Limiter le réchauffement climatique à 1,5C° selon les engagements de l'accord de Paris nécessitera une électrification massive des systèmes énergétiques, largement dépendants encore des ressources fossiles. Si cette transition se fera essentiellement par le développement du solaire et de l'éolien, le rôle du nucléaire revient aujourd'hui sur le devant de la scène.
Sa production constante et dite "bas carbone" pourrait soutenir une transition accélérée vers les renouvelables, estime l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qui préconise un doublement de la capacité d'ici 2050. "Si c'est l'option d'une diminution de la capacité nucléaire qui prévaut, la transition énergétique globale sera plus difficile, plus chère et plus risquée", prévenait en 2022 déjà son directeur général Fatih Birol.
En France, Emmanuel Macron veut construire en procédure accélérée six "réacteurs pressurisés européens" (EPR), un type d'installations de troisième génération. Le président de la République compte inaugurer les chantiers d'ici la fin de son mandat.
Le redécollage nucléaire s'illustre ailleurs en Europe, notamment en Finlande, mais aussi en Hongrie, en Slovaquie et en Bulgarie, avec des projets de nouveaux réacteurs. Il faut aussi compter sur l'arrivée de la Pologne, qui négocie sa toute première centrale. Mais c'est en Chine que l'énergie atomique se développe le plus. Le pays abrite la moitié des nouveaux réacteurs construits dans le monde cette dernière décennie.
Stop ou encore?
Le parc nucléaire actuel compte 422 réacteurs en fonction, assurant 10% de la production électrique mondiale. Un parc vieillissant, car son développement dans les pays occidentaux remonte aux années 1970, avant les coups d'arrêt de l'accident de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011. La question de la prolongation de la durée de vie de ces centrales se pose dans de nombreux pays – dont la Suisse – et constituerait aux yeux de l'AIE une "solution clé pour maintenir une production bas carbone à coût abordable".
Pour les opposants de l'atome, tout nouvel investissement dans le nucléaire – prolongation ou nouvelle construction – ne se ferait qu'au détriment du développement des énergies renouvelables, jugées prioritaires: "Vu son immense potentiel, c'est sur l'énergie solaire qu'il faut miser. C'est aussi celle qui nous permet d'avoir la meilleure autonomie", estime Isabelle Pasquier-Eichenberger. Pour la conseillère nationale verte genevoise, il n'est pas question de prolonger la durée de vie des centrales au-delà de 45 ans.
L'UDC bernois Manfred Bühler rétorque qu'il serait "totalement contreproductif de fermer encore des centrales nucléaires pour des raisons de coûts ou d'idéologie politique verte". Tant qu'elles sont sûres, il faudrait prolonger le plus possible leur durée de vie, plaide le conseiller national. Depuis la fermeture de Mühleberg fin 2019, le Suisse ne compte plus que quatre réacteurs: Beznau I et II, Gösgen et Leibstadt. Ils assurent 29% de la production électrique Suisse.
Énergie chère mais constante
Pour juger de l'utilité ou non du nucléaire pour la transition énergétique, la question du coût de production entrera en ligne de compte. Selon l'AIE, le kilowattheure issu d'une nouvelle centrale en Europe coûterait plus de 12 centimes de franc, contre 4,5 pour celui issu d'un parc solaire, 5 d'un parc éolien et 5,5 d'un parc éolien offshore.
Même en incluant des coûts de stockage (pompage turbinage, production d'hydrogène, batteries stationnaires), les renouvelables ont déjà l'avantage du prix sur le nouveau nucléaire. Seul le kilowattheure issu d'une centrale nucléaire existante et remise aux normes permettrait de faire mieux: entre 3 et 5 centimes le kilowattheure, selon l'AIE.
Outre l'argument du coût de production élevé, les opposants au développement du nucléaire rappellent le problème des déchets radioactifs, des milliers de tonnes de combustible usagé qui, même scellés et enfouis dans des sites de stockage sécurisés, resteront toxiques pendant des dizaines de milliers d'années. Le risque d'accident est également avancé, tout comme la dépendance aux Etats fournisseurs de combustible nucléaire (Etats-Unis, Russie, France) et l'épuisement des ressources accessibles d'uranium. Les émissions de CO2 issues de l'extraction, du raffinage et de l'enrichissement du minerai sont également relevées. Considéré comme "bas carbone", le nucléaire n'est pas pour autant comparable aux ressources renouvelables, à l'image du vent ou du rayonnement solaire.
La collecte des ressources pour les énergies renouvelables nécessite des équipements eux aussi gourmands en ressources, répondent les partisans de l'atome. Silicium pour les cellules photovoltaïques, acier, cuivre ou encore néodyme pour les éoliennes. Même si ces métaux peuvent être recyclés et réutilisés dans de nouveaux équipements, ils sont aujourd'hui encore largement extraits au moyen de ressources fossiles. Les partisans du nucléaire rappellent aussi la valeur de la production constante des réacteurs, nuit et jour, hiver comme été. La production hivernale, particulièrement précieuse pour la sécurité de l'approvisionnement, demeure l'un des atouts majeurs avancés par la filière.
Besoins toujours plus importants
Avec un doublement de la capacité nucléaire d'ici 2050, le monde compterait environ 800 réacteurs en activité pour une part de production électrique totale à peine plus basse qu'aujourd'hui, autour de 8%, selon l'AIE. Interrogé par la RTS, Christophe Ballif, le directeur des énergies renouvelables au Centre suisse d'électronique et de microtechnique (CSEM), estime que la décarbonation nécessitera au niveau mondial une multiplication par 3,5 de la production électrique totale. Et selon lui, "le seul moyen de le faire, ce n'est pas en ajoutant 13'000 centrales nucléaires, mais par un développement massif du solaire et de l'éolien". En très forte progression, il représente déjà plus de 22% de la production électrique européenne, relève le professeur de l'EPFL.
L'électricité issue des renouvelables varie en fonction de la météo, c'est-à-dire des vents et de l'ensoleillement. L'apport du nucléaire est, lui, constant. Mais Christophe Ballif soutient que cette production stable n'est pas indispensable, grâce à la complémentarité horaire et saisonnière du solaire et de l'éolien.
Il évoque également l'apport du parc automobile comme ressource de stockage d'électricité qui, ajouté aux capacités de stockage hydro-électrique par pompage-turbinage dans les Alpes, apportera la flexibilité nécessaire pour adapter l'offre et la demande de courant. A lui seul, le potentiel solaire des toitures adaptées en Suisse est estimé à 50 térawatt-heure (TWh), ainsi qu'à 17 TWh supplémentaires sur les façades, selon l'Office fédéral de l'énergie (OFEN). De quoi doubler la production indigène actuelle qui s'élève à 64 TWh.
La place du nucléaire dans la production électrique appelée à remplacer les ressources fossiles (essence, diesel, mazout, gaz nature et charbon) sera définie par les Etats, selon leurs ressources et leurs décisions politiques. Si le retour du nucléaire séduit certains pays, d'autres comme l'Allemagne sont déterminés à tourner cette page et à mettre toutes leurs forces dans les renouvelables. En Suisse, la sortie du nucléaire votée par le peuple rend impossible la construction de nouveaux réacteurs, mais laisse le choix aux propriétaires d'exploiter leurs centrales tant qu'elles répondent aux exigences de sécurité de l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire.