La Suisse a perdu son image de "pays de sécurité, fiabilité et compétence", regrette Philippe Kenel
Tout comme l'est la neutralité depuis la guerre en Ukraine, la sécurité bancaire est écornée à cause de la déroute du numéro deux bancaire helvétique. Philippe Kenel, avocat fiscaliste et président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Luxembourg, invité au micro de La Matinale mardi, en est sûr: cet événement "coûte évidement à l’image de la Suisse (…) intérieure comme extérieure".
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"La Suisse, c’était l’image de la sécurité", assure-t-il. Et cette tourmente bancaire empêche désormais de la garantir aux investisseurs. "Aujourd’hui, on rachète aux actionnaires leurs actions à un prix déterminé sans leur poser la question. Donc ça pose un énorme problème de fiabilité", détaille l’avocat fiscaliste.
"Incapacité de la Suisse à anticiper"
La compétence, qui fait également partie du portrait de la Suisse, est aussi fragilisée. "La situation d'aujourd’hui, je pense notamment aux managers de Credit Suisse, n'est pas la plus belle image de compétence que l’on pouvait donner", déplore Philippe Kenel. Et d'évoquer les bonus donnés aux managers, une question "d'arrogance", qui ne sont pas "ce qui rapproche le plus le banquier du citoyen".
Mais faut-il toujours continuer à vendre une image fiable et compétente de la Suisse? Philippe Kenel pense que non car "ce n’est plus le cas". "Peut-être que si on vendait une autre image, on tomberait moins de notre piédestal", ajoute-t-il.
"Ce qui ressort clairement avec cette affaire de Credit Suisse, c'est que la Suisse agit toujours au dernier moment. Il y a une incapacité de la Suisse à anticiper", regrette-t-il.
La cohésion sociale est notre "force"
Capitaliser sur la cohésion sociale permettrait de redorer le blason de la Suisse, selon l’expert. C’est "la force de notre pays". "C’est là qu’il y a un grand enjeu avec les pertes d’emplois à venir chez UBS et Credit Suisse", justifie-t-il.
Pour ce faire, Philippe Kenel demande l’organisation d’Etats généraux, avec "les partis de droite aussi", précise-t-il, jugeant qu’ils doivent eux aussi être "en faveur de certaines mesures sociales".
Il estime en effet que si la Confédération a "pu donner autant d’argent à Credit Suisse et à UBS" alors elle doit "impérativement" faire un geste à l’égard des employés des deux banques et des autres demandes telles que l’AVS et les assurances maladie".
La cohésion sociale, c’est aussi la représentation de la Suisse à l’étranger. "Si on a une droite qui ne fait rien pour les personnes défavorisées mais qui est prête à tout donner pour une banque, alors ça donne une mauvaise image", conclut l’avocat financier.
Propos recueillis par: David Berger
Adaptation web: Julie Marty
L'onde de choc ailleurs dans le monde
La disparition de Credit Suisse résonne jusqu'à l'autre bout du globe, donnant lieu à des conséquences et à des réactions mitigées.
Le Golfe affecté
Dans la région du Golfe, les actionnaires, Saudi National Bank (SNB), Qatar Investment Authority et Olayan, sont particulièrement affectés. Ils détiennent à eux seuls environ un cinquième des parts de la banque.
La SNB a confirmé avoir subi une perte d'environ 80% de la valeur de son investissement, soit plus d’un milliard de dollars. Elle était devenue en fin d’année dernière la principale actionnaire de la banque suisse. Mais la banque affirme que ces changements “n'ont aucun impact sur ses plans de croissance et ses prévisions pour 2023”.
La Qatar Investment Authority n’a pas encore réagi mais elle a également subi une forte perte. Elle est l'un des investisseurs de longue date de Credit Suisse et avait même augmenté sa participation en début d’année. Elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises.
En tout cas, les analystes financiers s’attendent à davantage de précaution de la part des investisseurs de la région.
Les Européens prudents
A Bruxelles, plusieurs responsables des institutions européennes se sont prononcés lundi pour dire leur satisfecit et leur soulagement, teintés de vigilance et d'interrogations.
L’Italie a assuré que les répercussions du sauvetage de Credit Suisse "sont insignifiantes" pour le pays.
Le Japon reste attentif
Au Japon, troisième puissance économique mondiale, les investisseurs voient d’un bon oeil le sauvetage de Credit Suisse mais les craintes ne sont pas pour autant éteintes.
Les analystes nippons ne redoutent pas en l’état des conséquences sur les établissements financiers de l'archipel.
Ils soulignent que les banques japonaises n’ont pas les mêmes vulnérabilités qu’une partie de leurs homologues occidentales.