Modifié

Hervé Boulhol: comme la France, la Suisse est questionnée par la viabilité de son système de retraite

Hervé Boulhol, spécialiste des retraites à l'OCDE.
L'invité de La Matinale (vidéo) - Hervé Boulhol, responsable "retraites et vieillissement démographique" à l’OCDE / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 12 min. / le 19 janvier 2023
Alors que le France vit jeudi au rythme des débrayages contre son projet de réforme des retraites, Hervé Boulhol, spécialiste des retraites à l'OCDE, analyse dans La Matinale le fonctionnement des systèmes de pension, mis sous tension par la longévité croissante de la population.

Trains à l'arrêt, écoles fermées, syndicats dans les rues: la France entame jeudi une journée de grève massive contre une réforme des retraites sur laquelle le président Emmanuel Macron joue son crédit politique, son gouvernement appelant à éviter un "blocage" du pays.

>> Lire : Réforme des retraites en France: 10'000 policiers mobilisés pour la manifestation

"Réformer un système de retraites est compliqué, parce qu'il faut faire régulièrement des ajustements, puisqu'on répond à une dynamique mouvante. Toucher à la borne d'âge est impopulaire dans la plupart des pays de l'OCDE, et donc très difficile politiquement à mettre en avant", commente Hervé Boulhol, spécialiste des retraites à l’Organisation de coopération et de développement économiques jeudi dans La Matinale de la RTS.

Au niveau européen, en matière d'âge de sortie du marché du travail, la France se place parmi les plus bas, avec des taux d'emploi après 60-62 ans très faibles. "Alors que le taux d'emploi pour les 60-64 ans est d'environ 33% en France, il est de plus de 53% en Allemagne, et de plus de 60% en Suisse", indique Hervé Boulhol. "C'est donc là une faiblesse de la France, qui pèse sur les comptes des systèmes de retraite et réduit l'emploi total, ce qui pèse à son tour sur les performances économiques."

L'équité entre générations est de maintenir le ratio entre le temps passé sur le marché du travail et le temps passé à la retraite - 40 à 45 ans au travail pour 22 à 25 ans à la retraite.

Hervé Boulhol, spécialiste des retraites à l'OCDE

L'OCDE - qui estime que le système français va accumuler des déficits et que le taux d'emploi des plus de 60 ans est une faiblesse de son économie - est donc favorable à des mesures qui s'attaquent à ces deux questions, "même si relever l'âge de l'entrée en retraite n'est pas la seule mesure possible", précise l'expert.

"L'équité entre générations est de maintenir le ratio entre le temps passé sur le marché du travail et le temps passé à la retraite - 40 à 45 ans au travail pour 22 à 25 ans à la retraite. S'il y a des gains d'espérance de vie, l'équité est aussi de travailler davantage", fait valoir l'économiste.

Dans des projections pour les cinquante prochaines années, l'espérance de vie devrait s'accroître d'environ quatre ans. "Cela voudrait dire qu'il faudrait passer 2,5 à 3 ans de plus sur le marché de l'emploi, et 1,5 ans de plus à la retraite", note Hervé Boulhol.

Lien entre espérance de vie et retraite

Deux tiers des pays de l'OCDE ont introduit un lien automatique entre l'espérance de vie et les paramètres de la retraite. D'autres pays, comme la France ou la Suisse, n'ont pas introduit ce lien entre évolution de la longévité et les paramètres de la retraite. "La Suisse ne sera donc pas épargnée par le problème de viabilité financière lié à l'allongement prévu du système de retraites. Il peut être réglé de différentes façons, entre autres par le taux de cotisation - à environ 17%, il est plutôt bas en Suisse, proche de la moyenne de l'OCDE (18%) mais bien en deçà du taux français (28%) ou italien (33%), ou également en ajustant le taux de conversion du 2ème pilier, fixe pour l'instant, en fonction de l'espérance de vie.

>> Lire aussi : Après le oui à AVS 21, quelle réforme pour le deuxième pilier?

En France, le système offre "une bonne protection", selon Hervé Boulhol, les niveaux relatifs des revenus de la population de plus de 65 ans plaçant le pays dans le haut du panier de l'OCDE et au-delà de la moyenne. Mais c'est lié à des taux de cotisations très élevés, donc cette "générosité" a été payée par les salariés eux-mêmes.

Ce qui est généreux en France, c'est l'âge moyen de départ à la retraite, actuellement très bas, à 62 ans, note Hervé Boulhol. "Il faut donc payer la pension pendant très longtemps". Les mesures de la réforme, plus que baisser le niveau des pensions, vise donc surtout à baisser leur durée, explique encore l'expert.

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Katharina Kubicek

Publié Modifié