Dominique Freymond connaît le monde de l'entreprise sur le bout des doigts. Il vient de publier "Gouvernance d’entreprise, l’envers du décor en 100 anecdotes" (Editions Château & Attinger).
Une semaine après l'effondrement de Credit Suisse, il rappelle lundi dans La Matinale de la RTS les responsabilités "intransmissibles et inaliénables" du conseil d'administration d'une entreprise.
Le conseil doit mettre le nez dans les affaires, pas les mains dans le cambouis.
"On ne peut pas se défausser sur la direction", souligne de manière didactique celui qui a des dizaines de conseils d'administration à son actif, dont celui de La Poste. "Ce conseil a trois responsabilités principales: la haute direction (stratégie de l'entreprise pour assurer sa pérennité), la haute surveillance (vérifier que les moyens mis à disposition par les actionnaires sont bien utilisés pour le but de la société) et nommer ou révoquer les gens qui sont dans l'opérationnel, donc la direction".
De manière plus imagée, Dominique Freymond souligne que "le conseil d'administration doit mettre le nez dans les affaires, mais pas les mains dans le cambouis".
Chercher les meilleures compétences
Et comment trouver les bonnes compétences pour un conseil? "On va essayer de chercher les meilleures compétences en termes de complémentarité", explique-t-il.
"Avant, on mettait un banquier et un avocat", explique l'administrateur professionnel. "Mais un avocat spécialiste du droit de la famille ne sert pas à grand-chose pour un conseil d'administration. Et un banquier n'est pas forcément quelqu'un qui connaît bien les thématiques d'audit, de risque, etc…", fait-il encore remarquer.
Dans mon livre, je raconte l'importance d'avoir un grincheux au conseil d'administration.
Aujourd'hui, le choix se fait sur des critères en matière de compétences requises pour la spécificité de l'entreprise et de complémentarité. "Et dans la complémentarité, il y a aussi la diversité des genres (homme-femme), des âges et des postures", précise Dominique Freymond. "Dans mon livre, je raconte l'importance d'avoir un grincheux au conseil d'administration (…) Il faut aussi des personnes critiques à l'intérieur du conseil".
Le plus bas dénominateur commun
Et pour ce fin connaisseur de la gouvernance d'entreprise, il a justement manqué de grincheux à Credit Suisse, un fait qu'il avait relevé déjà à l'époque dans les conseils d'administration de Swissair ou d'UBS, où siégeaient pourtant "des gens extrêmement compétents". "Mais à un moment donné, le dénominateur commun est le niveau le plus bas: on se laisse un peu aller parce qu'on a un directeur que l'on croit très compétent, on a des consultants qui nous disent qu'on fait la bonne stratégie et on va oublier d'être critique".
Or, dit Dominique Freymond, un conseil d'administration doit discuter, se mettre dans une culture de la confrontation positive, sinon il ne sert à rien. "Mais pour ça, il ne faut pas être pris dans des jeux de pouvoir, des jeux d'ego, des agendas cachés".
On est dans des luttes d'ego, des combats de coqs.
Revenant sur l'actualité des derniers jours, le Vaudois estime cependant que le problème chez Credit Suisse était plutôt au niveau de la direction. "Dans ces scandales, il y avait l'appât du gain", dit-il.
Et ce n'était pas dans le but de gagner de l'argent, mais par comparaison avec les autres. "On est dans ces luttes d'ego, ces combats de coqs où on se dit: 'je dois gagner dix millions de plus parce que je vaux plus que le collègue qui est dans une autre banque et qui gagne plus que moi'".
Dominique Freymond évoque ce lieu de pouvoir et d'ego dans son ouvrage. "C'est là où l'on se bat, non pas pour la pérennité de l'entreprise ou ses intérêts supérieurs, mais pour se profiler tout seul".
C'est ce qui lui fait penser qu'il y a eu chez Credit Suisse un manque de recul par rapport aux problèmes internes. Un conseil d'administration a l'obligation légale, une fois par année, de passer en revue les risques internes à l'entreprise et les facteurs externes d'influence, rappelle-t-il. "Le conseil doit être extrêmement critique (…) et j'ai l'impression que ça n'a pas toujours été le cas".
Actions difficiles face aux erreurs commises
La direction du numéro deux bancaire helvétique va-t-elle devoir payer pour les erreurs, comme le souhaitent certaines voix politiques? "Je pense que c'est difficile", souligne Dominique Freymond. "Des contrats ont été signés, ils expliquent les conditions avec lesquelles on engage quelqu'un, comment on peut le licencier". Les bonus sont dus jusqu'à un certain point chez Credit Suisse. "On pourrait ne pas les payer en entier mais une partie est contractuelle, c'est difficile".
En revanche, la responsabilité des membres du conseil d'administration est peut-être engagée. "Ils ont la responsabilité de la pérennité de l'entreprise et je pense que là, ils ont failli". Ils peuvent donc être attaqués par les actionnaires, notamment pour manque de diligence. "Il y aura vraisemblablement des actions, provenant surtout des Etats-Unis, voire du Qatar ou de l'Arabie saoudite. Ils vont réclamer des comptes".
Mais peuvent-ils avoir gain de cause? "Ce sera difficile. Le Conseil fédéral a pris une décision en se basant sur un droit d'urgence qui lui permet de créer une fusion, et à partir de là ce sera plus difficile".
>> Lire aussi : La FINMA réfléchit à des poursuites contre la direction de Credit Suisse
Propos recueillis par David Berger/oang