Malgré la reprise, les secteurs clefs de l'économie chinoise rencontrent des difficultés
Désertés par les acheteurs, les couloirs du marché international de Yiwu, dans la province du Zhejiang (au sud de Shanghai), se sont mués en terrain de jeu. Sous la lumière des néons, les enfants des marchands désoeuvrés font la course dans le dédale d'échoppes, au guidon de leurs petits tricycles.
Symbolique de la volonté chinoise d'ouverture à la mondialisation, Yiwu est devenu le plus grand marché de gros du pays en 1991 et a par la suite acquis la place de numéro un mondial. Soutenu par les autorités locales, il est alors avant tout axé sur une concurrence des prix intransigeante, qui permet aux acheteurs du monde entier d'avoir, réuni en un seul lieu, un panel de produits extrêmement conséquent, près de 2 millions en tout. Sacs à main, outillages, cuvettes de toilettes, drones, peluches, porte-clés, sèche-cheveux, jouets et autres objets de décoration: tout s’achète dans ce temple des petites marchandises "made in China".
Porté par la croissance chinoise des dernières décennies, Yiwu a connu un boom extraordinaire. De 705 exposants en 1982, il est passé à 16'000 en 1992 et 75'000 désormais. La structure est pharaonique. Le marché fait 4 millions de mètres carrés, soit l'équivalent de 1600 terrains de football recouvert de produits en tout genre.
Des acheteurs qui ne viennent plus
A Yiwu, la matrice économique a donc avant tout pour stratégie une concurrence par les prix qui fonctionne grâce à un effet d'échelle. Si le coût des produits reste bas, grâce notamment à la proximité entre les lieux de production et de vente ou encore à une main d'oeuvre bon marché, les marchands abaissent aussi leur marge bénéficiaire et compensent en augmentant le nombre de ventes.
En jouant à ce point-là sur les prix, la qualité des produits est plus difficile à garantir et ce sont donc les consommateurs de pays à faibles revenus qui sont visés par cette offre, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Or, depuis la fin du Covid, ceux-ci ne sont pas revenus.
"Nos clients viennent majoritairement d'Afrique: Congo, Guinée, Ethiopie, Kenya, Djibouti... Avant, ils venaient régulièrement voir la marchandise, mais maintenant c'est très difficile. Les affaires sont allées de mal en pis ces dernières années. Il y a des jours où on est à zéro en termes de ventes, parfois plusieurs jours d'affilée, parfois tout un mois", se désespère lundi dans l'émission Tout un monde Madame Ding, qui vend des ventilateurs sur le marché.
>> Réécouter le reportage de La Matinale sur le défi de développer la consommation domestique:
Les exportations en berne
Moteur de l'économie chinoise depuis 2020, les exportations ont connu un coup de frein l'an dernier, et la situation économique, loin d'être optimale en Europe et aux Etats-Unis, laisse augurer une reprise compliquée pour le secteur.
Aux abords du port de Shanghai, plus grand port à conteneurs du monde, des camionneurs s'étonnent du ralentissement de l'activité. "Regardez là-bas, tous ces conteneurs empilés, ils sont vides. Ceux-là, ça fait six mois à un an qu'ils n'ont pas bougé. Une telle situation aurait été impensable il y a deux ans. Pour en obtenir un, il fallait avoir de très bonnes relations... Maintenant, il n'y a plus qu'à se servir", explique l'un d'eux.
Face au manque de courses depuis plusieurs mois, un autre chauffeur envisage maintenant de vendre son camion, car l'entretien lui coûte trop cher. "Aujourd'hui, on est tous prêts à travailler dur, mais certains n'arrivent pas à se faire de l'argent. Je ne veux pas en dire trop car dans ce pays, si tu en dis trop, tu t'attires des ennuis, mais je suis fatigué. J'aimerais me coucher et m'endormir pour toujours (...) la pression est si forte. J'ai mes parents, mon fils et mon neveu à charge. La santé, l'école, ça coûte cher. Je ne gagne plus assez pour assurer toutes les dépenses familiales", explique-t-il.
Le zéro Covid a lourdement endetté les collectivités. Avec ses deux premiers moteurs en panne, la pression est devenue très forte
Les deux piliers de la croissance touchés
La situation au port de Shanghai et dans le marché de Yiwu témoignent d'une réalité macronéconomique pour la Chine. "La croissance dépendait de deux locomotives: les exportations et les investissements du gouvernement. Mais l'an dernier , les exportations ont fortement diminué. En parallèle, les investissements, dans l'immobilier notamment, ont aussi diminué", confirme une société de courtage basée à Shanghai.
"Le zéro Covid a lourdement endetté les collectivités. Avec ses deux premiers moteurs en panne, la pression est devenue très forte", ajoute-t-il.
Une consommation intérieure qui ne décolle pas
Depuis de nombreuses années, le gouvernement chinois tente de développer la croissance intérieure, sans véritablement y parvenir. Avec des exportations qui ralentissent et des pouvoirs publics qui voient leur capacité d'endettement se rétrécir après des années de surinvestissement, la nécessité de développer cette consommation devient encore plus forte.
Pour Li Xunlai, ce qui entrave le développement de cette demande intérieure reste le revenu des ménages, beaucoup trop bas. "La croissance du revenu des ménages reste beaucoup plus faible que celle du PIB. Or les classes moyennes et modestes constituent le plus gros potentiel en termes de consommation. Si on ne soutient pas ce groupe de personnes, il sera très difficile de stimuler la consommation, et donc la croissance", analyse-t-il.
D'après lui, il faudra pour cela effectuer des changements structurels, car le "modèle actuel", qui a été essentiellement conçu autour des investissements, n'est plus viable. Il prédit toutefois que ce mouvement ne sera pas facile à réaliser, expliquant qu'il y aura de la résistance tant "le système actuel nourrit les intérêts particuliers".
L’incertitude continue donc de peser sur l'avenir de l'économie chinoise. Si la page du zéro Covid est tournée pour les autorités, investisseurs et consommateurs savent que le système de gouvernance qui a engendré cette politique et ses dérives reste solidement en place. Pékin doit désormais regagner une confiance mise à mal ces trois dernières années.
Reportage radio: Michael Peuker
Adaptatation web: ther