Colm Kelleher et Ralph Hamers: le portrait des deux hommes à la tête du mastodonte UBS
Beaucoup ont découvert le visage de Colm Kelleher durant la conférence de presse de dimanche annonçant le rachat de Credit Suisse par UBS. En poste depuis un an, mais peu médiatisé jusqu'ici, l'Irlandais aura la lourde charge de présider la nouvelle entité fusionnée. Un peu plus connu, Ralph Hamers occupe lui la direction générale de la banque depuis 2020.
Concrètement, Colm Kelleher continuera à présider et animer le conseil d’administration, organe dont le rôle est de contrôler l'activité de la direction de la société et de définir les orientations stratégiques de l'entreprise. Responsable de l'exécutif, Ralph Hamers dirige lui de facto la banque. Il s’occupera toujours de la gestion courante d’UBS au quotidien avec en ligne de mire les résultats comptables de l’entreprise.
Au niveau des salaires, Ralph Hamers a vu le total de ses rétributions augmenter de près de 10% en 2022, à 12,6 millions de francs. Son salaire de base est resté quasiment inchangé, à 2,9 millions de francs, mais l'ensemble des compensations variables a progressé de 14,1%, à 9,7 millions. Colm Kelleher a lui perçu une rétribution totale de 4,8 millions.
COLM KELLEHER - Des chemins de St-Jacques à la présidence d'un géant
Selon le Financial Times, Colm Kelleher avait prévu de célébrer la Saint-Patrick, la fête nationale irlandaise, vendredi dernier et d'assister le lendemain dans un pub de Zurich au match de rugby Irlande-Angleterre. Mais ce week-end relaxant a été contrarié par une activité bancaire qui s'est emballée. Depuis lors, la planète finance a les yeux braqués sur cet Irlandais au nom difficilement prononçable.
Cet homme de 65 ans au parcours atypique est aujourd'hui le banquier le plus puissant du pays, à la tête d'une nouvelle entité qui pèse deux fois le PIB de la Suisse, avec un portefeuille de 5000 milliards de francs d’avoirs sous gestion. On est loin de l'homme qui se rêvait professeur d'histoire ou scientifique après des études à Oxford.
Colm Kelleher dit être entré dans le milieu bancaire un peu par hasard. Il a intégré une petite banque et a suivi une formation de comptable. Il finit par entrer chez Morgan Stanley, où il gravit peu à peu les échelons. Responsable des finances de la grande banque, il doit gérer la crise financière de 2008 et se battre contre la vente de Morgan Stanley, pourtant exigée par le gouvernement américain.
Après 30 ans chez Morgan Stanley, Colm Kelleher a finalement décidé de quitter le géant américain en 2019 pour une retraite bien méritée. Le catholique irlandais se lance alors sur le chemin de St-Jacques de Compostelle avec son frère. Selon le portrait brossé par le magazine Bilan, c'est ce parcours spirituel qui l'a conforté dans sa volonté de revenir aux affaires.
Chez UBS, le départ du président Axel Weber est alors inéluctable en raison de la limite statutaire de dix ans de mandat. Et c'est un inconnu, l'Irlandais Colm Kelleher, qui est profilé par le sortant à la surprise générale. Il est finalement élu, en avril 2022, par l'assemblée des actionnaires, avec 97,7% des voix.
Durant cette première année de règne, UBS a vu son bénéfice net augmenter, malgré la volatilité des marchés et dans un contexte géopolitique tendu. Pour 2022, le résultat avant impôts a été bouclé sur une hausse de 1,3% à 9,6 milliards de dollars, et le dividende des actionnaires a été augmenté. En janvier, dans un entretien accordé à la NZZ, Colm Kelleher confiait qu'aucun grand changement stratégique n'était envisagé: "Nous n'avons pas non plus l'intention d'acheter Credit Suisse."
UBS restera solide comme un roc
Reste à savoir comment l'homme fort d'UBS va gérer ce rachat imprévu. "Soyons clairs, [...] c'est un sauvetage dans l'urgence", a-t-il tenu à préciser dimanche, tout en se disant "heureux" d'annoncer cette acquisition, qui "renforce la Suisse en tant que grand centre financier mondial" et "l'UBS en tant que banque de premier rang". Et de conclure: "UBS restera solide comme un roc".
Ralph Hamers - L'homme du numérique chargé de la réussite d'un rachat à haut risque
"Bonjour, je m’appelle Ralph, je suis enthousiaste et honoré d’être votre CEO": c'est par ces mots que Ralph Hamers s'est présenté à ses collaborateurs après sa nomination à la direction d'UBS en novembre 2020. S'affichant volontiers sans cravate, en baskets et le col de chemise ouvert, il a d'emblée voulu se montrer détendu et abordable, loin de l'austérité des banquiers de la Paradeplatz. Mais on dit aussi de lui qu'il a une poigne de fer et peu d'états d'âme.
Dans le milieu bancaire, beaucoup se sont dits surpris, si ce n'est sceptiques, à la nomination de ce Néerlandais aujourd'hui âgé de 56 ans à la tête de la première banque de Suisse, en remplacement de Sergio Ermotti. Mais après plus de deux ans en poste, il semble faire ses preuves, avec des résultats tant financiers que boursiers très solides.
Avant d'arriver à UBS, Ralph Hamers n'a pas écumé les grandes banques mondiales. Pur "produit" néerlandais, il est né aux Pays-Bas et y a fait ses études, avant de passer toute sa carrière professionnelle au sein du groupe ING, un mastodonte de la banque-assurance qui emploie 50'000 personnes dans le monde. Après avoir notamment dirigé les filiales roumaine et belge, il a repris la tête de la multinationale.
A la tête d'ING, Ralph Hamers a dû affronter les problèmes inhérents au secteur après la crise de 2008 avec des pressions sur les coûts et des restructurations massives. Il a aussi dû oeuvrer pour rembourser les 10 milliards d'euros d'aides publiques qui avaient été accordés à son établissement.
Le Néerlandais a aussi eu affaire à la justice. En 2020, il s'est retrouvé sous enquête aux Pays-Bas dans une affaire de blanchiment d'argent concernant ING. La banque était accusée de contrôler de façon insuffisante ses clients et ses transactions, laissant la porte ouverte au blanchiment. S'en sont suivies de grosses amendes et la démission du directeur financier. Le salaire annuel de 3 millions versé à Ralph Hamers avait alors été vivement critiqué.
C'est le profil de Ralph Hamers qui a intéressé UBS et en premier lieu son expertise en matière de transformation numérique, puisqu'il avait fait du groupe ING un exemple d’innovation en la matière. Comme Sergio Ermotti lui confiait les clés d'une banque désormais saine, après des années de turbulences, il avait le champ libre pour organiser ce virage numérique. Mais s'il a pu lancer cette réforme "agile", comme il la nomme, il devra peut-être réorienter ses priorités, car racheter une banque en difficulté n'était pas dans ses objectifs à la base.
Aujourd'hui est un jour triste. Personne ne souhaitait être là pour faire cela. Mais c'est aussi un bon jour pour la place financière suisse, car nous prenons nos responsabilités: nous, le Conseil fédéral, la Banque nationale et la Finma
Interrogé par SRF, Ralph Hamers a convenu que tout s'était fait dans l'urgence, mais que la solution trouvée était la meilleure. "Cette acquisition signifie que nous apportons à nouveau stabilité et sécurité aux clients de Credit Suisse. Mais aussi que nous maintenons la réputation de la place financière suisse à un niveau élevé." Et s'il assure que tout a été fait pour minimiser les risques, ceux-ci n'en demeurent pas moins importants. Mais si tout se passe bien, l'opération pourrait faire entrer le Néerlandais dans les livres d'histoire en tant que premier CEO d'une nouvelle entité à succès.
Frédéric Boillat