence des réseaux. Aussi, c'est une forme d'actifs qui peut, dans certains cas, être extrêmement spéculatifs, très peu compris par les investisseurs, générant une source d'instabilité sur les marchés financiers."
Face à ces dangers potentiels, l'élu socialiste estime qu'il faudrait plus de contrôle: "La Finma, qui est plutôt le gendarme des banques, doit aussi surveiller ces crypto-actifs davantage qu'elle ne le fait aujourd'hui. Et il faudrait lui donner un peu plus d'instruments".
De son côté, l'expert en cryptomonnaies Yves Bennaïm estime que les législations sont suffisantes: "Ce ne sont pas les régulations qui vont changer grand-chose. A l'époque du scandale de Madoff, c'était extrêmement régulé. Le problème, c'est que les gens ne comprennent pas encore comment cet actif fonctionne et ils font confiance là où ils ne devraient pas".
Philippe Lugassy, Feriel Mestiri